Décryptage des annonces de Macron

Publié le par André Chassaigne

Des demi-mesures qui exonèrent toujours les plus riches et les revenus du capital

 Que retenir de l’intervention du Président de la République ? Quelle analyse des 4 mesures annoncées en faveur du pouvoir d’achat ? Comme tous ceux qui sont mobilisés depuis des semaines, j’ai cherché à décrypter très concrètement l’impact de ces annonces… et en tirer certaines conséquences.

  1. La hausse annoncée du SMIC de 100 euros n’en est pas une. Ces 100 euros supplémentaires incluent en réalité les exonérations déjà actées de cotisations sociales chômage et maladie (passage de 1 167 € nets à 1 184 € nets en 2018), la hausse automatique du SMIC au 1er janvier 2019 de 1,8 % soit le passage de 1 184 euros à 1210 euros nets, auxquels s’ajouteraient une hausse de 70 euros supplémentaires via la hausse de la prime d’activité (ex RSA activité et prime pour l’emploi) en anticipation des hausses déjà prévues (30 euros en avril 2019, 20euros en octobre 2020 et 20 euros en octobre 2021).

 Pour tous les salariés au SMIC, cette augmentation de revenus lié au versement de la prime d’activité par les CAF n’entraînera donc pas de cotisations supplémentaires, notamment pour leur retraite ou l’assurance-chômage, alors que ces salariés en auraient bien besoin. Il ne s’agit donc absolument pas d’une augmentation de salaire pérenne. D’autre part, le bénéfice de la prime d’activité sera toujours soumis à plusieurs plafonds et conditions, et le choix du Gouvernement de désindexer l’évolution de cette prime de l’inflation va d’ailleurs en raboter une partie.

 Ajoutons que les fonctionnaires ne sont pas concernés, alors qu’un très grand nombre d'entre eux perçoivent de très petits salaires entre 1 et 1,5 fois le SMIC.

 Enfin, cette hausse de revenus sera financée par le budget de l’Etat, donc par le contribuable à travers l’impôt et les taxes… dont nous connaissons tous les mécanismes d’injustice.  

  1. La suppression de l’augmentation de la CSG pour les retraités percevant entre 1 200 et 2 000 euros de retraite est une avancée mais elle est insuffisante. Cette bonne mesure, que nous avons défendue chaque fois que l’occasion s’est présentée, doit toutefois être relativisée. En effet, ce sont bien les revenus du foyer fiscal, et non le revenu individuel de chaque retraité qui sera pris en compte. Si un retraité vivant seul et touchant moins de 2000 euros de pension mensuelle sera bien concerné, en revanche pour un couple, le plafond pour en bénéficier serait de 33 000 euros annuels… soit 1375 euros mensuels pour chaque retraité du couple. D’autant que ce plafond prendra certainement en compte les éventuels autres revenus que le montant de la pension.

 Plus fondamentalement, cette mesure ne remet pas en cause la désindexation de l’évolution des pensions sur le coût de la vie acté par le Gouvernement. Les retraités vont donc continuer à perdre du pouvoir d’achat au regard de l’inflation supérieure, puisque pour rappel, la revalorisation des pensions sera de 0,3 % en 2019 quand l’inflation devrait encore dépasser les 2 % ! Terminons par le fait qu’il ne s’agit que d’un geste de retour en arrière envers des retraités injustement mis à contribution par la hausse de la CSG.

  1. La défiscalisation des heures supplémentaires est un leurre dangereux pour l’emploi et l’avenir de notre Sécurité sociale. Cette mesure qui est très séduisante sur le papier, en particulier pour les salariés aux revenus les plus modestes et souhaitant (pouvant) faire des heures supplémentaires, a un impact direct à la fois sur les recettes de la Sécurité sociale et de l’Etat, mais également un effet sur l’emploi. Notons que le gain net de cette défiscalisation est logiquement beaucoup plus important pour les salariés les plus aisés que pour les salariés les plus modestes relativement au salaire horaire. Qui dit défiscalisation et exonération totale de cotisations sociales salariales et patronales dit aussi perte de recettes pour les caisses de sécurité sociale et perte de droits pour leur avenir pour les salariés concernés puisqu’ils ne cotisent pas sur ces heures (pas comptabilisé pour leur retraite ou leur assurance- chômage en particulier).

 Ajoutons que l’on se demande bien comment vont être prises en compte et rémunérées les millions d’heures supplémentaires effectuées chaque année par les agents des trois fonctions publiques d’Etat, hospitalière et territoriale alors que ces heures ne sont jamais payées et qu’aucun volant budgétaire n’est prévu pour 2019.

 Enfin, le coût de cette mesure en termes d’emplois est loin d’être négligeable, puisque les entreprises auront intérêt à utiliser ce levier défiscalisé plutôt que d’embaucher. Rappelons qu’en 2011, les évaluations économiques faites à la suite de la mise en place de cette mesure du « travailler plus pour gagner plus », chère au Président Nicolas Sarkozy, soulignaient la destruction de 30 000 emplois et un coût total pour les finances publiques de 6,8 milliards d’euros ! Les salariés devraient pouvoir vivre dignement de leur salaire net, et assurer tous leurs droits sociaux et une retraite digne avec leur salaire brut, sans avoir à faire des heures supplémentaires pour essayer de joindre les deux bouts.

  1. La prime de fin d’année ou l’appel sans contrainte à la générosité patronale. Là-aussi, cette mesure apparaît clairement comme très inégalitaire et même risquée : d’abord au regard des différences de moyens entre les TPE-PME et les grands groupes ; ensuite au regard de son caractère facultatif sur lequel ne manqueront pas de s’appuyer les responsables patronaux ; enfin comme moyen de pression pour ne pas accéder à des revendications annuelles de hausse de salaires dans les entreprises en justifiant de l’octroi d’une prime défiscalisée et non soumise à cotisations sociales. Clairement, cette mesure risque d’aggraver les injustices salariales tout en privant les salariés de droits supplémentaires pour leur retraite par exemple.

 S’il faut mettre ces premières mesures à l'actif du grand mouvement populaire qui traverse actuellement le pays, leur impact restera très limité en termes de pouvoir d’achat. Le compte n'y est pas, et pour l’essentiel ces mesures sont prises en charge par l'Etat, donc par les Français.es eux-mêmes… à travers une fiscalité dont l'injustice n’est pas remise en cause !

 Surtout, ces mesures exemptent totalement de responsabilité et de participation à l’effort de solidarité nationale les très hauts revenus et les revenus du capital. Le chef de l’Etat a tout d’abord écarté tout retour de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune avec des arguments totalement indignes sur le fait que cela ne nous ferait pas vivre mieux. Ainsi, les 358 000 contribuables les plus riches du pays, détenant à eux-seuls quelques 1 028 milliards d’euros de fortunes personnelles sont exemptés de tout effort. Le Président de la République maintient son cap : celui de la protection des privilégiés de la fortune.

 Par ailleurs, il n’a annoncé aucune mesure réelle de fiscalisation des revenus exorbitants du capital, notamment des intérêts et des dividendes. Les détenteurs de produits financiers et les champions de l’industrie de la spéculation peuvent se frotter les mains, ils n’auront pas à mettre la main au portefeuille. Quand on connaît l’ampleur des montants échappant à la fiscalité à travers l’évasion et l’optimisation fiscales, on est en capacité de comprendre dans quelle direction le Président de la République, son Gouvernement et sa majorité entendent poursuivre leur action.

 Nous sommes sur ce sujet particulièrement mobilisés. En 18 mois, nous avons d’ailleurs fourni, par nos propositions, plusieurs occasions d’avancer radicalement sur le sujet. Mais nos solutions ont toujours été écartées d’un revers de main. De manière très évasive, Macron a évoqué la lutte contre l’évasion fiscale et le fait que les dirigeants des grandes entreprises françaises devront verser « leurs impôts en France ». Encore heureux ! Le président a aussi fait allusion à la mise en place d’une taxe GAFA, visant les géants du Web comme Facebook et Google, qui réalisent des bénéfices en France… mais cette annonce qui mériterait des décisions urgentes est avancée sans conviction réelle, et semble avoir tout de la mesure fictive avancée comme un petit hochet médiatique… un peu à la manière de la hausse de la taxation sur les transactions financières toujours reportée aux calendes grecques.

 Aucune remise en cause de sa politique ultralibérale n’est à l’ordre du jour. C’est pourtant d’un projet politique cohérent et porteur de mieux-vivre dont nous avons besoin. Les moyens existent pour le concrétiser ensemble au service de l’Humain d’abord et de l’avenir de la planète.

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