Plan de relance européen : allons-nous accroître encore notre dépendance aux marchés financiers ?

Publié le par André Chassaigne

 Depuis la présentation le 27 mai dernier devant le Parlement européen par Ursula Von der Leyen du plan de relance et des propositions de budget de long terme pour l’UE 2021-2027, la plupart des débats ont tourné sur la question de la mutualisation des financements et de la part de chaque Etat dans le plan.
 

 Mais les questions qui devraient concentrer nos débats devraient être plutôt : 
- comment sont levés les fonds du plan de relance ?
- par qui et à quoi sont-ils destinés, dans quels secteurs et avec quelles priorités politiques ?
- sur quelle conditionnalité, en particulier pour le secteur privé, et avec quelles exigences démocratiques sur le contrôle de leur utilisation ? 

 

 Or, force est de constater que ni la communication de la Commission, ni le fond des débats du Conseil ne portent vraiment sur ces 3 questions.
 

 1- La question de l’origine des fonds et des financements du plan de relance est essentielle. Or, nous voyons bien qu’il s’agit une nouvelle fois de faire appel aux marchés financiers !

 Next Generation, c’est 750 milliards d'euros  levés sur les marchés financiers !

 Il n’est pas prévu d’asseoir ces financements nouveaux sur une « monétisation par la BCE » mais bien de les assurer par le recours aux marchés financiers, c’est-à-dire d’accroître un peu plus la dépendance des Etats pour la part des investissements publics qui seront ouverts par le plan, aux marchés.

 Et la pression des marchés ira toujours dans le même sens : baisse des dépenses publiques socialement utiles, en matière de santé, de protection sociale, de transition écologique… je ne me fais aucun doute là-dessus !

 Nous nous dirigeons une nouvelle fois, avec ces modalités de financement du plan de relance vers un contresens économique, sociale et historique alors que les peuples européens exigent plus de protections et l’urgence d’un modèle social et écologique européen renouvelé.

 La question de la mutualisation des « Coronabonds » (vécue par certains en France comme une grande victoire politique !) est intéressante, mais elle s’appuie sur une foi renouvelée dans ceux qui sont à l’origine de la crise qui avait commencée bien avant  la pandémie de COVID 19.

 Le pouvoir de création monétaire de la BCE doit au contraire être pleinement utilisé pour se dégager de la pression des marchés et des opérateurs financiers si l’on veut assurer une bonne orientation des investissements d’avenir.  

 C’est la raison pour laquelle  les communistes continuent de défendre la création d’un « Fonds européen de développement économique, social et écologique», géré démocratiquement, hors marché financiers, parce que financé directement  par la  création monétaire de la BCE, ce qui est autorisé par  l’article 123 alinéa  2 du traité de Lisbonne, dès lors que ledit fonds  aurait  le statut d’établissement de crédit.
 

 2- J’en viens donc à la question des choix d’investissement d’avenir. Je vous avoue que les orientations tracées par la Commission et sans doute le Conseil me paraissent très inquiétantes… même si elles ne m’étonnent pas puisqu’elles ne sont absolument pas décidées démocratiquement !

 Puisque c’est la Commission qui décide, les choix qui se dessinent sont ceux, et purement ceux, de la finance et de la rentabilité financière des activités : il faut soutenir les profits !

 La Zone euro est comme « enlisée dans la finance » et ce ne sont pas les enjeux humains, sociaux et environnementaux de notre siècle qui sont prioritaires.

 Sérieusement, financer le déploiement de la 5G et le développement des services des secteurs bancaires et assurantiels sont-ils des priorités pour le monde d’après, alors que nous avons un besoin urgent de moyens pour le développement de nos services publics, notamment de santé et de protection sociale au regard des besoins sociaux qui explosent, pour le développement de nos systèmes publics de transports ou énergétiques, et pour la préservation de l’emploi,  des qualifications et des savoir-faire.

 Il faut des institutions publiques pour une planification stratégique, avec des engagements chiffrés, au lieu de mots démagogiques sur la « souveraineté , le « green deal européen » ou la « résilience » de nos sociétés.

 Un mot d’ailleurs sur le secteur stratégique qui m’est sans doute le plus cher : où parle t-on de notre vision agricole et alimentaire, de l’agroécologie et de la sécurité alimentaire des 500 millions d’Européens, dans ce plan de relance ? 
 

 3- Avec quel contrôle, quelle conditionnalité. Là, c’est le flou le plus total… ou plutôt le laisser-faire le plus dangereux.

 Je crains le « business as usual » !

 Conforter les agents économiques les plus forts, c’est-à-dire les grands groupes transnationaux pour leur assurer de la visibilité quant à leur rentabilité financière et la distribution de revenus financiers, et espérer un ruissellement vers les agents économiques les plus en difficultés… On habille tout cela de « résilience » et de « green deal » et le tour serait joué. Non !

 Nous avons besoin d’une reprise en main démocratique de nos grands choix économiques d’avenir, de nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises pour orienter les productions vers les enjeux stratégiques du XXiè siècle ! 
 

 J’en termine par un constat inquiétant : alors que nous discutons ici des résultats du Conseil du 19 juin, je ne peux m’empêcher de penser que nos dirigeants européens continuent de sous-estimer l’ampleur et les effets de la récession économique et de la crise sociale et humaine qui viennent.

 Avec une baisse du PIB de la zone euro estimée à 7,5 % en mai, et sans connaître les suites et les hypothèses d’un retour de la pandémie, ce sont des millions d’emplois supplémentaires qui seront supprimés. L’UE doit se préparer à la perspective d’une crise sociale de très grande ampleur et prévoir des outils d’intervention économique et de solidarité sanitaire et alimentaire d’urgence.

 

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Intervention lors de l'audition devant la Commission des Affaires européennes de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État aux affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen du 19 juin 2020.

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M
Tellement de coups d'épée dans l'eau!!! <br /> Cette marée montante et implacable de la finance envahit tout. Et les mots, les idées, les intentions et les bonnes résolutions n'y peuvent décidément rien. <br /> Je crains la lassitude des peuples, résignés, et qui ont perdu la foi dans le verbe que vous maniez décidément si bien Mr Chassaigne.<br /> Dès lors, loin de s'opposer à l'inondation, ils vont finir par se révolter, les gilets jaunes en sont peut-être les prémices.<br /> Michel
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