Coopérons vraiment pour le climat… et cessons de faire semblant !

Publié le par André Chassaigne

 L’assemblée parlementaire franco-allemande, créée en 2019 et composée de cinquante députés de l’Assemblée nationale et de cinquante députés du Bundestag, a tenu sa troisième réunion de travail mercredi et jeudi 6 et 7 février 2020 au siège du Parlement européen de Strasbourg
 A son ordre du jour figurait l’examen d’une proposition de délibération instituant un groupe de travail « Pacte vert pour l’Europe » (cf. texte en PDF ci-dessous), chargé d’initier une coopération bilatérale dans le domaine de la « protection du climat ».

 Dans les 3 minutes d’intervention qui m’étaient imparties, j’ai porté une appréciation extrêmement sévère sur le contenu de cette délibération.
 A quoi servait-il en effet de présenter 3 pages de banalités, voire de vœux pieux d’inspiration libérale, sans définir concrètement l’objet et le contenu de la coopération que nous souhaitons initier ?
 La référence à la « protection du climat » intervenait ainsi à 15 reprises dans la délibération présentée, la référence à la « réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) » à seulement 2 reprises. 

 En 2020, affronter la situation, et engager une démarche efficace en matière climatique, c’est commencer par dire la vérité et cesser de vouloir esquiver le fond des problèmes avec des « gloubiboulgas technocratiques » tels que ce texte.
 Affronter la situation, c’est affirmer clairement que l’humanité est confrontée à un défi climatique qui lui impose de réduire drastiquement ses émissions de GES dans un délai si contraint qu’il appelle des mesures radicales et un engagement des pouvoirs publics sans précédent. 
 Affronter la situation, c’est dire que nos deux pays (et plus globalement l’ensemble des pays de l’Union européenne), portent une responsabilité historique dans le cumul des émissions passées, et donc une responsabilité première en matière de réduction d’émissions jusqu’à la neutralité et le stockage de carbone. 
 Affronter la situation, c’est commencer par être précis, et rappeler les fondamentaux scientifiques. Comment cette délibération pouvait-elle omettre de faire référence aux derniers travaux du GIEC, notamment au rapport « + 1,5°C » de 2018, et aux trajectoires et scenarii d’émissions qui nous sont imposés pour relever le défi climatique ? 

 Plutôt que de surfer pendant 3 pages sur le sens commun climatique, la première partie de cette délibération aurait donc dû rappeler ces données scientifiques. Elle aurait dû présenter des éléments concrets de nos bilans d’émissions nationales respectives, de nos « empreintes carbone » respectives intégrant nos émissions importées, de nos « budgets carbone » disponibles pour tenir des engagements climatiques responsables.  

 Plutôt que d’ergoter sur « les chances et les possibilités nouvelles » du changement climatique, les vertus intrinsèques du nouveau « pacte vert pour l’Europe » ou d’anticiper sur la future efficacité « de l’élargissement des systèmes d’échanges de quotas carbone », la seconde partie de notre délibération aurait mieux fait de présenter nos niveaux d’émissions secteur par secteur au niveau national, nos actions politiques en cours et nos difficultés, celles que nous envisageons, secteur d’émission par secteur d’émission, pour répondre concrètement aux objectifs fixés par le GIEC. 

 J’ai ainsi été totalement stupéfait par l’affirmation, à l’alinéa 6 du texte, selon laquelle, « nos deux pays donnent déjà le bon exemple ». 
 Je me suis ainsi permis de rappeler aux parlementaires présents, que l’empreinte carbone de la France progresse de façon continue ces dernières années, à 11,2 tonnes équivalent CO2 par habitant en 2018. C’est le résultat de la croissance vertigineuse des émissions associées aux importations. Elles ont doublé depuis 1995  (de 211 millions de tonnes équivalent CO2 annuelles en 1995 à 425 millions de tonnes équivalent CO2 en 2018) en lien direct avec les choix libéraux d’abandon de notre outil industriel et de promotion des délocalisations ! 
 Je me suis aussi permis de rappeler aux parlementaires présents que l’Allemagne fait toujours partie des plus mauvais élèves au niveau européen comme mondial en matière d’émissions nationales de gaz à effet de serre, avec une moyenne de 11,3 tonnes d’équivalent CO2 par habitant en 2017 (source Eurostat), en lien direct avec des choix énergétiques qui continuent de privilégier le recours aux énergies fossiles carbonées que sont le charbon et le gaz.
 La méthode « Coué » et l’autocongratulation n’ont absolument aucune efficacité climatique. Les belles envolées n’autorisent toujours pas la « transsubstantiation » du dioxyde de carbone ou du méthane en eau ou en oxygène.

 Si nous avions voulu être vraiment efficaces comme parlementaires des deux pays, la dernière partie du texte aurait dû rappeler et préciser nos engagements respectifs, avec leur échéance, leur trajectoire annuelle, et les conditions de notre coopération, secteur émetteur par secteur émetteur. 
Coopérer vraiment, c’est se fixer des objectifs partagés, dégager les moyens budgétaires et financiers d’y parvenir, mettre en œuvre des politiques publiques à la hauteur, les contrôler et les évaluer pour les adapter.
L’initiative d’un groupe de travail bilatéral franco-allemand aurait donc dû présenter concrètement l’objet et le niveau de notre coopération sur les enjeux que nous connaissons :
- en matière de baisse de nos consommations d’énergie et d’efficacité énergétique,
- en matière de baisse des émissions dans le secteur des transports et de mobilité décarbonée, 
- en matière de baisse des émissions de l’industrie de l’énergie, et d’atteinte d’un mix électrique totalement décarboné,
- en matière de relocalisation et d’efficacité énergétique de notre industrie,
- en matière d’isolation et de rénovation thermique du secteur résidentiel – tertiaire,
- en matière de relocalisation et de qualité écologique et nutritionnelle de nos productions agricoles,
- en matière de politique internationale pour stopper la course folle aux accords de libre-échange et à la croissance des échanges internationaux, qui entrent en totale contradiction avec tous nos engagements climatiques.

 C’est de cela dont nous devrions parler aujourd’hui dans un groupe de travail parlementaire commun. Mais rien de tout cela n’a été abordé à l’occasion de cette réunion et dans cette délibération, dont le seul objectif discernable (et inavoué) était d’apporter une caution bienveillante au Pacte vert et néolibéral pour l’Europe porté par la nouvelle Présidente de la Commission européenne. 

 

 

Télécharger la proposition initiale de délibération instituant un groupe de travail « Pacte vert pour l’Europe » soumise aux député-e-s en PDF ci-dessous :

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