Si nous voulons décarboner l'Europe...
Intervention lors de l'examen du Rapport d'information sur l'indépendance énergétique de l'Union européenne, le 24 juin 2020 devant la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale.
Je voudrais tout d’abord saluer la qualité du rapport d’information présenté aujourd’hui, et en particulier sa première partie qui fournit un constat objectif de la réalité de la situation énergétique européenne et de la croissance de notre dépendance.
A ce titre, il dénote très largement de propos trop souvent angéliques, voire fantasmés, sur notre situation énergétique et sur notre capacité à régler cet enjeu stratégique au niveau européen par des coups de baguette magique, la baguette fusse-t-elle verte ! Il ne serait d’ailleurs pas inutile d’avoir dans le rapport une analyse de la croissance de la dépendance au gaz russe en particulier pour la production électrique, et de les mettre en relation avec les choix de soutien public et d’investissement des vingt dernières années en faveur d’énergies renouvelables intermittentes et non pilotables comme l’éolien pour certains pays.
Je n’en partage pas en revanche toutes les analyses sur la transition énergétique, notamment sur les capacités et les impacts de productions électriques décentralisées, et pas non plus tous les outils, mais nous pouvons nous retrouver sur les principales priorités des recommandations.
Dans ce bref temps d’échange sur un enjeu aussi déterminant pour notre avenir, je reviendrai sur les 2 éléments qui me paraissent prioritaires :
Premièrement, si nous visons plus d’indépendance énergétique européenne, et si nous voulons décarboner l’Europe, il faut investir massivement dans la baisse de nos consommations énergétiques et l’efficacité des usages de l’énergie. Il faut donc baisser drastiquement et rapidement nos consommations et nos émissions de GES des secteurs du bâtiment et des transports.
C’est la mère des batailles ! Votre rapport le dit.
Mais cette mère des batailles est d’abord budgétaire ! Il n’y a pas d’autres moyens d’agir que de soutenir à vitesse grand V la rénovation thermique globale du parc de logements et de bâtiments publics, et de mettre le paquet sur le transfert des usages du véhicule individuel et des transports routiers, d'une part vers des modes doux et les transports en commun pour les véhicules individuels, d'autre part vers le transport ferroviaire et fluvial pour le transport de marchandise.
Si nous partageons ce constat, il faut non seulement s’assurer que le plan de relance européen aille dans ce sens, mais que notre engagement budgétaire national aussi ! Je pose ainsi cette question ouverte aux rapporteurs, comme à vous tous mes chers collègues : êtes-vous prêts à défendre et à dégager dès le prochain budget national 2021 les 10 à 15 milliards d’euros nécessaires pour un soutien efficace à la rénovation thermique annuelle de 700 000 logements en France et des bâtiments publics ?
De la même façon, êtes-vous prêts à réinvestir massivement dans notre réseau ferroviaire et sur l’offre de fret alors que nous faisons tout le contraire depuis 20 ans ? La décarbonation du secteur des transports passe par l’investissement dans le réseau ferroviaire pour les mobilités du quotidien, dans les infrastructures et les aménagements pour les modes les plus sobres en carbone (marche, cycles) et les transports en commun doivent s’accompagner d’engagements financiers de l’Etat à une toute autre hauteur. En lien avec les autorités organisatrices de la mobilité sur les territoires, l’accès du plus grand nombre aux transports collectifs en allant jusqu’à leur gratuité doit être soutenu par l’Etat et de nouvelles recettes (voir notamment notre proposition de loi visant à encourager la gratuité des transports collectifs urbains et périurbains, 2018).
Deuxièmement, sur la dimension de la production et de la distribution d’énergie. Je partage totalement la nécessité de stopper le soutien aux énergies fossiles et de travailler à rehausser les prix du carbone. Mais je ne crois pas en revanche aux vertus intrinsèques, ni à la réactivité et à l’efficacité indispensables du seul marché pour sortir de l’impasse climatique et énergétique.
Il nous faut au contraire construire de puissants outils publics nationaux et européens et en garantir les moyens. L’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050, et la baisse des émissions de 50 à 65 % d’ici 2030 (dix ans !) n’est pas quelque chose d’important, c’est vital pour espérer contenir l’emballement climatique, respecter l’Accord de Paris et assurer un monde vivable pour nos enfants et petits-enfants.
Nous continuons de défendre l’impérieuse nécessité d’une véritable planification énergétique européenne et nationale, adossée à un pôle public de l’énergie et de l’efficacité énergétique regroupant l’ensemble des entreprises et services publics qui produisent, transportent, stockent, distribuent et commercialisent de l’énergie ou qui fournissent des services énergétiques. (Proposition de loi France Energies des députés communistes de 2016). Seul un pôle public intégré sera en capacité d’assurer la trajectoire de baisse de nos consommations d’énergie finale, d’accompagner les besoins d’électrification des secteurs les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre comme les transports ou le chauffage, de sécuriser les approvisionnements en énergie du pays, de garantir un droit d’accès effectif à l’énergie pour tous, particuliers ou entreprises, et d’assurer un développement équilibré des territoires.
Je souhaite aussi tout naturellement, que dans le cadre de sa mutation écologique profonde, la Commission soit un jour en capacité de mettre de côté son bréviaire libéral pour faire ce choix de l’efficacité climatique avec un pôle public européen de l’énergie. Permettez-moi d’en douter.