Le 49-3 n’est pas un simple accident de parcours législatif !
Question au gouvernement, coups de gueule en salle des 4 colonnes, intervention à la tribune sur la censure, sollicitations journalistiques… c’est à de multiples reprises que je suis intervenu toute la semaine passée au sein de l’Assemblée nationale suite au coup de force imposé aux député-e-s par l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par le Premier Ministre. J’avais alors conscience de la nécessité d’expliquer le fond idéologique sur lequel s’appuient de tels choix du pouvoir en place. Mais l’urgence était de souligner la gravité de l’utilisation de cette arme constitutionnelle pour passer en force, privant la représentation nationale de tout débat, et de démontrer que si la motion de censure ne recueillait pas la majorité requise, le texte était considéré comme adopté en nouvelle lecture. De plus, dans le même temps, il était indispensable d’essayer de construire des réponses partagées avec toutes celles et tous ceux qui, à gauche dans l’hémicycle, étaient en profond désaccord à la fois avec le contenu du projet de loi porté par le Ministre de l’Economie et avec la procédure autoritaire employée par le Premier Ministre pour le faire adopter.
Voilà pourquoi les députés du Front de gauche ont d’abord décidé de s’adresser à l’ensemble des députés de gauche pour réunir les 58 signataires nécessaires pour censurer le gouvernement et rejeter le texte. Puis, après le constat d’échec de cette tentative, nous avons proposé et engagé l’écriture d’un texte commun avec plusieurs députés socialistes dits « frondeurs », des membres du groupe écologiste, la députée Nouvelle Donne, des députés MRC, des députés ultra-marins et bien évidemment les députés du Front de gauche. Nous devions le rendre public avant le vote de la censure. Il condamnait sans ambiguïté le projet de loi Macron et ouvrait des perspectives politiques nouvelles à gauche, rejetant « les politiques d’austérité budgétaires et du moins-disant social et environnemental ». Avec une telle initiative politique rassembleuse, nous aurions pu alors ne pas voter la censure. Mais, au dernier moment, les députés socialistes partie-prenante nous ont lâchés, et la déclaration n’a pas vu le jour.
Pour autant, cette démarche a permis d’initier un échange de fond inédit et a provoqué un débat fort chez les socialistes frondeurs et au sein du groupe écologiste. Elle a aussi permis de renforcer l’unité de notre groupe : nous avons été neuf députés du Front de gauche sur dix à voter la censure contre six en février. Dans cette affaire, malgré la difficulté de voter « avec » la droite, nous avons, je crois, gagné en écoute et en crédibilité. A la suite de cette séquence, beaucoup de commentaires de presse ont d'ailleurs été, pour une fois, attentifs à nos explications et plutôt respectueux à notre encontre.
Mais il me faut revenir, avec un peu plus de recul, sur cet épisode qui ne fait que confirmer une dérive démocratique particulièrement dangereuse pour l’avenir du pays.
Je commencerai par redire que les communistes portent, avec beaucoup d’autres à gauche, l’exigence d’une profonde transformation de notre République, visant à aboutir à une VIème République, avec une Constitution plus démocratique et un renversement des pouvoirs entre le Parlement et l’exécutif. Il s’agit d’ailleurs d’un axe structurant du programme du Front de Gauche depuis sa construction. Sans aucun doute, la semaine que nous venons de vivre ne fait que conforter notre détermination à aller dans ce sens.
Le nouveau recours au 49-3, qui intervient tout juste 3 ans après les envolées du candidat François Hollande sur la « République exemplaire », témoigne en fait d’une abdication politique devant les puissances d’argent. Ce renoncement passe désormais par le bâillonnage du Parlement, conjugué à la volonté d’écarter du champ politique la souveraineté populaire par le rejet hors du débat public des confrontations et des antagonismes de classes. Une fois encore, après une succession de textes législatifs, notamment ceux concernant la réforme territoriale, de tels actes confirment la volonté du pouvoir d’ancrer toute la vie politique du pays dans ce qu’il faut bien appeler un régime « de démocratie de basse intensité ».
Le constat n’est pas contestable : nous vivons un moment d’accélération de la dérive démocratique de notre pays. Aussi, plus que jamais, devons-nous en saisir la mesure, en dévoiler le contenu idéologique, en analyser les conséquences et faire émerger les outils concrets d’une alternative.
Revenons tout d’abord sur la méthode qui sert à l’élaboration de la politique économique imposée par le Président de la République, son Gouvernement et sa majorité, et qui trouve sa dernière traduction dans le texte du projet de loi Macron. Le procédé est exemplaire tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme tout d’abord, l’emploi de l’article 49-3 de la Constitution a été « dégainé » avant même la discussion générale, empêchant l’examen en séance publique de chacun des 315 articles du texte restant en discussion en seconde lecture. Quant au texte, l’ultralibéralisme est son fil conducteur : abandon du ferroviaire au profit de sociétés d’autocars, remise en cause du service public de la justice, privatisation de la gestion d’aéroports rentables et de l’industrie de défense, allègement fiscal au profit des dirigeants du CAC 40, extension du travail du dimanche et de nuit, recul des droits des salariés et des obligations patronales, déconstruction du droit de l’environnement par ordonnance et limitation du recours en démolition en cas de permis illégal. Sans compter les mesures régressives nouvelles imposées par le Gouvernement à l’occasion de la seconde lecture, en particulier le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif, qui n’aura pas d’impact sur le plan de la lutte contre le chômage, mais qui constitue ni plus ni moins un encouragement pour les employeurs à licencier abusivement. Ce texte, conçu pour satisfaire la commission de Bruxelles, accentue un saisissant virage libéral. Il sera économiquement inefficace, écologiquement contre-productif, et socialement injuste.
Le gouvernement a justifié l’usage du 49-3 et du vote bloqué par le travail réalisé en commission. Rappelons que les commissions, quel que soit le travail de fond qu’elles mènent, ne peuvent en aucun cas se substituer à la légitimité de l’ensemble de la représentation nationale. En substance, le message adressé ce mercredi 16 juin était clair : l’Assemblée nationale n’est rien, les représentants du peuple, élus au suffrage universel, n’ont qu’à se taire. Et quel symbole que cet exécutif poussant jusqu’au bout les pires travers de la Vème République en s’accaparant totalement le pouvoir législatif sous l’argument du bon mot « d’efficacité », brandi par le Premier ministre pour tenter de se justifier ! Est-ce à dire que le peuple étant jugé indirectement « inefficace » pour juger d’une loi, l’exécutif s’est chargé de le « dissoudre » ?
Si je fais ici implicitement référence à la célèbre formule de Bertholt Brecht, ce n’est pas seulement par sens de la formule, mais parce que sur le fond, cet épisode traduit également un objectif idéologique majeur. Pour tenter d’annihiler toute prise de position hostile au contenu libéral et rétrograde des mesures proposées, le pouvoir n’a de cesse d’alimenter une mythologie économique, faite de recherche de « compétitivité », « d’efficacité » et « d’allègement » des contraintes qui pèseraient sur la création d’emploi. S’opposer à cette modernité, c’est être « conservateur », « rétrograde », voire « stalinien », comme j’ai pu l’entendre à mon encontre de la bouche de certains députés socialistes. En réalité, toutes ces mesures n’ont qu’un seul objectif : la recherche de rentabilité et de profitabilité pour les actionnaires. Les atteintes au droit du travail ne créent pas d’emploi, elles en détruisent. La libéralisation de certains secteurs d’activité ne sert pas l’intérêt général, elle défait des services publics locaux si utiles au quotidien des habitants. La dérèglementation des horaires et conditions de travail ne permet pas d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés, elle détruit les statuts et précarise toujours plus l’emploi. Mais les détenteurs de capitaux ne tolèrent plus ces analyses contradictoires dans le débat public. La stratégie de classe du capital le conduit donc à imposer toujours plus sa « façon de voir » l’économie, et sa « façon de faire » la politique. En effet, pourquoi se résoudre à l’examen par des élus du peuple de dispositions législatives co-élaborées par une expertocratie au service du capital et un gouvernement « courroie de transmission » des injonctions du MEDEF, quand on peut en passer par des procédures aussi expéditives qu’antidémocratiques comme le recours au 49-3 ? Et, à plus forte raison, pourquoi donc s’imposer un tel examen de conscience quand la résistance sociale et salariale à l’encontre des mesures proposées est aussi affaiblie ?
Il n’y a d’ailleurs pas de coïncidence fortuite entre le refus, à quelques jours d’intervalle, de voir le Parlement européen s’exprimer sur le contenu des négociations sur le traité transatlantique, et le refus de voir l’Assemblée nationale française débattre d’un texte qui entend libéraliser toujours plus l’économie et faire sauter les digues du droit social et du droit du travail. Ces deux épisodes démontrent la cohérence politique à l’œuvre en Europe comme en France, et l’alignement sur les mêmes choix idéologiques.
L’emploi du 49-3 à répétition est d’autant plus dévastateur qu’il relève d’une logique qui consiste à mettre à l’index tous les élus, à tous les échelons de collectivités de la République, déjà stigmatisés par les forces les plus conservatrices. En cela, il alimente la construction d’un « nouveau sens commun » politique, assimilant la fonction et le rôle de représentation de l’élu à un simple « coût », « paralysant », « inutile », voire qu’il faudrait « supprimer ». En agissant de la sorte, certains ne semblent donc pas avoir de craintes à voir s’installer une forme de « dictature de l’exécutif », assimilée à une recherche « d’efficacité », consacrant ainsi puissamment la volonté secrète de la révolution conservatrice néolibérale : assécher la vitalité démocratique d’un pays pour entretenir l’atrophie et l’aplasie des forces sociales capables d’en contester la domination idéologique. Bien entendu, il ne s’agit là qu’un d’un outil parmi tant d’autres au service de ceux qui ont déjà tout. Mais il m’apparaissait, cette semaine, particulièrement nécessaire de le dénoncer fermement, pour ne pas laisser passer l’idée selon laquelle il s’agirait d’une simple procédure inscrite dans notre constitution, et sans effet sur la structure même du débat démocratique.
Aussi, il me semble que l’accélération de la dérive de la démocratie française et européenne nous pousse à chercher, avec une acuité nouvelle, les voies les plus novatrices et pertinentes de construction d’une alternative politique rassembleuse et garante d’une citoyenneté active et renouvelée. Au risque de me répéter, j’ai toujours attaché une importance déterminante à la construction de démarches collectives, d’initiatives citoyennes et populaires porteuses de propositions politiques alternatives aux choix libéraux. Plus que jamais, toutes les organisations progressistes, toutes les forces sociales, associatives et syndicales disponibles, qui partagent les craintes de voir se déliter notre démocratie et nos conquis sociaux et politiques, doivent passer à la vitesse supérieure en terme d’action. Outre la constitution de fronts de luttes sur des thématiques, il nous appartient de démontrer que d’autres choix sont possibles, et que de larges rassemblements politiques et populaires sont capables de les imposer dès maintenant dans le débat public. La mise en réseau, visible, des actions conduites et à conduire, devient à ce titre une impérative nécessité, non pas pour servir de simple réceptacle électoral, mais pour donner de la force collective et impulser la démultiplication des réflexions partagées et des actions. Car je reste persuadé que seul ce bouillonnement démocratique et militant est capable de redonner le goût à la chose publique et à la recherche du bien commun. C’est clairement ce que redoute, depuis toujours, le capital : une mise en mouvement porteuse de résistances, d’expériences et de choix qui réussissent, une contagion amenant à contester sa domination idéologique, culturelle, économique et politique. Regardons d’ailleurs, pour nous en convaincre, avec quelle violence sont attaqués la Grèce, son gouvernement de résistance et son peuple.