Oui, Monsieur le Président de la République, la précarité tue !
C’est avec émotion que je m’adresse à vous, Monsieur le Président, avec l’espoir que vous serez sensible à cet appel. Émotion, mais aussi colère, à la suite du drame vécu par un enfant de la République dans notre France de 2019. Anas, étudiant de 22 ans à Lyon, s’est immolé aux portes d’un restaurant universitaire. Brûlé à 90 %, ce jeune homme est toujours « entre la vie et la mort ».
Vous me connaissez suffisamment, Monsieur le Président, pour savoir qu’en exprimant ma colère je ne me livre pas à quelque instrumentalisation politicienne de cette terrible tragédie. Mais vous en conviendrez, ce drame ne relève ni du fait divers, ni de la fatalité. Au-delà de raisons intimes impénétrables, il s’agit d’un cri d’alarme générationnel dont la résonance est foncièrement politique. C’est l’étudiant lui-même qui le reconnaît dans un message qu’il a posté avant son acte de désespoir. C’est la dégradation de ses conditions de vie et sa situation de jeune précaire qui l’ont plongé dans l’abîme. Et c’est explicitement qu’il souligne la responsabilité du gouvernement et de tous ceux qui nous ont engagés sur la voie de la régression sociale.
Vous devez entendre cette parole, Monsieur le Président. L’appel à la dignité et à la solidarité lancé par notre jeunesse mérite mieux que votre aveuglement. Votre silence inexplicable pendant près d’une semaine pourrait être interprété comme une marque d’indifférence. A moins que ce ne soit, pour reprendre Albert Camus dans « l’Homme révolté , « la sécrétion en vase clos d’une impuissance prolongée » ? Au cœur du mouvement des « gilets jaunes », n’aviez-vous pas déclaré ne pas sentir « une colère profonde » dans le pays ?
La jeunesse est l’une des principales victimes de la violence sociale de votre politique. En témoigne votre décision, à peine arrivé au pouvoir, de baisser l’aide personnalisée au logement de 5 euros par mois (soit 60 euros par an, ce qui n’est pas rien pour un étudiant !). Parallèlement, vous avez également marqué l’ouverture de votre quinquennat par la suppression de l’ISF : une suppression à la fois symbolique et symptomatique. Symbolique, elle a été le péché originel de votre présidence, qui a fait de vous « le président des riches ». Symptomatique, elle a éclairé votre conception de l’équité et de la solidarité nationale, au détriment de nos jeunes concitoyens qui en payent le prix fort.
À défaut de « ruissellement », votre politique en faveur des plus riches a produit des résultats implacables pour les plus vulnérables : les jeunes pauvres et précaires sont de plus en plus nombreux, y compris parmi les étudiants, avec pour eux de lourdes conséquences et des injustices intolérables dans la continuation de leurs études. Concrètement, l’appauvrissement des conditions de vie des étudiants et la multiplication des emplois précaires de jeunes pèsent lourdement sur leur capacité à payer leurs factures, leur loyer et leurs besoins élémentaires.
Une dégradation des conditions de vie qui n’affecte pas que les plus jeunes : nos anciens, eux aussi, sont frappés de plein fouet par la cherté de la vie et la baisse continue de leur retraite.
Je le redis, Monsieur le Président, vous devez entendre cette réalité. Et il n’est pas trop tard ! Rappelons-nous qu’en Tunisie, l’immolation de Mohammed Bouazizi, qui avait préféré « mourir plutôt que vivre dans la misère », fut l’événement catalyseur du soulèvement populaire qui a fait chuter le régime de Ben Ali. Aujourd’hui, partout dans le monde, du Chili au Liban, les peuples s’élèvent contre l’injustice et les inégalités sociales produites par les politiques néolibérales menées par des élites coupées des réalités.
En France, le mouvement des gilets jaunes n’est pas éteint : ses racines profondes sont toujours au cœur de votre action. Cette histoire n’est pas terminée. Elle est toujours vivante et anime les forces vives de notre nation qui en appellent aujourd’hui au retour de nos valeurs fondamentales de justice et d’égalité.
Monsieur le Président, écoutez notre peuple, changez de politique avant qu’il ne soit trop tard… ou l’Histoire vous jugera coupable de non-assistance à peuple en danger.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Lettre ouverte publiée dans le journal L'Humanité du vendredi 15 novembre 2019.