Au retour de Cuba

Publié le par André Chassaigne

 Convié uniquement à l’étape cubaine du périple de plusieurs jours de François Hollande aux Antilles et aux Caraïbes, j’ai donc rejoint la délégation présidentielle pour une seule journée à La Havane. Il est en effet d’usage que le chef de l’Etat invite à l’accompagner le président du groupe d’amitié du pays où il est accueilli, plus particulièrement quand le groupe a une activité régulière, comme c’est le cas depuis que la présidence m’en a été confiée en 2012, avec le soutien actif de députés particulièrement motivés et de toutes sensibilités.

 J’ai répondu favorablement à cette invitation avec d’autant plus d’intérêt que l’initiative présidentielle répondait à une forte attente du gouvernement cubain, demandeur depuis longtemps d’un renforcement des liens entre nos deux pays. Les amis français de la révolution cubaine peuvent aussi considérer cette visite comme une avancée à ne pas négliger après des décennies de mobilisation pour faire bouger le gouvernement français. Je pense en particulier aux actions conduites par les associations de solidarité et de coopération entre la France et Cuba. Il est en effet temps que l’Etat prenne enfin toute sa place pour accompagner Cuba dans son développement, tout en respectant ses choix politiques et économiques, même si nous déplorons qu’il ait fallu attendre qu’Obama annonce le rétablissement des relations diplomatiques pour donner un signe aussi fort.

 Au lendemain du 11 mai, le quotidien Gramma, organe officiel du Comité Central du Parti Communiste de Cuba, présentait sur six pages de photos et commentaires le compte rendu de cette journée, soulignant son importance et la plaçant sous le signe « de la dignité et de l’indépendance de Cuba ». Aussi, j’ai été particulièrement choqué par certains commentaires, d’origines diverses, réduisant ce voyage à une simple opération française de récupération politique. Certains « gardes rouges » de la lutte révolutionnaire par ordinateur ont même violemment condamné ma participation. Je suis désormais habitué à ce type d’attaques personnelles, aux motivations diverses, dont les auteurs se ridiculisent avec des mises en causes systématiques et perverses, par ailleurs totalement contre-productives pour les causes qu’ils prétendent défendre. Mais je veux bien reconnaître, à leur décharge, que j’ai éprouvé un certain plaisir en agitant la muleta avec une photo où j’osais m’afficher avec François Hollande, terrible aveu d’une capitulation en rase campagne face au social-libéralisme.

 Quant à mon appréciation sur le « sans faute » présidentiel portant sur la journée du lundi 11 mai, avec une pointe d’humour pas toujours comprise, elle s’appuie sur mes échanges avec des amis cubains et sur mon écoute des annonces faites en cours de journée : demande de levée de l’embargo américain par François Hollande, jusqu’à employer pour la première fois le mot « blocus », porteur d’un sens politique fort ; engagement de développer les échanges commerciaux et les investissements français dans le respect du caractère souverain de la voie économique voulue par le gouvernement cubain (ce qui nous change, pour une fois, des méthodes du FMI) ; prise en compte des attentes cubaines dans des domaines aussi importants que la formation, la recherche, la santé, l’énergie, l’agriculture, les communications électroniques ; perspective de règlement, par échelonnement et effacement partiel, de la dette de Cuba envers l’Union Européenne, constituée à plus de 80 % d’intérêts, et dont 1/3 concerne la France.

 Valoriser ces avancées, ce n’est pas faire preuve de flagornerie envers un Président de la République et un gouvernement que je combats sans ambiguïté sur tant de domaines. C’est bien au contraire prendre acte pour être ensuite une sentinelle veillant sur la mise en œuvre concrète des annonces faites. Le moment venu, si c’est nécessaire, je saurai être, avec d’autres, un lanceur d’alerte pour que la France soit à la hauteur de ses engagements. Ce qui compte, c’est l’intérêt commun de nos deux peuples pour leur développement respectif, non pas une posture réductrice et sclérosante consistant à rejeter en bloc une politique parce qu’elle n’est pas celle que nous appliquerions si nous étions au pouvoir. Sachons au contraire prendre en compte ce qu’elle peut avoir de positif même si nous la trouvons très insuffisante et si les motivations ne sont pas forcément les nôtres. 

 

 Après cette mise au point, je souhaiterais préciser mon point de vue sur la situation cubaine.

 Je suis tout d’abord effaré par différents commentaires et reportages qui occultent complètement le double carcan imposé à Cuba par les Etats-Unis : celui d’une bataille idéologique sans merci, aux moyens considérables, à visée contre-révolutionnaire, et celui d’une asphyxie de l’île par un blocus à dimension extraterritoriale aux conséquences terribles pour l’économie de Cuba et le quotidien de son peuple. Pour ne prendre que deux exemples, il est légitime de poser la question des droits de l’homme et celle du niveau de vie. Mais le faire sur de simples constats, sans rappeler la situation particulière de l’île depuis 65 ans et sa révolution, relève d’un parti pris inacceptable. Pis encore, quand ce parti pris se double d’une mauvaise foi sans limites, jusqu’à parler de milliers de prisonniers politiques, ou en livrant simplement le faible niveau des revenus, sans rappeler les aides et services gratuits apportés directement par l’Etat à tous les Cubains, notamment dans les domaines de l’alimentation, de l’école et de la santé.

 Bien évidemment, il ne s’agit pas de présenter Cuba comme un paradis sur terre (nous en sommes bien loin !). Les amis de Cuba, dont je suis, font souvent le constat d’une bureaucratie lourde et paralysante, d’un manque apparent de motivation des ouvriers et paysans sur leurs lieux de travail, de la quasi-impossibilité d’accéder à internet pour le plus grand nombre, d’un habitat dégradé qui pourrait semble-t-il être sensiblement amélioré par une modeste implication de leurs occupants. Tout cela, parmi d’autres réalités cubaines, nous ne l’ignorons pas. Mais nous savons aussi quelle est la volonté du gouvernement cubain de sortir de cette situation par des orientations politiques nouvelles, mûrement réfléchies, avec la volonté de faire évoluer le système économique, sans pour autant remettre en cause le socialisme cubain. Depuis « l’actualisation du modèle économique » mise en chantier en 2011, les réformes sont engagées, mais sans précipitation, avec une évaluation permanente de leur effet sur le mieux vivre de l’ensemble de la population.

 Je prendrai pour seul exemple la question de l’agriculture et l’objectif, encore très loin d’être atteint, de la souveraineté alimentaire. L'agriculture cubaine a des particularités qui se prêtent à un développement spécifique, voire original, par l'absence d'intrants, conséquence du blocus imposé par les Etats-Unis avec sa dimension extraterritoriale. L'embargo surenchérit considérablement tout achat extérieur, notamment d’engrais chimiques et autres pesticides. Il a conduit au choix politique d’une production agricole strictement biologique. Cependant, au final, les rendements sont faibles, avec notamment des importations importantes de riz et de viande alors que 70 000 ha de terres restent non exploitées. La marge de progression est donc très importante. Comment dans ce contexte dynamiser l'agriculture cubaine sans la conduire dans le cycle infernal et mortifère d'un productivisme qui a tant fait la preuve de son incapacité ? Comment amplifier les solutions durables déjà mises en œuvre dans le respect des hommes et de la planète ? Des progrès importants peuvent être faits rapidement sur les savoir-faire et les techniques de culture. Dans ce domaine, le développement de la coopération entre nos deux pays peut être bénéfique, associant la pratique et l'innovation, en lien avec des organismes de recherche comme l'Inra. Quant à notre pays qui est encore dans les balbutiements du choix récent de l’agroécologie, il peut lui-même beaucoup apprendre de l’exemple cubain.

 En tirant ce premier bilan personnel de la visite présidentielle, loin d’être exhaustif, mon souhait est tout simplement d’être utile pour que les actes concrets suivent les mots. Sur ce point, l’urgence est connue de tous avant que ne déferlent sur l’île cubaine les banques et entreprises américaines dont nous connaissons la définition de la liberté et la conception du bonheur des peuples.

 

Au retour de Cuba
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R
J'etais tres heureuse de vous rencontrer ce 11 mai a La Havane, et je partage bien votre analyse de la situation!<br /> Raúl et non Raoul, haha ;) <br /> Bravo pour votre lumière!<br /> Une clermontoise amoureuse de Cuba
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J
Présent à Cuba le 11 mai je n'ai pas eu connaissance des commentaires faits en France, mais je partage totalement ton analyse. Il y a même quelque chose de pathétique de voir ses dirigeants européens défiler à cuba pour tenter de se positionner sur un continent latino américain que leur suivisme de la politique US leur avait fermé. <br /> Dans l'agriculture, où la place du producteur, de son intelligence de son expérience est si capitale, dans ce rapport productif avec le "vivant": terre, animal, végétal, c'est sans doute le domaine où les pratiques bureaucratiques et centralisées sont le plus préjudiciables. Amitiés
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J
Je pense que tu as pris une très bonne initiative en te rendant à Cuba. De toute façon il y aura toujours des gens qui viendront critiquer la politique cubaine. Les cubains, de par leur révolution, ont contribué à ce que leur pays soit un état libre de ses décisions. Nous français nous n avons pas à donner de leçons aux cubaines et aux cubains qui, contrairement à ce que l'on puisse dire aime leur pays et disent qu'ils s y trouvent bien. J ai des amis qui sont allés à Cuba et qui ne sont pas communistes conservent de très bons souvenirs et me disent que les cubains ne voudraient en rien quitter leur pays. Ils ont même peur que la modernité défigure leur pays. Combien j aurais aimé aller visiter ce beau pays.
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A
vous avez encore et toujours mon soutien pour vos analyses politiques qu'elle soit sur CuBA sur le vote obligatoire et d'autres débats de l assemblée nationale viva CUBa e pueblo unido amar sera vincido!
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D
pour avoir séjourné à cuba , je partage entièrement l'analyse de DD CHASSAIGNE. La pire des choses a été l'embargo! Au nom de la liberté bien sur.Je regrette qu'il ait fallu l'autorisation du "maitre" pour qu'enfin , la France officielle reconnaisse le droit du peuple cubain à vivre comme il l'entend.Dix % de la population à l'université, qui reléve le défit?
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