Présentation de la motion de censure du Gouvernement - 31 juillet 2018
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’ avoir été désigné par les groupes de la Nouvelle Gauche, de la France insoumise et de la Gauche démocrate et républicaine pour présenter cette motion de censure du Gouvernement, responsabilité que j’ai acceptée : « Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat ».
Ensemble, nous avons estimé que l’exécutif a menti pour se protéger. Ensemble, nous avons cherché la vérité, mais vous avez refusé de vous expliquer. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de prendre cette initiative commune afin que les représentants du peuple puissent entendre le Gouvernement et s’exprimer sur sa responsabilité. Ensemble donc, mais chacun restant soi « au cœur du commun combat », avec ses particularités, à l’image de la rose et du réséda d’Aragon ; chacun de nos trois groupes développera sa propre analyse et ses motifs le conduisant à censurer le Gouvernement.
Nous nous retrouverons sans aucun doute sur un constat : l’affaire « Macron-Benalla », révélée par le journal Le Monde, a permis de lever le voile sur la réalité de l’exercice du pouvoir par le Président de la République. Lui, qui avait fait de la moralisation de la vie publique l’une des promesses majeures de sa campagne, se trouve aujourd’hui empêtré dans ce qu’il faut bien appeler un scandale d’État.
Alors que, durant la manifestation du 1er Mai, l’un de ses plus proches collaborateurs, revêtu des insignes policiers, a frappé des manifestants, le Président de la République n’a ni licencié ce collaborateur, ni saisi la justice des faits incriminés. Bien au contraire, il l’a protégé, mettant en application ce précepte bien connu : « On déjoue beaucoup de choses en feignant de ne pas les voir. » Et, quand l’affaire a été révélée, il a répondu après plusieurs jours de silence avec des mots dont l’insolence rivalisait avec la vulgarité.
La réalité, c’est que ce scandale met en lumière des conseillers occultes, une officine parallèle agissant au détriment de personnels sous statut, des privilèges et des passe-droits, un système d’impunité, mais aussi des mensonges et la violation d’une obligation pénale, autant de manquements graves qui affaiblissent l’institution républicaine, nourrissent la défiance des citoyens à l’endroit de leurs dirigeants et amplifient la crise démocratique du régime de la Ve République.
La crédibilité de la parole présidentielle en est largement entachée. Quant à l’image de la France, elle est ternie à l’international. « La scène [où le collaborateur d’Emmanuel Macron malmène des manifestants] est choquante », estime le Washington Post. Pour le quotidien espagnol El Mundo, « le nom d’Alexandre Benalla ternira à jamais le mandat [du président] ». En Italie, La Repubblica souligne que « le scandale Benalla révèle les faiblesses de sa fulgurante ascension vers le pouvoir, ce « hold-up du siècle » mené avec un groupe d’aventuriers ».
Mais, au-delà de l’affaire en elle-même, ce qui apparaît stupéfiant, c’est la gestion de la communication par l’Élysée et le long silence de l’exécutif. Pour les médias allemands, l’image du président a été écornée : « Il était vraiment vu comme le président jeune, dynamique, qui réussit, mais qui a aussi promis d’être irréprochable et plus transparent. »
Pour le groupe GDR et les députés communistes, ce scandale révèle surtout les dérives que produit un régime hyper-présidentialiste. Ce n’est pas une simple petite affaire policière ni le comportement isolé d’un seul homme ou de quelque « cabinet noir » qui sont en cause aujourd’hui. Bien au-delà d’une simple « affaire d’été », pour reprendre les propos d’Alexandre Benalla, c’est précisément l’ultra-concentration des pouvoirs aux mains d’un monarque élu qui sape le principe même de séparation des pouvoirs. C’est le présidentialisme inscrit dans la Constitution de la Ve République qui, une fois de plus, affaiblit l’État de droit, donnant raison à Montesquieu quand il écrivait : « Tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime. »
Un président tout-puissant a ainsi pu s’octroyer le droit de concéder d’extraordinaires prérogatives à un homme de confiance, puis considéré ensuite, lui-même, qu’il n’avait aucun compte à rendre ni à la justice, ni à la représentation nationale, ni même au peuple. En effet, c’est seulement la révélation des vidéos qui a permis la mise en examen du principal acteur et de trois policiers, pour avoir transmis à celui-ci des images de vidéosurveillance.
Découvrant l’affaire en plein examen du projet de réforme constitutionnelle, l’ensemble des députés de l’opposition ont légitimement exigé des explications de la part du Gouvernement et réitéré la demande de création d’une commission d’enquête parlementaire sur les événements du 1er Mai, demande que le groupe GDR avait formulée, quant à lui, dès le 3 mai, pour faire la lumière sur les causes et réalités des violences inadmissibles dans lesquelles s’était déroulé le défilé.
La majorité parlementaire, murée dans le silence, s’est d’abord empressée de rejeter ces demandes. Et, si elle a finalement cédé, c’est sous la pression et la détermination de l’ensemble des groupes d’opposition. Mais les travaux de la commission d’enquête de notre assemblée, chargée de faire la lumière sur les graves dysfonctionnements de l’État entourant cette affaire, n’auront été qu’un feu de paille, s’achevant dans l’indignité, après l’audition de seulement six personnes.
Entravée dans l’exercice de ses missions par la co-rapporteure, présidente de la commission des lois, et les députés du groupe La République en marche, la commission d’enquête ne permettait plus la manifestation de la vérité.
Aussi avons-nous été contraints, comme d’autres, de suspendre la participation de notre groupe à cette mascarade.
Quelle erreur que votre posture, chers collègues de la majorité ! Ce qu’il y a de terrible dans votre refus de faire émerger la vérité, c’est qu’il fait de vous de simples digéreurs, intestins silencieux de la bouche élyséenne. En réduisant votre fonction à une appartenance suprême pour en faire un petit instrument de guerre parlementaire, vous croyez marcher vers votre salut, mais vous cour ez vers votre servitude !
D’autant plus que votre posture est contre-productive et se retournera contre ceux qui vous l’ont dictée. Méditez ces mots de René Char : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » Bien au contraire, chers collègues, votre soumission aveugle vous éloigne de toute lumière. Vous avez ouvert une plaie qui ne se refermera pas !
Dans toute sa violence, le fait majoritaire atteste, une fois de plus, la faiblesse des droits de l’opposition dans cette assemblée. Au-delà de ce mépris patent pour la représentation nationale, les dysfonctionnements graves de nos institutions révélés par l’affaire « Macron-Benalla » soulignent la menace que fait peser cette dérive autocratique sur l’État de droit. L’esprit clanique qui anime le sommet de l’État est contraire aux exigences de la culture républicaine. Il conduit l’exécutif à oublier ce que formulait si bien Roger Caillois : « Tout pouvoir vient d’une discipline et se corrompt dès qu’on en néglige les contraintes. »
Ces circonstances exceptionnelles mettent en exergue combien la teneur du projet de réforme constitutionnelle défendu par la majorité n’est pas à la hauteur de la crise de régime que traverse la Ve République. Le nouveau lifting constitutionnel, imaginé par le Président de la République et promu par votre gouvernement, est voué à consacrer la conjugaison d’un pouvoir présidentiel renforcé et d’une « technocrature » de hauts fonctionnaires (Applaudissements sur les bancs des groupes NG et FI), avec un objectif : que la décision politique échappe aux parlementaires, considérés comme un fardeau.
Dès lors, dans ces conditions, il convient plus que jamais de mettre fin à la discussion parlementaire de cette réforme. Preuve est désormais faite qu’il faut réécrire complètement la Constitution, écrire à des milliers de voix la Constitution d’une VIe République.
Si, malgré cette nécessité impérieuse et évidente, vous imposez que la réforme poursuive son parcours législatif, ayez au moins le courage de porter le débat devant les Françaises et les Français, le courage de faire prendre la décision par le peuple, le courage d’aller jusqu’au référendum.
La crise que nous vivons engage la responsabilité du Gouvernement, mais aussi celle du Président la République, qui a déclaré être « le seul responsable » dans l’affaire dite « Benalla ». Cet aveu de responsabilité n’est pas sans conséquence.
Certes, la Constitution de la Ve République est particulièrement protectrice – et il le sait – à son égard, puisque, selon l’article 67, « le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». Une irresponsabilité de principe qui ne saurait omettre l’hypothèse évoquée par l’article 68, lequel prévoit : « Le Président de la République […] peut être destitué […] en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. »
Dès lors, si les diverses enquêtes ouvertes devaient montrer que les actes commis par Emmanuel Macron constituaient un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », il appartiendrait à la représentation nationale de s’interroger quant à l’opportunité d’enclencher cette procédure de destitution. Le fait, notamment, de ne pas avoir directement ou indirectement demandé à saisir le procureur de la République, comme l’y obligeait l’article 40 du code de procédure pénale, pourrait fonder ce manquement.
Bien évidemment, la responsabilité directe du Président de la République dans l’affaire Benalla ne saurait nous faire oublier la responsabilité du Gouvernement dans la politique menée depuis le début de la législature, une politique sociale d’une violence inouïe à rencontre des salariés, des personnes privées d’emplois, des retraités, des jeunes…
Toutes les réformes menées par le gouvernement depuis un an l’attestent et font que les députés communistes ont mille et une raisons de le censurer, à commencer par la série d’agressions subies par le monde du travail de la part de celui qui assume son titre de « Président des riches », tout en accolant le nom de « réforme » à des mesures qui en réalité ne se justifient que par de s considérations idéologiques d’essence purement néolibérale.
Que d’actes brutaux pour remettre en cause les protections des salariés et augmenter la contribution sociale généralisée – CSG – pour les retraités ! Que de cadeaux aux « premiers de cordée » avec la première loi de finances ! Enfin, après avoir supprimé l’impôt sur la fortune, le Président de la République nous a expliqué que le système de solidarité hérité du Conseil national de la Résistance coûtait un « pognon de dingue » !
La réalité, c’est que la majorité au pouvoir mène la politique économique et sociale rêvée par les 500 plus grandes fortunes de France.
Et ces malheureux en veulent toujours plus, ils en sont « dingues ». Ils sont « dingues » d’avoir seulement multiplié par deux leur « pognon » en dix ans. Cette politique aussi amorale qu’inefficace aggrave considérablement les inégalités économiques, sociales et territoriales.
Des personnels hospitaliers aux enseignants, en passant par les cheminots, les salariés de l’industrie ou de la grande distribution, le malaise se généralise dans le monde du travail, la colère grandit face à une politique de privilèges pour les privilégiés, une politique antisociale, violemment antisociale, fondée sur un modèle de société qui veut normaliser la précarité, détruire notre protection sociale et nos services publics. C’est une politique inefficace et socialement désastreuse, une politique calamiteuse, une politique que nous censurons. C’est pour atteindre plus facilement, plus rapidement votre objectif que vous voulez mettre à bas les valeurs républicaines qui garantissent les droits de chacun. C’est pour cela que vous voulez supprimer les contre-pouvoirs.
Au regard de cette politique du pire, au regard de la crise politique qui affecte le bon fonctionnement des institutions, au regard des dysfonctionnements au sein des services qui relèvent de la tutelle du ministre de l’intérieur, au regard de l’incapacité de notre commission d’enquête parlementaire à assurer sa mission du fait de la stratégie d’obstruction de la majorité répondant aux consignes de l’exécutif, les députés communistes et du groupe GDR vous appellent à censurer le Gouvernement au nom des Français attachés au principe d’égalité devant la loi, au respect des principes de séparation des pouvoirs et de transparence du pouvoir.
Chers collègues, sur quelque banc que vous siégiez, je vous invite à ouvrir les yeux, à ne pas vous laisser enfermer dans des certitudes que l’exécutif veut imposer.
Chers collègues de la majorité, vous vous étiez voués à refaire le monde. La priorité est autre aujourd’hui : faire que notre démocratie ne se défasse pas.
Soyons dignes. Soyons dignes des citoyens que nous représentons. Soyons dignes. Faisons en sorte qu’ils ne soient pas de simples spectateurs. Soyons dignes en portant aujourd’hui leurs aspirations et leurs besoins de justice. Assumons les responsabilités qui sont celles de la représentation nationale. Censurons ce gouvernement !
Je terminerai en disant que j’ai une pensée pour Jean Jaurès, qui est mort un 31 juillet.
Retrouvez la présentation de la motion de censure en vidéo ici :