Le pouvoir fait payer aux salariés son échec sur l’emploi

Publié le par André Chassaigne

Entretien publié dans l'Humanité le 23 février 2016.

Dès la publication du contenu du projet de loi sur le travail, les parlementaires Front de gauche ont manifesté leur opposition au texte. Quels en sont les principaux dangers ?

Ce projet de loi est gravissime. Sous prétexte de répondre à l’état d’urgence économique et sociale, et après les coups de burin des lois précédentes (Sapin, Macron…), le gouvernement attaque maintenant le Code du travail au marteau-piqueur. Sous couvert de « simplification », il organise un droit du travail à la carte au détriment des protections accordées aux salariés par la loi. L’objectif est clair : sous-traiter l’adoption de mesures régressives en créant par le chantage un rapport de forces favorable à l’employeur. Au final, l’accord d’entreprise pourra court-circuiter les protections offertes aux salariés par l’accord de branche et le contrat de travail.

Par ailleurs, le texte liquide les 35 heures. Tout en feignant de ne pas toucher à la durée légale du travail, le projet de loi la contourne en réduisant le montant des heures supplémentaires ou en faisant sauter, article après article, les contrôles sur la durée du travail. L’exemple le plus frappant est l’élargissement des forfaits jours aux petites entreprises sans accord collectif. Avec cette déstructuration du temps de travail, c’est le retour aux journaliers d’antan qui vendaient de ferme en ferme leur force de travail. Elle se traduira par une perte de pouvoir d’achat et une précarisation des conditions de travail.

S’agissant des mesures sur la rupture du contrat de travail, elles sont un copier-coller des revendications patronales. Faciliter les licenciements pour motif économique et imposer un plafonnement des indemnités prud’homales, c’est s’attaquer aux protections liées au CDI et au pouvoir d’appréciation du juge qui n’aura plus son mot à dire. Quant au référendum d’entreprise, c’est une mesure dangereuse pour imposer par la menace à l’emploi une décision au plus grand nombre, en bâillonnant les syndicats comme c’est le cas aujourd’hui à la FNAC pour le travail du dimanche.

 

Après le débat sur la déchéance de nationalité, assiste-t-on à une nouvelle stratégie de course à droite du pouvoir ?

Le gouvernement est dans une terrible dérive néolibérale, une forme de « liquidation avant fermeture ». Plutôt que de faire preuve d’audace et de justice, il prend le parti des « puissants » et s’attaque aux plus fragiles en méconnaissance complète de la réalité du quotidien des salariés et des besoins réels des entreprises, notamment le tissu des PME.

Il justifie cette réforme par une nouvelle escroquerie linguistique : la « flexi-sécurité » pour nommer ce qui est de la « flexi-précarité », les contreparties en termes de protection pour les salariés étant complètement absentes du texte.

Bien évidemment, ce projet est mené au nom de la compétitivité des entreprises et de l’emploi. Mais c’est un leurre : faire du code du travail un instrument de la politique économique est la pire des erreurs. Cela n’a jamais créé d’emplois mais contribue au contraire à en détruire plus facilement. C’est par leur carnet de commande que nous donnons de la visibilité aux entreprises. Au final, avec cette réforme, le gouvernement fait payer aux salariés l’échec patent de sa politique de subventions sans contreparties aux entreprises, mise en place avec le pacte de responsabilité.

 

Jean-Marie Le Guen a parlé d'un projet "équilibré" qui sera voté par une "majorité de la gauche". La gauche peut-elle se rassembler contre ce texte ?

A moins de renier ses propres valeurs, je ne vois pas comment une majorité à gauche pourrait voter en conscience ce texte ! Je pense plutôt qu’il va amplifier les fractures au sein de la majorité gouvernementale.

 

Votre position finale est-elle arrêtée sur ce texte ou allez-vous chercher à l'amender ?

Notre opposition est totale. Elle s’accompagnera bien sûr de contre-propositions fortes que nous porterons lors des débats. La persistance d’un chômage endémique impose de trouver des solutions ambitieuses. A l’opposé de ce texte régressif, la réduction du temps de travail est une voix à poursuivre. Il est aussi urgent de mettre en place une véritable sécurité sociale professionnelle pour les salariés avec des droits individuels garantis collectivement qui suivront le travailleur tout au long de sa carrière.

 

Si le gouvernement use du 49-3 pour faire adopter sa réforme sans vote, n'est-ce pas joué d'avance ?

L’usage de 49-3 est le marqueur de ce gouvernement anti-démocratique et régressif. Il montre son peu de considérations pour la représentation nationale qui a pour mission d’écrire la loi. Le comble pour un projet de loi qui prétend renforcer la démocratie sociale !

Si c’est le cas, comme nous l’avons déjà fait avec la loi Macron, nous mettrons tout en œuvre pour réunir parmi les députés de gauche les signatures permettant de déposer une motion de censure contre ce gouvernement à la dérive droitière. Je ne doute pas que la détermination syndicale et la rue ouvriront la voie.

 

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