Agriculture française - secteur agricole : entretien publié dans le journal La Tribune de la FNAF-CGT
Entretien publié dans le journal "La tribune des professionnels de l'agriculture moderne" du syndicat FNAF-CGT n°220 Janvier - Mars 2017, sur la situation de l'agriculture française et du secteur agricole.
Comment analyses-tu la situation de l’agriculture française et du secteur agricole en France ?
Dans notre pays, 10 000 agriculteurs quittent le métier chaque année. Un agriculteur se donne la mort tous les deux jours. Un tiers d’entre eux touche moins de 350 € par mois. Nos producteurs ne sont pas victimes d’une simple fluctuation conjoncturelle des prix, mais d’une crise profonde et durable, conséquence des choix politiques libéraux au niveau européen : des marchés et des volumes sans régulation ; une valeur ajoutée captée en aval de la production ; une mise en concurrence permanente sur la base des prix mondiaux, avec des traités de libre-échange, comme le CETA entre l’Union Européenne et le Canada, qui prévoit notamment d’ouvrir la voie sans droits de douanes à des centaines de milliers de tonnes de viande bovine et porcine.
Mais que faire face à cette dérive ?
Sortir notre secteur agricole de cette ornière libérale qui concerne l’Europe toute entière et va à l’encontre de ce fameux article 33 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 39 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « la politique agricole commune a pour but […] d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent en agriculture ».
La course folle à la « compétitivité », règle d’or du libéralisme, frappe toutes ceux qui travaillent dans le secteur agricole : les producteurs, mais aussi les salariés de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Mais comment agir ?
Il faut porter collectivement une grande politique agricole et alimentaire, en France comme en Europe. Et pour cela, les moyens sont bien là ! Les 50 milliards d’euros que représente aujourd’hui le budget annuel de la PAC ne sont qu’une goutte d’eau au regard des richesses produites chaque année au sein de l’UE : 14 000 milliards d’euros ! Qui peut être crédible en dénonçant le coût exorbitant de la PAC alors qu’il ne représente en fait que 0,35 % des richesses créées ?
Mais n’est ce pas d’abord un manque de volonté politique ?
Oui, il manque une volonté politique forte. Elle ne pourra se concrétiser qu’en s’appuyant sur un large rassemblement populaire et citoyen, impliquant tous les actifs de l’agriculture et du secteur agricole, mais aussi les consommateurs. Cette volonté passe par un tout autre rapport de force avec les tenants du « petit manuel libéral »… qu’ils se trouvent dans les couloirs de la Commission, ou dans les conseils d’administration des grands groupes de l’agroalimentaire et de la distribution. Nous portons là une voie révolutionnaire, quand tous les discours politiques sont irrigués par la langue néolibérale : « compétitivité », « performance », « libre-concurrence »…
Tu parles de rassemblement populaire et citoyen, mais sur quelles bases politiques ?
Il faut repartir des « fondamentaux ». Ainsi, les produits agricoles, base de notre alimentation, ne peuvent pas être considérés comme de simples marchandises soumises aux stratégies spéculatives, alors qu’ils satisfont à un besoin premier de l’humanité. Sans oublier que notre santé, notre bien-être et la dynamique économique et sociale de nos territoires ruraux dépendent des conditions de production et de qualité de ces produits.
Aussi, devons-nous rebâtir un « nouveau pacte agricole et alimentaire » européen fondé sur des points clés : la garantie des revenus, du niveau de vie et d’un haut niveau de protection sociale et salariale de l’ensemble des actifs du secteur agricole ; la montée en qualité de l’ensemble des productions européennes tout en sortant de la concurrence déloyale ; une reconquête de notre souveraineté et de notre sécurité alimentaires avec des outils d’intervention et de garantie.
Mais, n’allons-nous pas en sens inverse quand, par exemple, on impose au monde du travail la loi El Khomri ?
Bien évidemment ! La loi travail est tout le contraire de l’harmonisation sociale par le haut. La bataille que j’ai menée avec les députés communistes, en relais des luttes des salariés et des jeunes, était fondamentale et porteuse d’espoir. Quel dommage qu’une telle mobilisation n’ait pas pu se construire dès 2012 pour pousser d’autres choix politiques que l’alignement sur les politiques d’austérité européennes et l’enchaînement de tant de reculs sociaux.
Comme Président des Député-e-s Front de Gauche à l’Assemblée nationale, comment vois-tu les enjeux des élections présidentielles et législatives de 2017 ?
Je suis pour ma part convaincu que si nous jouons collectif, nous sommes capables de bouleverser les plans de bataille des forces d’argent. Il faut donc un rassemblement le plus large pour trouver les voies de la construction partagée d’un projet d’alternative antilibéral et progressiste. Au cœur d’une crise systémique et d’une République à bout de souffle, cela ne pourra se faire qu’en sortant d’une forme de certitude selon laquelle chacun pourra régler tout seul les problèmes du pays. Une des conditions réside dans notre capacité à impliquer pleinement les salariés dans la construction de leur avenir. Créer un autre rapport de force politique passe déjà par un lien nouveau avec tous ceux qui portent dans le monde syndical des réponses concrètes au service de meilleures conditions de travail et de vie des salariés.