La guerre sans nom des Etats-Unis contre Cuba
L'attentat perpétré dans la nuit du 26 au 27 juillet dernier contre l'Ambassade de Cuba en France n’est pas à prendre à la légère. C’est un acte terroriste révélateur du climat entretenu à l’encontre de son petit voisin cubain par « le plus important Empire de tous les temps depuis l’Empire romain », pour reprendre l’expression de Fidel Castro : une guerre qui ne dit pas son nom.
Les armes d’une guerre moderne
Après l'échec du débarquement de la Baie des Cochons en 1961 et des centaines de tentatives d’assassinat de Fidel Castro, après les multiples entreprises de déstabilisation visant à éliminer le régime cubain et l'aggravation graduelle du blocus qui asphyxie depuis 1962 l’économie et accable au quotidien le peuple, la volonté d’anéantir le régime cubain a pris une dimension inédite avec les armes de la guerre moderne. Elles ne sont cependant pas sans nous rappeler les propos que tenait José Marti en 1895 durant sa lutte pour l’indépendance et la souveraineté de Cuba, une des dernières colonies espagnoles : « La plus grande guerre menée contre nous est une guerre de la pensée ». Dès 1891, dans « Nuestra América », il avait mis en garde l’Amérique Latine contre l’impérialisme des Etats-Unis, fondé sur la doctrine de James Monroe, 5ème Président des Etats-Unis, qui considérait dès 1823 que le continent américain était une zone réservée de son pays. Au point que les Etats-Unis ont pris possession de Cuba en 1898 avec l’habillage médiatique, déjà, d’une intervention humanitaire, avant d’accorder une indépendance purement formelle en 1902.
Aujourd’hui, plus que jamais, les États-Unis, par les réseaux sociaux qui sont à leur main avec des moyens financiers en augmentation constante, s’échinent à mettre la population cubaine sous tension. Ils appellent à se révolter contre la situation de pénurie qu'ils créent eux-mêmes par leur blocus totalement illégal, amplifié par l’extraterritorialité du droit américain, bras armé d’un impérialisme qui viole sans scrupule le Droit international. Il s’agit pour eux de diviser la nation cubaine, de la fragmenter et recroqueviller sur les intérêts personnels au détriment du collectif. En faisant apparaître le paradigme libéral comme le seul garant de la prospérité et l’individualisme-roi comme la solution à tous les malheurs, ils visent une cible privilégiée : la jeunesse, prête pensent-ils à se jeter dans le miroir aux alouettes de la société marchande.
Diffusant la haine par leur caricature de la situation cubaine et à coups de fake news, ils sont les initiateurs des rassemblements de juillet dernier qui se sont tenus à l’intérieur du pays mais aussi contre les représentations diplomatiques cubaines à l'étranger, dont l’attentat contre l’Ambassade parisienne est un prolongement, traduisant la violence des groupes extrémistes opposants au régime cubain. Ces groupes sont ouvertement financés par deux organismes nord-américains : l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAI) et la Fondation nationale pour la démocratie (NED), qui est une émanation de la CIA bénéficiant des subsides de sociétés multinationales américaines telles que Coca-Cola, Goldman Sachs, Google et Microsoft.
La société cubaine d’aujourd’hui est heureusement construite sur des bases solides. L’éthique de ses dirigeants et la maturité du peuple cubain génèrent une intelligence collective pas prête d’être balayée par les vents de l’ouest venus du grand voisin yankee. Aussi, le peuple cubain a répliqué en masse, des centaines de milliers de citoyens descendant dans la rue pour exprimer son soutien au processus révolutionnaire, au point que certains médias ont détourné des images de ces rassemblements pour les attribuer à des manifestations massives de contestation du régime cubain, faisant croire au monde que le temps de l’effondrement du régime était arrivé.
La stratégie américaine priorise une guerre médiatique sur la violation des droits de l’Homme au sein de la société cubaine, relayée par nombre de médias occidentaux, à l’indignation aussi sélective que fallacieuse, qui occultent non seulement les terribles effets du blocus sur le quotidien des Cubains mais aussi l’ingérence permanente des Etats-Unis qui entraîne inéluctablement des mécanismes de contrôle des groupuscules contrerévolutionnaires qu’ils financent. Il est bien évident que la liberté d’expression est directement liée à la sécurité de l’Etat qui ne peut laisser prospérer une dissidence ouvertement financée par un Etat hostile et créant une menace permanente, interne comme externe. Bien au contraire, une opposition politique indépendante d’une puissance étrangère, honnête et attachée à l’intérêt général, serait autrement bénéfique à l’amélioration du système politique tout en favorisant le développement de la démocratie du socialisme cubain. D’autant plus que l’espace du débat critique est déjà une réalité de la vie politique cubaine, s’exerçant sous des formes diverses à tous les niveaux de la société, des expressions citoyennes aux propos des plus hauts responsables de l’Etat.
Le meilleur exemple en est le bouillonnement démocratique qui a animé en 2018 le peuple cubain pour réformer sa Constitution : trois mois de débats passionnés sur le projet de texte qui avait été adopté par l’Assemblée Nationale. Sur 11,2 millions de Cubains, plus de 7 millions ont participé à plus de 100 000 débats organisés dans les quartiers et villages, sur les lieux de travail et à l’université. Le projet soumis à l’analyse populaire a fait l’objet d’un nombre considérable de propositions d’amendements. Puis, à l’issue de cette consultation populaire, une nouvelle mouture du texte a été présentée et adoptée à l’Assemblée Nationale avant d’être soumise au référendum le 24 février 2019. Une belle leçon de démocratie active ! Un acte fort, exemplaire, à l’opposé de ce que nous vivons en France avec le refus des majorités successives de mettre en débat dans le peuple une nouvelle Constitution alors que celle de la Ve République est à bout de souffle.
Pour générer une colère populaire et faire lever une révolte, les Etats-Unis veulent créer une situation de chaos et laisser croire que le gouvernement cubain est en déliquescence et ne maîtrise plus la situation. Aussi mettent-ils tout en œuvre pour tirer profit des difficultés qu’ils engendrent par le blocus, considérablement aggravées par l’activation du titre III de la loi Helms-Burton, qui freine les investissements étrangers en exigeant la restitution des biens immobiliers et fonciers aux descendants de leur anciens propriétaires exilés, et par les 243 mesures contraignantes adoptées par Trump qui provoquent une pénurie de denrées alimentaires, de pétrole et de médicaments. Bien évidemment, les files d’attente pour acquérir les produits de première nécessité sont difficiles à supporter et revêtent un caractère humiliant pour le peuple cubain. Des productions de biens manufacturés sont rendues impossibles au regard du surcoût d’achat de matières premières, dû à l’embargo. Les investissements publics sont bloqués par l’impossibilité d’importer des matériaux de construction pour des équipements publics. N’oublions pas que le blocus concerne toutes les importations, investissements et partenariats qui ont plus de 10 % de composants financiers et techniques étatsuniens et qu’il s’applique à l’ensemble des entreprises de la planète !
S’y ajoutent les difficultés liées au Covid-19, notamment avec l’effondrement du tourisme qui est un pilier de l’économie cubaine, déjà affaibli par les décrets de Trump imposant la suppression des croisières et des restrictions supplémentaires aux séjours touristiques. Non seulement cette situation réduit à néant l’entrée de devises étrangères sur le sol cubain, mais elle porte aussi un coup dur à l’actualisation du modèle économique, initié en 2008 par Raùl Castro et gravé depuis dans le marbre de la Constitution, qui permet les investissements étrangers et une liberté d’entreprendre, certes encadrée mais bien réelle. Elle a déjà permis à 600 000 cubains, soit 15 % de la population active, d’avoir une activité légale « à compte propre », allant des petits métiers du quotidien à des restaurants ou entreprises touristiques. L’activité de nombre d’entre elles est non seulement liée au niveau de vie de la population locale, mais aussi à l’accueil des touristes. Ceux qui ont fait ce choix sont violemment frappés par la crise actuelle, d’autant plus que beaucoup bénéficiaient de l’apport financier de proches devenus citoyens américains, dont les envois de fonds sont aujourd’hui limités de façon drastique par les mesures imposées par la présidence Trump.
Ces constats nous conduisent à ouvrir quelques voies de réflexion sur les motivations de Joe Biden dans sa volonté de maintenir l’objectif de mettre un terme à la révolution cubaine.
La protection des droits de l’homme ?
Un des socles de la nouvelle diplomatie américaine est d’afficher la protection des droits de l’homme en portant « un ordre mondial en harmonie avec ses propres valeurs démocratiques », comme s’y était engagé Biden durant la campagne électorale. Concernant Cuba, cet affichage prend une dimension schizophrénique quand les Etats-Unis rendent public, fin juillet dernier, une lettre signée par une vingtaine d’autres pays, dénonçant le régime cubain pour ses violations des droits de la personne alors que l’ONU reconnaît Cuba comme un des pays les plus avancés en médecine sociale, en éducation, en travail solidaire. Cette lettre a notamment été signée par la Colombie où on compte des milliers de citoyens arrêtés dans les manifestations organisées pour dénoncer le règne d’Ivan Duque et où la répression prend la forme d’assassinats politiques par des groupes à la solde du régime avec l’exécution de plus de 100 personnes depuis début 2021. Parmi les signataires, on trouve aussi le Brésil de Jair Bolsonaro dont la politique génocidaire de la gestion de la crise sanitaire a fait plus de 550 000 morts, l’Equateur où le gouvernement fait appel aux forces armées pour réprimer les manifestants, ou encore la Pologne qui est bien loin d’être, au sein de l’Union Européenne, une référence en matière de respect des droits de la personne. Que de tels gouvernements mettent en cause avec autant d’hypocrisie la violation des droits fondamentaux au sein de la société cubaine nous laisse aussi pantois qu’indignés. D’autant plus que s’il y a un endroit sur l’île de Cuba où on enferme sans jugement et où on torture en toute quiétude, c’est bien dans l’enclave de Guantanamo, occupée illégalement par les Etats-Unis qui refusent de la restituer.
Cette stratégie de lancement d’une campagne sur la répression à Cuba s’est cependant soldée par un échec cuisant au sein de l’OEA (Organisation des Etats Américains). La plupart des Etats membres ont en effet refusé de tenir une session pour discuter de la « situation » sur l’île de Cuba, dont l’objectif était de provoquer des troubles et de lancer une campagne sur la répression pour justifier une intervention « humanitaire » et provoquer un changement de régime. Créer « un couloir humanitaire pour aider le peuple cubain » supposait bien évidemment l’envoi de forces armées, difficilement réalisable sans la caution de l’OEA.
Une affaire de politique intérieure ?
L’élection de Biden avait insufflé un espoir sur le devenir des liens des Etats-Unis avec Cuba, dans la continuité du rétablissement des relations diplomatiques initiées par Barack Obama, avec un voyage historique sur l’île en 2016. Aussi attendions-nous une amélioration des relations des Etats-Unis avec Cuba, même si nous avions conscience que le processus de normalisation pouvait prendre du temps. D’autant plus que les démocrates américains contrôlent le Congrès et que Biden peut utiliser les prérogatives dont il dispose en tant que Président pour retirer Cuba de la liste des pays parrainant le terrorisme, inscription imposée par Trump sans justifications et entraînant des sanctions supplémentaires.
Force est de constater que la théorie du chaos de Donald Trump reste la ligne de conduite de celui qui était alors non seulement le vice-président d’Obama mais aussi partie prenante de ce rapprochement historique et de l’engagement de réduire les sanctions décrétées en janvier 1961. Doit-on voir dans ce reniement le poids de la politique intérieure des Etats-Unis, la perspective des élections de mi-mandat conduisant Biden à ménager les électeurs de Floride, sous influence des réseaux anticastristes ? Dans ce contexte, pour le Président des Etats-Unis, le maintien de sa faible majorité au Sénat et le renforcement de sa majorité à la Chambre des représentants comptent plus que le peuple cubain, et encore davantage aujourd’hui, son crédit politique venant d’être considérablement amoindri par l’épisode catastrophique du retrait de l’Afghanistan.
Il faut aussi prendre en compte le basculement géostratégique marqué par le retrait du Moyen-Orient et la volonté de réorienter l’interventionnisme des Etats-Unis. Il s’agit désormais de réhabiliter l’hégémonie et la « légitimité » d’un impérialisme étatsunien ébranlé sur ses terrains de prédilection, notamment l’Amérique latine.
Cuba : un exemple à briser
Mais n’occultons pas la volonté pérenne d’annihiler les succès de la Révolution et de briser l’exemple cubain. « Je viens chercher à Cuba la preuve que nous avons encore une chance ». Ces propos de Jean-Paul Sartre dans France-Soir, le 14 juillet 1960, sont toujours d’actualité. C’est de l’exemplarité de la Révolution cubaine dont il est question.
Symbole de la solidarité entre les peuples, la politique cubaine a pris une dimension intolérable pour les Etats-Unis, avec notamment l’intervention de brigades Henry Reeve lors de catastrophes naturelles et graves épidémies. Faut-il rappeler l’envoi en 2017 de milliers de médecins en Afrique de l’Ouest pour lutter contre le virus Ebola ? Les valeurs humaines et solidaires du personnel de santé cubain ont une nouvelle fois été démontrées dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 et internationalement reconnues. Les brigades Henry Reeve soignent des milliers de patients en étroite collaboration avec les pays les accueillant. Pour la seule crise sanitaire du Covid-19, 28 000 collaborateurs de santé cubains (qualifiés de « médecins esclaves » par la rhétorique étatsunienne !) sont intervenus dans 58 pays, ont pris en charge plus de 80 000 patients et sauvé jusqu’à présent plus de 13 000 vies. De plus, l’élaboration de 5 vaccins cubains, dont trois ont obtenu cet été l’autorisation d’utilisation d’urgence avec des taux d’efficacité entrant dans les critères de l’OMS, valorise encore davantage le système médical cubain qui devrait permettre de vacciner entièrement la population d’ici octobre-novembre de cette année. Encore faut-il que Cuba puisse disposer des seringues et des aiguilles dont les livraisons sont bloquées par l’embargo !
En annonçant son souhait de mettre ses vaccins à disposition des peuples les plus en difficultés, l’Etat cubain montre une voie opposée à celles du mercantilisme sans limites des multinationales du médicament et aux simples effets de manche de Biden sur la levée des brevets. Ces annonces ne peuvent que heurter la doctrine « America first » de la suprématie américaine et expliquent le blocage de toute importation de médicaments de fabrication étatsunienne, en violation de la Convention de Genève, pour que Cuba ne puisse pas acquérir les médicaments et équipements médicaux indispensables à la production de masse de vaccins qui deviendraient un bien commun de l’humanité.
Dans cette guerre non déclarée mais bien réelle contre Cuba, l’enjeu est avant tout d’imposer le paradigme libéral comme seule norme de gouvernement d’un pays. Le rouleau compresseur de la mondialisation néolibérale ne peut tolérer un autre horizon que sa pensée et son modèle politique uniques. Nourrissant trop l’imaginaire d’une autre société pour les autres peuples, à l’opposé de la société où l’individualisme est roi, Cuba est l’exemple à abattre.
L’avidité du capitalisme américain
Ne commettons pas non plus l’erreur d’occulter une autre raison majeure de plus de 60 années d’offensives contre Cuba. A l’issue de sa lutte historique contre le colonialisme espagnol, la grande île caribéenne a été vassalisée par les Etats-Unis qui n’ont jamais pu admettre qu’elle sorte de sa zone d’influence. A 150 km des côtes de Floride (distance équivalente de la Corse à la France continentale), Cuba reste une proie de choix pour les intérêts du capitalisme américain qui rêve de faire à nouveau main basse sur une économie dont le pouvoir révolutionnaire a pris le contrôle pour la mettre au service de tous les Cubains. Rappelons qu’avant la Révolution, les entreprises étatsuniennes contrôlaient, entre autres, 100 % de la production de nickel, 90 % de l’industrie des télécommunications, 70 % du raffinage de pétrole et du marché national des médicaments, 50 % des chemins de fer. Quant à l’agriculture, elle était aux mains d’une oligarchie locale avec une monoculture de canne à sucre pour l’exportation. 3 % seulement des paysans possédait leur terre et la malnutrition frappait une grande partie de la population.
Par le durcissement du blocus, l’objectif des Etats-Unis est aussi d’empêcher les investissements d’autres pays, notamment européens, pour laisser le champ libre, le moment venu, aux entreprises américaines, qui sont dans les starting-blocks dans l’attente de l’ouverture du marché cubain.
Avec la fin de la révolution cubaine et le retour en force des intérêts américains, émergerait inéluctablement une société faite d’injustices et de discriminations, à l’opposé de ce qu’est aujourd’hui la société cubaine qui met tout en œuvre pour le partage. L’île sombrerait dans un capitalisme brutal et prédateur, fait de richesses soudaines, à l’image des oligarques qui ont prospéré sur les ruines des anciens pays socialistes, et engendrant des pauvretés durables comme c’est le cas chaque fois que les intérêts égoïstes prennent le pas sur la prise en compte de l’intérêt général et des politiques sociales.
Nos combats à mener
Contrairement à ce que nous pouvons penser, la réalité du blocus n’est pas vraiment connue de la grande masse de la population de notre pays. Il nous faut donc amplifier nos expressions médiatiques pour briser le mur du silence qui occulte ce blocus assassin. Faisons-le à partir d’exemples concrets. Et ils ne manquent pas ! Mettons le doigt sur les privations et souffrances engendrées, les difficultés qui rongent le quotidien. Valorisons la résistance digne et courageuse du peuple cubain.
Il faut aussi s’attaquer aux dégâts faits dans les têtes par la propagande distillée depuis des années par les forces libérales et leurs porte-voix médiatiques. Une bataille ininterrompue qui a secrété au fil du temps une vision déformée de la réalité cubaine, avec l’objectif de déconsidérer aux yeux du monde l’édification d’une société nouvelle et d’un état souverain par un « petit » peuple de 11,2 M d’habitants, et sur une terre si proche des Etats-Unis. Face à la conviction, parfois de bonne foi, que le peuple cubain est sous le joug d’une dictature le maintenant dans la misère, il faut donc prendre le temps d’expliquer ce qu’il en est. Les arguments ne manquent pas pour ceux qui connaissent la réalité cubaine.
Mais si ces explications parviennent à ébranler, elles ne suffisent pas toujours à convaincre. « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » écrivait René Char. Il faut donc être lucide sur l’état actuel de Cuba, ne rien cacher des réalités et donc en aucun cas occulter les erreurs et les échecs. Dans la continuité de propos maintes fois tenus par Fidel Castro,. Raùl Castro avait exprimé sa volonté « d’éradiquer les erreurs commises en plus de cinquante ans depuis le 1er janvier 1959, et les nouvelles qui peuvent se produire à l’avenir ». Cette lucidité politique est aujourd’hui relayée par le Président Miguel Diaz-Canel, qui ne cache rien des défis auxquels est confrontée l’économie cubaine et des progrès à concrétiser dans de multiples domaines, appelant à construire en urgence « l’amélioration de l’action gouvernementale ou de la gouvernance au niveau national ».
Aussi, ce n’est pas s’ériger en donneur de leçons, mais au contraire donner de la force à nos propos, que de parler par exemple de la bureaucratie paralysante au service d’une centralisation excessive, de l’absence de motivations due à un collectivisme stérilisant les énergies, des réalités d’un quotidien faisant de la débrouille un sport national. Dire ces réalités et en expliquer les causes permet de mieux comprendre les choix actuels du pouvoir cubain avec des réformes mûrement réfléchies, engagées « sin prisa, pero sin pausa » (sans précipitation mais sans pause), et une évaluation permanente de leur effet sur le mieux vivre de l’ensemble de la population.
Nous devons amplifier notre mobilisation pour accompagner Cuba dans le respect de ses choix. Tout d’abord en développant une solidarité sans failles pour aider le peuple cubain à surmonter ses difficultés du quotidien. Il nous faut saluer dans ce contexte douloureux les actions conduites par de nombreuses associations amies de Cuba avec notamment l’envoi de matériel médical, par des collectivités comme l’agglomération de St-Brieuc qui est un exemple d’aides apportées dans des domaines divers, par des organisations de la CGT qui se mobilisent pour affréter des containers de matériel pour pallier les graves pénuries provoquées par le blocus.
Il nous faut aussi porter avec toujours plus de force l’exigence d’une normalisation des relations des Etats-Unis avec Cuba se concrétisant par la fin du blocus et dans le respect de quatre principes fondamentaux : souveraineté, réciprocité, non-ingérence dans les affaires intérieures et égalité entre les Parties. C’est le sujet central, celui que le Président Miguel Diaz-Canet a placé en tête de toutes les priorités : « la férocité et la folie du blocus économique commercial et financier des Etats-Unis contre Cuba ». Là est pour nous la reine des batailles à conduire pour freiner les visées interventionnistes des Etats-Unis, protéger la tranquillité et le bien-être de la population, sauvegarder l’unité nationale et défendre la souveraineté et l’indépendance du pays.
Comme l’a proposé récemment l’ancien président brésilien Lula, il faut appeler à la tenue d’une table ronde entre Cuba et les Etats-Unis pour lever l’embargo et empêcher les tentatives d’un pays d’interférer avec un autre. Fort opportunément, Lula recommande à Biden de « jeter la haine accumulée pendant 60 ans et d’appeler le gouvernement cubain à discuter ». Ces propos rejoignent ceux tenus en avril dernier par Raùl Castro à la tribune du Congrès du Parti Communiste Cubain : « Je confirme, à ce congrès du parti, la volonté de nouer un dialogue respectueux, une nouvelle forme de relations avec les Etats-Unis sans prétendre que, pour y arriver, Cuba, renonce aux principes, de la révolution et du socialisme ».
Il est en effet temps de trouver une solution pour lever le blocus et mettre fin au siège économique, commercial et financier des Etats-Unis. C’est ce qu’a rappelé la résolution présentée pour la 29e fois aux Nations-Unies, le 23 juin dernier, et approuvée par 184 pays, avec seulement 2 oppositions (Etats-Unis et Israël) et 3 abstentions (Colombie, Brésil et Ukraine).
Que fait la France ?
A l’Assemblée générale des Nations Unies, la France a toujours voté la demande cubaine de levée du blocus des Etats-Unis. Elle a aussi toujours maintenu de bonnes relations bilatérales. Au sein de l’Union européenne, elle a été active pour lever la « Position commune » qui alignait la diplomatie de Bruxelles sur celle de Washington. Mais elle peut faire bien davantage. Encore doit-elle avoir la volonté politique d’affronter les Etats-Unis. Je pense en particulier à l’humiliation et au silence de la France quand la banque BNP Paribas a dû s’acquitter d’une amende faramineuse de 6,6 milliards d’euros pour avoir eu une activité financière dans des pays soumis aux embargos américains, ou quand le Crédit Agricole a été condamné pour les mêmes raisons par la justice américaine à une amende de 787 millions de dollars. La pression est telle que la Société Générale a annoncé début juillet, la fermeture dans un délai de 2 mois des comptes de l’Ambassade de Cuba à Paris sous la contrainte de l’extraterritorialité de l’embargo des Etats-Unis. Un autre exemple, parmi les plus récents, est la condamnation de la société française de transport de containers, CMA-CGM, poursuivie par un tribunal étasunien et risquant une amende de 1 milliard d’euros.
Comment accepter sans réagir que le blocus américain soit imposé à tous les pays du monde ? La France ne pourrait-elle pas être à la tête d’un front du refus ?
Nous attendons aussi que le gouvernement français soit davantage une force motrice dans la continuité des actions de coopération engagées avec Cuba, entravées aujourd’hui par l’acceptation du caractère scandaleusement extraterritorial de l’embargo, voire par le non-respect d’engagements financiers pris avec Cuba et le blocage d’accords conclus entre nos deux pays, non seulement par crainte de sanctions à l’encontre de nos banques et entreprises, mais aussi pour ménager les Etats-Unis.
Cela passe par le respect de l’accord du 12 décembre 2015 sur la dette cubaine signé par Cuba avec ses créanciers occidentaux, regroupés dans ce qu’on appelle « le Club de Paris ». L’accord a porté sur un réaménagement de la dette, réduite au paiement des seuls arriérés des prêts initiaux. Principal créancier, la France a converti 230 millions de dollars « en projets de développement à Cuba à titre d’effort bilatéral additionnel ». Cette clause a permis l’ouverture en 2016 d’un bureau de l’Agence Française de Développement (AFD) à La Havane, avec l’objectif de dynamiser des projets structurants dans la durée. Il nous faut donc être attentifs pour que l’accompagnement financier des institutions françaises se concrétise en les menant à terme.
L’activation du titre III de la loi Helms-Burton, le 2 mai 2019, a conduit à remettre en cause plusieurs volets de l’accord de dialogue et de coopération signé entre l’Union Européenne et Cuba le 16 décembre 2016, ratifié par la France le 7 février 2019. C’est notamment le cas du partenariat de la SNCF avec Cuba permettant un transfert de technologie et la remise à niveau d’ateliers d’entretien du matériel roulant sur l’île, financé par l’Agence Française de Développement (AFD) dans le cadre de la politique de coopération de la France.
En guise de conclusion
J’ai souhaité écrire ce texte comme « devoir de vacances », profitant de la trêve estivale pour prendre le temps de me livrer à la lecture de nombreux articles, interviews et témoignages pour analyser la situation cubaine. Certains retrouveront des traces de leurs écrits récents dans ce texte de synthèse.
C’est en effet notre devoir de défendre plus que jamais Cuba, soumise aux assauts, d’une violence inouïe, orchestrés par les Etats-Unis contre l’idéal socialiste qu’incarnent si bien nos amis cubains, à l’opposé des logiques mortifères d’un capitalisme débridé que rien ne semble arrêter.
Cet engagement ne date pas d’hier. Il est profondément ancré en nous depuis 1959, année décisive où nous avons su que se jouait à des milliers de kilomètres de la France une pièce historique extraordinaire, mettant en scène un peuple en train de briser les chaînes de l’impérialisme. Mais Cuba et sa Révolution ne sont pas seulement un symbole à défendre par des militants politiques en mal de nostalgie. Cuba vaut pour le présent et le futur. Tournée vers la jeunesse et les personnes âgées, proposant une politique d’éducation universellement reconnue et obtenant des résultats exemplaires en matière de santé, la révolution cubaine est plus que jamais un modèle à opposer aux sociétés libérales financiarisées où les plus riches font la loi.
Cuba est aujourd’hui l’espoir que la pensée socialiste vaudra toujours mieux que cette folle idéologie à l’œuvre dans les pays occidentaux, qui consiste à dire que l’Homme est un loup pour l’Homme, alors qu’il faut au contraire poursuivre l’idéal de fraternité et de solidarité promu par le socialisme révolutionnaire.
Je remercie vivement mes amis de « Cuba Si France» pour leur proposition de relayer ce texte en le diffusant à notre fête de l’Huma 2021.
Très attaché à une réflexion collective, conscient des limites de mon analyse, je serai bien évidemment preneur des observations qui pourraient être formulées à sa lecture. Chacun peut me les faire parvenir à « chassaigne.a@wanadoo.fr ».
André CHASSAIGNE