L’urgence d’un projet alternatif à gauche
En plaçant son action dans le sillage des injonctions de la finance et du patronat, le Président de la République s’applique incontestablement à faire sauter l’ancrage idéologique de la gauche. Un parallèle avec le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et son tropisme vers les idées de l’extrême droite, n’est d’ailleurs pas dénué de sens. Ainsi, en dénonçant désormais ouvertement les avancées sociales constitutives de l’histoire de la gauche et du mouvement social, le Premier ministre et son Gouvernement n’appliquent-ils pas une stratégie politique similaire pour rendre perméable aux idées de la droite une majorité élue à gauche ? L’exécutif ne manque plus une occasion de vilipender ceux qui, au sein même du Parti socialiste, se refusent à appliquer la prophétie d’une nouvelle gauche expurgée de son corpus idéologique progressiste. L’appel du pied lancé dernièrement par le Premier ministre à la droite pourrait même augurer une recomposition politicienne incluant des forces de droite. Certes, cette ligne de fracture, de plus en plus nette, n’est pas nouvelle au sein de la gauche réformiste. Elle n’en arrive pas moins dans un contexte politique particulier, trouvant appui sur le terreau d’une société française brisée par 30 années de libéralisme économique et de reculs des droits sociaux.
Cette « dérive droitière » du Gouvernement permet depuis quelques mois des convergences nouvelles. Elles se traduisent par des prises de position appréciables au Parlement : abstentions lors du vote de confiance et sur les projets de loi de finances, désaccords ouverts sur la ligne politique du Gouvernement, recherche de propositions communes, dépôts d’amendements identiques par des députés PS, Front de Gauche et écologistes. Mais, sur ce champ de la construction de résistances communes au sein des institutions, n’est-il pas temps d’aller beaucoup plus loin ?
Car au-delà d’une austérité totalement contradictoire avec la satisfaction des besoins sociaux, le positionnement du pouvoir se matérialise surtout par la réalisation des vieilles revendications patronales : le démantèlement des acquis du Conseil National de la Résistance et l’affaiblissement du modèle républicain assis sur la solidarité nationale. Au regard des enjeux, ces rapprochements sont loin d’être à la hauteur des coups portés. Devant de tels reculs de civilisation, le débat politique ne peut se borner au cadre restreint du « jeu » parlementaire. Je rejoins en cela l’analyse de Patrick Le Hyaric dans une tribune publiée dans l’Humanité Dimanche : « Ne nous y trompons pas ! L’affaire est sérieuse. Une course de vitesse est engagée entre ceux qui, au pouvoir aujourd’hui et dans les cercles de la finance internationale, veulent liquider la gauche jusqu’à effacer son nom ».
Malheureusement, il nous faut bien reconnaître la faiblesse des perspectives d’une politique alternative, accompagnée par le jeu médiatique et politique dominant, qui consiste avant tout à focaliser l’attention sur les querelles de personnes et les prochaines échéances électorales, plutôt que d’aborder le fond des problématiques politiques que la situation soulève. Quant au pouvoir, à l’Elysée comme à Matignon, il souhaite tirer profit de la fragmentation de la gauche que ses choix et l’absence de résultats conduisent à exacerber.
En contrepoint, la faiblesse du mouvement social, malgré quelques luttes victorieuses, empêche de mettre en dynamique des mesures rassembleuses pour commencer à sortir les salariés et les privés d’emploi de l’étau dans lequel les enferme la finance. De même, les héritages et les rapports de force au sein des différentes formations de la gauche contribuent à réduire la contestation politique, alors que des convergences sur les contenus sont tout à fait identifiables.
Il nous faut donc répondre à la question déterminante de la construction d’un projet de transformation sociale, économique et écologique, partagé non seulement entre les forces de gauche, mais aussi avec le mouvement social et l’ensemble des citoyens. On ne peut en effet délier le débouché politique de la force de l’intervention citoyenne et d’un mouvement social et populaire. Faire émerger une véritable dynamique collective à l’échelle nationale autour d’une autre politique de gauche suppose une action partagée et conjointe de la rue jusqu’au sein des institutions, en sortant des prés-carrés et simples postures politiciennes. Les enjeux sont immenses, c’est dire les responsabilités qui sont les nôtres.
Tribune publiée dans le journal l'Humanité du mercredi 5 novembre 2014, disponible ici.