Accords de libre-échange : le peuple ne doit pas rester au pas de la porte
Il y a un an, quasiment jour pour jour, notre assemblée examinait, à l’initiative des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine dont notre ancien collègue Marc Dolez, une proposition de résolution européenne invitant le gouvernement français à organiser un référendum en vue de la ratification du CETA, proposition adoptée alors grâce aux voix et à l’appui de parlementaires de tous bords, transcendant les clivages traditionnels, conscients de l’importance de ce traité de libre-échange, conscients de l’impérieuse nécessité de remettre le peuple au centre des préoccupations politiques.
Un an plus tard, piloté par l’ensemble des forces néolibérales, le rouleau compresseur CETA continue sa marche forcée, faisant fi d’une gronde démultipliée en France, en Europe et au Canada, faisant fi d’un rejet pourtant massif des accords de libre-échange, qu’il s’agisse de la population en général, des salariés aux agriculteurs, mais aussi d’une bonne partie des milieux économiques comme les TPE et les PME, faisant fi de toutes les initiatives citoyennes et politiques prises pour stopper ce bulldozer. Cet appel de la représentation nationale à l’organisation d’un référendum est resté lettre morte, et le peuple demeure sur le pas de la porte. Voilà bien qui symbolise la philosophie qui a présidé aux négociations et à la ratification du CETA : une démocratie loin du peuple, sans le peuple, contre le peuple.
Les négociations menées par la Commission européenne avec le Canada s’étaient d’abord révélées d’une opacité toute singulière, un modèle du genre – mandat inconnu, étendue des négociations floue –, car il en est des malades comme des moisissures, qui poussent à l’ombre. Le processus de signature et de ratification s’est logiquement inscrit dans cette trajectoire avec, parfois, l’irruption soudaine de la démocratie, tel le vote courageux du Parlement wallon en octobre 2016, bloquant – un temps seulement – la ratification de cet accord commercial avec le Canada, irruption insuffisante néanmoins pour faire face aux pressions de toute part et empêcher la signature du CETA.
Comble du comble, au bon souvenir du peuple, on nous dit : « La démocratie va enfin pouvoir s’exprimer. Une consultation du Parlement français est ainsi prévue pour le second semestre 2018 en vue de la ratification définitive. » Quelle farce ! Quelle escroquerie ! Les dispositions relevant des compétences de l’Union européenne, l’essentiel du CETA, sont en effet déjà entrées en application le 21 septembre dernier. Cette application, dite provisoire, couronne un coup de force inédit de Bruxelles et des gouvernements contre la souveraineté des peuples et de leurs représentants. Opacité, éloignement et technocratie, mâtinés de suffisance, de mépris et d’autoritarisme : le CETA symbolise bien tout ce que nos concitoyens reprochent à l’Union européenne.
Comment s’étonner alors de ce terrible retour de bâton que sont les replis nationalistes qui traversent tant de démocraties occidentales ? Comment s’étonner du désamour à l’égard de l’Europe ? Voilà pourquoi, aujourd’hui, seul un référendum et un retour du peuple au premier plan permettraient de mettre un coup d’arrêt à cette dangereuse fuite en avant.
À ce scandale démocratique s’ajoute l’illusion, le mirage de la mondialisation heureuse, porté par les apôtres du libre-échange et du néolibéralisme. Face à l’enlisement des négociations commerciales dans le cadre de l’OMC, les vénérateurs de la part de marché ont trouvé une nouvelle ficelle : celle des accords bilatéraux, visant notamment à restreindre, voire à occulter, tout type de législation en matière d’investissement, de normes et de marchés publics.
Nous avons eu le TAFTA – Transatlantic free trade area –, traité commercial entre l’Europe et les États-Unis, que nous avions déjà combattu sur ces bancs, et dont le CETA est le petit frère cloné ; dans un proche avenir, il sera peut-être question du JEFTA, traité commercial avec le Japon, et d’autres encore, nous dit-on, avec l’Australie ou avec Singapour.
À la fuite en avant démocratique s’ajoute donc une fuite en avant commerciale. Pour les ayatollahs du libre-échange et les marchands du temple – de la croissance infinie –, la solution passe par le grand marché : ce que l’on appelle « norme », ils l’appellent « barrière », ce que l’on appelle « protection », ils l’appellent « frein ». Ce fanatisme du tout-marché conduit à considérer les intérêts commerciaux comme supérieurs aux préoccupations environnementales et aux besoins humains et sociaux. Dans les faits, cette fable se traduit par la mise en concurrence des travailleurs et par l’harmonisation des protections, selon la règle du moins-disant.
Chers collègues, ce soi-disant modèle est pourtant malade des désastres sociaux qu’il crée : le rapport publié par OXFAM – Oxford Committee for Famine Relief – la semaine dernière montrait que, sur 100 euros de richesses créées dans le monde en 2017, les 1 % les plus riches en ont pris 82, les 18 euros restant sont allés aux 49 % en dessous, et zéro pour les 50 % les plus pauvres ! Effaçant la norme, diluant la souveraineté des peuples, il conduit, en toute logique, à la soumission de la puissance publique à des ensembles qui la dépassent désormais : je veux parler des multinationales.
La procédure d’arbitrage intégrée à ce traité en est le symbole. On nous dit que ce mécanisme a été réformé, afin de le rendre plus démocratique face à la mobilisation populaire. Mais, en définitive, l’asymétrie reste la règle et le mécanisme à sens unique : seuls les investisseurs pourront poursuivre un État si celui-ci adopte une décision de nature à compromettre leurs investissements ! Cet outil est une arme de destruction massive à l’égard des peuples et de l’expression de leur souveraineté ! Les peuples demeureront certes libres de légiférer, mais le petit doigt sur la couture du pantalon, sous la menace financière d’un possible recours de la part d’un investisseur. Selon les chiffres officiels des Nations unies repris par l’institut Veblen à propos des mécanismes d’arbitrage, 770 plaintes ont été recensées, et près de 60 % des cas connus ont conduit à une compensation par l’État attaqué, donc par le contribuable.
Je terminerai mon intervention en évoquant les volets agricole et alimentaire du CETA et des accords de libre-échange en cours de négociation, sur lesquels je suis plus particulièrement mobilisé avec les autres députés communistes et l’ensemble des membres du groupe GDR. Toutes les réponses apportées à nos multiples interventions sur les risques encourus, sur l’absence de garanties pour notre souveraineté et notre sécurité alimentaires comme pour l’avenir de nos producteurs, convergent sur un point : il n’y a pas de garanties ; il n’y a que des risques face auxquels il faudrait s’adapter.
Il en va ainsi des 46 000 tonnes de viande bovine canadienne qui vont rentrer sans droits de douane, auxquelles il faudra ajouter bientôt les quelque 100 000 tonnes supplémentaires consenties aux producteurs des pays du MERCOSUR, le Marché commun du sud. J’ai à ce titre bien écouté l’intervention du Commissaire européen à l’agriculture, M. Phil Hogan, que j’ai interrogé le 10 octobre dernier devant la commission des affaires européennes, comme celle du Président de la République lors de ses vœux aux agriculteurs jeudi dernier dans le Puy-de-Dôme. « Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots », dirait la chanson, des mots qui se traduiront en réalité par les mêmes maux pour nos producteurs et les citoyens européens. Chaque fois, j’ai cru entendre la vieille ritournelle de l’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce, M. Lamy, qui récitait sur tous les plateaux télévisés son bréviaire libéral de la théorie des avantages comparatifs. Décidément, les VRP du néolibéralisme sont interchangeables, ils vantent tous les vertus de la mondialisation heureuse et des accords de libre-échange respectueux, les opportunités à défendre, la nécessité de s’adapter en préservant nos intérêts. Mais la réalité est tout autre. Ainsi, les lignes rouges fixées par le Président de la République, défendues il y a une semaine devant le monde agricole, n’auront même pas tenu cinq jours face aux commissaires européens chargés de la négociation avec le MERCOSUR. De qui se moque-t-on ?
En réalité, cette hypocrisie permanente du verbe au regard de la dangerosité des accords de libre-échange démontre combien nous sommes placés devant un débat de fond et de société. Voulons-nous avaler n’importe quoi, pour pouvoir en contrepartie vendre n’importe quoi ? Où plaçons-nous les intérêts alimentaires, sociaux, sanitaires et environnementaux des femmes et des hommes qui vivent sur cette planète ? Plaçons-nous au-dessus les intérêts privés de la finance mondiale ? Voilà la question fondamentale à propos de laquelle les citoyens de notre pays, et les citoyens de tous les pays concernés par ces accords de libre-échange, devraient pouvoir s’exprimer. Voilà pourquoi nous continuerons, comme nous l’avions fait le 2 février 2017, à exiger la tenue d’un référendum sur la ratification du CETA.
Intervention prononcée lors de l'examen de la proposition de résolution sur l'importance démocratique de l'utilisation de la voie référendaire pour la ratification du traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, le 1er février 2018.
Voir l'intervention en vidéo ici.