Hommage aux victimes des attentats : intervention au nom des députés Front de Gauche à l'Assemblée nationale
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, dix-sept vies volées, celles de l’équipe et d’amis de Charlie Hebdo, celles de policiers, celles de concitoyens dont certains parce qu’ils étaient juifs – oui, parce qu’ils étaient juifs –, dix-sept visages, connus ou anonymes…
À travers le visage des victimes, c’est le visage de la France dans toute sa richesse et sa diversité, c’est la France qui a été agressée, c’est une partie d’elle-même qui a été assassinée par les barbares. C’est la République, ses valeurs, son histoire, sa lumière, sa laïcité qui viennent d’être frappées au cœur.
Dans un élan de fraternité d’une formidable puissance et d’une grande dignité, des millions de Français ont rendu hommage aux victimes et dit leur attachement à la liberté d’expression et de la presse.
Que notre pays est grand quand des millions de citoyens se retrouvent ainsi autour de valeurs partagées, quelles que soient leur situation sociale, leur couleur de peau, leur origine, leur religion !
C’est à cet élan d’espoir qu’il faut désormais donner force et durée contre tous les détournements prévisibles, alors que l’odeur de la guerre et du choc des civilisations, comme le poison de la division, se répandent déjà dangereusement.
Six jours après l’attaque contre l’équipe de Charlie Hebdo, nous continuons de penser, sans doute avec plus de force aujourd’hui encore, que le pays a besoin de refonder son avenir sur des choix politiques transformateurs et partagés, affrontant courageusement toutes les dominations, toutes les discriminations, toutes les inégalités.
Car, derrière ces crimes, c’est la communauté nationale dans son entier qui a été visée. Voilà pourquoi est monté ce cri : « Je suis Charlie ».
C’est pourquoi nous refusons tout amalgame, tout discours islamophobe qui tente de récupérer le drame national. Ce serait à la fois profondément injuste et dangereux. Les musulmans ne forment qu’une communauté, celle qu’ils forment avec nous, la communauté nationale (Applaudissements sur tous les bancs). Eux aussi sont assassinés par les terroristes, eux aussi font vivre notre pays, sa police, son armée, ses écoles ou encore ses hôpitaux.
Notre peuple n’appelle pas à plus de stigmatisation, il appelle à plus d’union. Notre peuple souhaite légitimement voir sa sécurité garantie. Pour autant, il n’appelle pas à une réponse purement sécuritaire qui, in fine, mettrait en péril nos libertés, auxquelles il est tant attaché.
Un Patriot Act à la française n’est pas la solution. La solution réside, notamment, dans la détection et le suivi des individus dangereux, en particulier dans les prisons qui, on le sait, sont de véritables centres d’endoctrinement et de recrutement.
Aujourd’hui, mes chers collègues, la question fondamentale est sans doute celle-ci : vers quelle société, vers quel monde désormais avancer pour vivre demain, tous ensemble, ici, en France et partout ailleurs ? Quelle France voulons-nous ?
Les violences de la semaine dernière sont aussi le symptôme d’un système économique toujours plus inégalitaire, le symptôme d’un système social discriminant, le symptôme d’un système démocratique en ruine.
Un système qui livre aux idéologues fanatiques et criminels des relégués sociaux qui ont la faiblesse de croire qu’ils vont donner un sens à leur existence.
Pour garantir l’unité et la cohésion nationales, tous les leviers doivent être actionnés, de l’école au monde du travail, en passant par la culture et l’éducation populaire, pour que personne – je dis bien personne ! – ne soit abandonné sur le bord de la route.
Ces grands sujets de fond, beaucoup de ceux qui ont été lâchement assassinés n’hésitaient pas à les mettre sur la table : par un dessin, par quelques mots, par leur impertinence provocatrice, par leur intelligence, par leur soif de commun et d’humanité.
Nous ne pensons donc pas les trahir en exprimant ici, ce jour, devant la représentation nationale, notre souhait de voir changer la politique de notre pays et de l’Europe. N’est-il pas temps, comme le disait si bien Jean Ferrat, « que le malheur succombe » ?
Je voudrais finir en évoquant ma dernière rencontre, en décembre dernier, avec mon ami Charb. Il m’avait fait part des difficultés financières de Charlie Hebdo. Il m’avait demandé notre aide, et les députés du Front de gauche, de cette tribune, avaient relayé son inquiétude. Nous continuerons ce combat, pour sauver la presse libre et indépendante.
Pour conclure, je dirai à Charb, à Georges et à tous les autres, à toutes les victimes de ces jours de tragédie : ils ont voulu vous enterrer, ils ne savaient pas que vous étiez des graines. (Vifs applaudissements sur tous les bancs.)