Loi Macron : fer menacé, territoires en danger
L’ouverture des débats sur le projet de loi Macron, la semaine dernière à l’Assemblée nationale, aura une nouvelle fois permis de démontrer l’ampleur des divergences qui opposent le Gouvernement et sa majorité parlementaire avec les députés du Front de Gauche en matière de politique des transports. En défendant bec et ongles l’ouverture de l’offre de transport par autocar, le Ministre de l’Economie a déroulé sa vision libérale de ce secteur, suivant le dogme qui consiste à dire que l’on répond mieux aux besoins des populations en ouvrant à la concurrence et en faisant appel à l’entreprenariat privé. L’essentiel de son argumentaire s’est limité à souligner les effets potentiels du développement de cette activité de transport par autocar pour l’emploi, allant cependant jusqu’à faire valoir d’hypothétiques bénéfices pour l’environnement par le biais de l’éventuelle substitution de l’autocar à la voiture particulière.
Pour ma part, j’ai considéré que, si la volonté politique existe, les pouvoirs publics, les services publics peuvent répondre aux grandes questions qui se posent, et en particulier que le transport public peut combler les besoins de déplacement de nos concitoyens. De plus, si rien n’indique que la substitution de l’autocar à la voiture aura bien lieu, nous avons en revanche tout à craindre d’un phénomène de substitution de la route au transport ferroviaire ! En fait, la mise en place de services librement organisés de transport par autocar s’inscrit dans un mouvement d’ensemble, une stratégie qui se trame depuis des années. Déjà, en novembre 2009, la Cour des comptes proposait de transférer au transport routier 7800 kilomètres de lignes de transport express régional (TER). Quant à la direction générale du trésor et de la politique économique, elle estimait qu’il convenait de décourager l’usage du train sur certaines liaisons, jugées trop coûteuses. Depuis des années, l’État refuse de s’attaquer au fardeau insupportable de la dette qui plombe le système ferroviaire – plus de 45 milliards d’euros ! – et s’accompagne d’une politique de sous-investissement, de réduction et de détérioration de l’offre ferroviaire, de suppressions d’emplois de cheminots par milliers et de pratiques commerciales contraires aux attentes des usagers.
Dans ce contexte d’absence de volonté politique et d’aggravation des contraintes budgétaires, à qui peut-on faire croire que les différents acteurs, qu’il s’agisse de l’État, des régions ou de la SNCF qui a développé sa propre filiale de transport par autocar, ne vont pas être tentés de fermer des milliers de kilomètres de lignes ferroviaires pour leur substituer des liaisons par autocar ? Quelles seront les conséquences sur l’activité de ce déclin programmé du ferroviaire, ses conséquences sur l’emploi dans le secteur et dans l’industrie ferroviaire, filière industrielle majeure déjà durement éprouvée ? Quelles seront les conséquences pour les usagers en termes de confort, de sécurité, en termes aussi de fiabilité, quand on sait que les autocars sont soumis aux aléas climatiques aussi bien qu’aux aléas de la circulation routière ? Quel sera l’impact environnemental de la fermeture de lignes ferroviaires si, comme c’est probable, nombre des usagers du train se tournent alors vers la voiture particulière ? Les rares études dont nous disposons évaluent entre 30 et 70 % la proportion d’usagers qui, en l’absence de train, préféreront la voiture particulière à l’autocar. Pour quel bilan carbone ? Pour quelle amélioration du service rendu ?
Au cours des débats, le Gouvernement a refusé de prendre en considération ces risques bien réels, alors même que j’ai tenu à apporter des exemples concrets qui permettent d’entrevoir les conséquences des dispositions de la loi Macron.
Prenons ainsi le cas de la ligne Clermont-Ferrand - Saint-Etienne. Les investissements décidés par la région Auvergne ont permis de maintenir le TER, mais cette ligne n’est pas rentable au-dessus de la ville de Thiers, dans la traversée du Forez, faute de desservir toutes les gares qui auraient pu l’être il y a vingt ou trente ans. Voilà donc un équilibre fragile. Il est bien évident que si l’on permet l’ouverture d’une ligne de bus entre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne par l’autoroute, un entrepreneur privé ne tardera pas à se présenter pour l’exploiter, ce qui aura pour effet, dans un premier temps, d’aggraver les difficultés de la ligne ferroviaire et dans un deuxième temps, de provoquer sa fermeture, mais pour un service qui sera différent ! La question qui se pose est bien celle de l’aménagement du territoire. Si une ligne d’autocar relie un point à un autre rapidement, par l’autoroute, nous pourrons considérer qu’une partie du territoire a été abandonnée et qu’a été acceptée le principe que des territoires ruraux restent des déserts et ne puissent plus, pour des raisons financières, bénéficier d’un véritable service public des transports. C’est inquiétant.
Deuxième exemple cité dans les débats : la liaison Clermont-Ferrand - Bordeaux suspendue depuis l’été dernier, à Ussel, pour des raisons budgétaires, liées à l’endettement de la SNCF et à l’impossibilité de maintenir des lignes alors que celle-ci est très importante. Il est fort probable que, très rapidement, nous n’ayons plus d’accès à la façade atlantique alors que nous en avons aujourd’hui deux – Clermont - Bordeaux ou Lyon - Nantes. Elles disparaîtront au profit du bus pour un résultat qui ne sera pas le même !
Troisième exemple tout aussi pertinent : la ligne Clermont-Ferrand - Béziers. Électrifiée de bout en bout, cette ligne va pourtant être abandonnée, faute d’entretien. On nous opposera naturellement que l’autoroute existe et qu’elle est gratuite, de surcroît, à l’exception de la traversée du viaduc de Millau. La ligne ferroviaire sera donc remplacée par des autocars qui circuleront sur cette autoroute. Or, se pose derrière cela la question de l’aménagement rural, sur le territoire des Cévennes, par exemple. L’approche y est différente. Le principe selon lequel la compétitivité doit primer et la concurrence résoudre tous les problèmes aura des effets considérables sur le maintien d’une activité dans les territoires ruraux.
Bien au contraire, malgré les nombreux travaux réalisés sur des lignes électrifiées par les régions, voire par RFF, l’ouverture préconisée dans le présent texte aboutira à la disparition de certaines de ces lignes au profit de l’autocar.
On sait bien que le coût payé par l’usager, notamment d’un autocar, n’est pas le coût réel d’exploitation, puisque le transport routier reporte sur la collectivité une part importante du développement et de la maintenance de l’infrastructure. Lorsque l’on veut comparer les coûts respectifs des transports par rail et par route, il faut donc prendre la totalité des données, et inclure les coûts externes, comme la pollution de l’air, le bruit, les embouteillages, les accidents éventuels.
Certes, on peut arriver à démontrer tout et son contraire. Il semblerait même que, par une forme de miracle, la route polluerait désormais moins que le rail ! Sans doute des progrès ont-ils été faits, et c’est tant mieux. On pourrait évaluer combien de lignes de transports routiers les véhicules de ce type utiliseront, notamment dans des secteurs où le bénéfice sera très tendu. La démonstration n’en demeure pas moins surprenante !
Le rapporteur de ce volet du projet de loi comme le Ministre de l’Economie ont répété à l’envie que la SNCF ne donne pas satisfaction. Nous l’avons tous constaté. Mais pourquoi faire mine d’ignorer les véritables causes de ces insuffisances alors même qu’au sein de la commission mobilité 21, nous avons travaillé et tenté de proposer des solutions. La première d’entre elles, évidente, a été adoptée en Allemagne : en 1994, la Deutsche Bahn a été désendettée de 34 milliards d’euros. Ce choix n’a pas été fait en France et la SNCF en assume aujourd’hui les conséquences, en matière de dégradation, de réduction du service rendu et de tarification. On ne relèvera pas le niveau de la SNCF tant que l’on n’aura pas réglé la question financière, qui touche aux infrastructures. N’oublions pas que, pour la route, les infrastructures ont été payées pour l’essentiel par les collectivités territoriales.
Un autre argument développé de façon tout à fait mensongère : celui de la desserte des territoires qui sont aujourd’hui abandonnés, notamment par les lignes ferroviaires. Jamais les lignes d’autocar privées n’iront desservir les territoires abandonnés du transport collectif ! On a vu, il y a trente ou quarante ans, toutes les lignes d’autocars qui drainaient nos territoires disparaître, faute de rentabilité. C’est évident. Il ne faut pas vivre en apesanteur. N’allons pas imaginer qu’un transporteur privé de Corrèze ira installer une ligne de transport s’il ne peut en tirer un bénéfice ! Laisser croire comme le fait le Ministre de l’Economie qu’il y aura un appel pour mieux répondre aux besoins de la population est simplement mensonger. Actuellement, c’est la puissance publique qui met en place des lignes de transport par autocars sur ces territoires ruraux. On est ainsi tenté d’ajouter que l’on n’a pas besoin de plus de libéralisation, mais de plus de centralisation : certains territoires sont desservis par un autocar mis en place par un conseil régional (TER) puis, une demi-heure plus tard, par un autocar financé par un conseil général, les deux collectivités s’opposant souvent dans l’exercice de leurs compétences… Tout cela exige de la maîtrise publique, une organisation centralisée, une réflexion sur ce que peuvent être les meilleures dessertes… mais certainement pas une soumission aux intérêts privés.
Je le dis avec passion : croire que la solution réside dans la concurrence, l’ouverture au marché et l’appel à l’entreprenariat privé est une erreur. Je crois au contraire qu’il faut réfléchir à une réponse plus collective, basée sur le partage, la concertation, la maîtrise publique. Hélas, la loi Macron, si elle devait être adoptée, brisera de nouvelles digues, affaiblissant toujours plus les moyens à notre disposition pour construire une véritable politique de transports cohérente et vertueuse, répondant à la fois aux besoins des usagers, à l’indispensable aménagement équilibré du territoire et aux enjeux climatiques et énergétiques de notre pays.