Projet de loi PACTE : l'acte de foi d'une majorité fidèle serviteur du néolibéralisme

Publié le par André Chassaigne

   Certains textes de loi ont vocation à être des étendards idéologiques : le projet de loi PACTE est assurément de ceux-là tant il répond point par point aux velléités exprimées par les grands prêtres du néolibéralisme au service des marchands du temple.

 Ce néolibéralisme, vous en êtes, monsieur le ministre, obsessionnellement, aveuglément un fidèle, sans aucun esprit critique. Nous nous trouvons ici face à un projet de loi fourre-tout, à l’instar de la loi Macron promulguée en 2015. Volumineux certes, ce nouveau salmigondis a les mêmes visées : déréglementer, libéraliser, privatiser. Les mêmes visées, mais dans des proportions inédites.

 En apparence, pour reprendre une belle formule de Lautréamont dans les Chants de Maldoror, on pourrait dire que c’est la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’une machine à coudre et d’un parapluie. Il y a une multiplicité des sujets, mais avant tout c’est bien une table de dissection – expression chirurgicale de l’acte de foi du fidèle serviteur du néolibéralisme que vous êtes, et d’ailleurs vous ne vous en cachez pas.

 Fidèles, aveuglément fidèles aux injonctions des organisations patronales, cette majorité – certains par fidélité résignée – et vous-même entendez déréglementer pour nous affranchir des prétendues barrières à l’activité. Pour ce faire, vous vous attelez à supprimer des seuils sociaux en entreprise, quand bien même nous savons que c’est dangereux et inefficace.

 C’est dangereux parce qu’il s’agit, dans le prolongement des ordonnances travail, de réduire les obligations sociales des employeurs en fonction de leur taille. Cela concerne en premier lieu les obligations en termes de mise en place des institutions représentatives du personnel. Ici encore, le mépris des corps intermédiaires est manifeste.

 C’est inefficace, parce que l’impact positif d’un lissage des seuils sociaux en termes de développement économique et de création d’emplois n’a jamais été démontré. Tout démontre même le contraire. Dans une étude de 2011, l’INSEE a fortement relativisé l’impact de la suppression des seuils sur la taille des entreprises. Une enquête réalisée en Italie corrobore le constat et démontre qu’une refonte des seuils ne crée aucun emploi. Cette vieille lubie libérale aura en revanche un effet bien réel : un nouveau recul pour les droits sociaux, une fois de plus sacrifiés sur l’autel d’une supposée rationalité économique.

 Fidèles, obsessionnellement fidèles à la financiarisation de l’économie, cette majorité – certains par fidélité résignée – et vous-même poursuivez l’objectif de parvenir à un plus grand nombre d’introductions en bourse et ce au moyen d’un abaissement des contraintes réglementaires. Non seulement dangereuses pour les petites et les moyennes entreprises, ces nouvelles dispositions dédouaneront un peu plus les banques qui ont vocation à investir et à financer l’économie réelle.

 Plus de dix ans après la crise financière, il est regrettable que le Gouvernement ne tire pas les leçons du passé, à l’aube d’une future crise financière déjà annoncée par un grand nombre d’économistes. Pourtant, vous devez savoir – j’ai déjà utilisé l’image – que sniffer, je dis bien sniffer les bénéfices financiers comme de la poudre blanche n’amène jamais rien de bon.

 Dans la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Keynes écrivait que « la situation devient sérieuse lorsque l’entreprise n’est plus qu’une bulle d’air dans le tourbillon spéculatif. » Voilà un avertissement qu’il est encore temps de suivre, même s’il est peu probable que vous le fassiez. Sans viser qui que ce soit, je précise que Keynes écrivait par ailleurs ceci, qui convient fort bien à ce projet de loi : « Le capitalisme, c’est la croyance stupéfiante selon laquelle les pires hommes vont faire les pires choses pour le plus grand bien de tout le monde. » À méditer.

 Fidèles, obsessionnellement et aveuglément fidèles au désengagement de l’État en matière économique, cette majorité – certains par fidélité résignée – et vous-même procédez au démantèlement de la Caisse des dépôts et consignations – CDC –, quand bien même cette institution fait la fierté de notre pays. Effectivement, loin d’être un fonds d’investissement quelconque, elle est un service public en charge de la protection de l’épargne des Français. Or, à travers ce projet de loi, le rôle de la Caisse des dépôts est dévoyé.

 Aujourd’hui, les parlementaires siégeant à la commission de surveillance travaillent à la protection des fonds d’épargne des Français. Il est évident que, demain, des membres nommés par le ministre de l’économie n’auront pas le même souci de garantir l’intérêt général. En agissant de la sorte, vous rapprochez sciemment la composition et les prérogatives de sa commission de surveillance de celles d’un conseil d’administration ordinaire.

 Parallèlement, sous couvert de dispositions de toilettage et de clarification relatives à la gouvernance de La Poste, votre gouvernement a pour objectif de permettre à la Caisse des dépôts de prendre le contrôle de La Poste tout en se rapprochant de l’opérateur CNP Assurances. C’est une façon fort habile, pour l’État, de se détourner de l’actionnariat majoritaire de La Poste et d’ainsi préparer la privatisation de cette dernière. Ce rapprochement n’est pas sans conséquences sur la nature des fonctions de la Caisse des dépôts, laquelle va se trouver désormais à la tête d’un conglomérat aux activités multiples et diverses.

 Ces bouleversements ne s’opèrent pas sans raison. Avec l’assujettissement de la CDC à la surveillance de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR –, prévue par le projet de loi, il faut s’attendre à voir ce puissant groupe constitué de la CDC, de la Banque postale, de la CNP et de Bpifrance passer, avec ses 1 000 milliards de bilan, sous le contrôle direct de la Banque centrale européenne, comme les autres groupes bancaires systémiques européens.

 Dès lors, comment ne pas considérer cette restructuration des institutions financières publiques comme une étape importante dans la nouvelle soumission de l’État français au capital et aux marchés financiers ? Selon nous, il faut au contraire constituer d’urgence un pôle public financier enclin à résoudre les maux économiques, sociaux et écologiques que traverse notre pays.

 Fidèles, vraiment fidèles, vous l’êtes aussi à la maxime de Ronald Reagan, qui prétend que « l’État n’est pas la solution à notre problème ; l’État est le problème ». Voulant être fidèles à cette maxime, cette majorité – parfois résignée – et vous-même entendez recourir à la privatisation d’entreprises stratégiques.

 Le cas d’Aéroports de Paris – ADP – est le plus symptomatique de la démarche qui vous anime. Voilà une entreprise économiquement prospère qui a permis à l’État de percevoir plus de 1,1 milliard d’euros de dividendes entre 2006 et 2016, avec un taux de marge de 14 %.

 Voilà une entreprise qui, en 2017, a accueilli plus de 100 millions de personnes sur notre territoire, devenant ainsi la première société aéroportuaire au monde. Voilà une entreprise qui demeure un monopole naturel de l’État, qui gère une frontière vitale au cœur de notre capitale économique et politique. Pourtant, vous vous en débarrassez dans ce qu’il convient d’appeler un scandale d’État qui marquera notre histoire. 

 Je dis bien un scandale d’État.

 En effet, prise en dépit du bon sens et de toute logique économique de long terme, cette décision ne vise pas à autre chose qu’à la satisfaction de grands groupes privés nourrissant un appétit pour le modèle économique particulièrement rentable d’ADP. Pour la nation, il s’agit d’une nouvelle perte de souveraineté inacceptable.

 Comment justifiez-vous cet abandon ? Au nom d’un fonds de l’innovation de rupture, qui doit être alimenté pour l’économie de demain ! Mais avec les actifs que constituent ADP et la Française des jeux, il aurait été tout autant possible de garantir la solvabilité de ce fonds !

 La cession de ces entreprises n’est pas seulement une faute économique, une faute politique ou une faute stratégique, c’est également une faute historique. Nous savons que privatiser un monopole naturel ou une activité économique non concurrentielle conduit à de piètres résultats.

 Le scandale de la privatisation des autoroutes est là pour nous le rappeler. Vous n’en avez que faire et malgré l’opposition de toutes les formations politiques du pays, peut-être à l’exception d’une, vous vous obstinez.

 Oui, ce projet de loi fera indubitablement date comme étant l’un des textes les plus aboutis du dogme néolibéral, reprenant en son sein toutes les vieilles recettes qui ont conduit partout à l’échec et au malheur des peuples.

 Les députés communistes feront face à ce projet point par point, certains qu’un autre modèle économique est possible et souhaitable. L’urgence est réelle : nos concitoyens souffrent quotidiennement de ces politiques qui réduisent en cendre leurs aspirations à des jours meilleurs.

 Comme je le fais souvent, sans aucune provocation, je m’adresse en concluant aux collègues de la majorité, même si je ne suis pas certain de les avoir un tout petit peu ébranlés.

 Je m’adresse à vous en vous livrant cet appel de Lise London : « Ouvrez grand les yeux, ne vous laissez pas enfermer dans les certitudes, n’hésitez pas à douter, battez-vous contre les injustices » ! En étant plus prosaïque, je dirai : Arrêtez de vous laisser embabouiner !

 

Intervention prononcée le 13 mars 2019, lors de l'examen du projet de loi PACTE à l'Assemblée nationale. 

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