La revalorisation des pensions des paysans, des conjoints-collaborateurs et des aides familiaux : une fusée à trois étages
Vincent Roy. Cette loi pour la revalorisation des retraites des paysans, ne la portez-vous pas depuis 2017 ?
André Chassaigne. La revalorisation des retraites de ceux que l’on appelle les non-salariés agricoles (les exploitants, chefs d’exploitations) est le fruit d’un cheminement. Il y avait eu des avancées successives notamment à l’initiative du député socialiste Germinal Peiro (aujourd’hui président du conseil départemental de Dordogne), mais ces avancées furent insuffisantes – même si je les aie toujours saluées comme de premières étapes. Je compare souvent cette revalorisation des pensions à une fusée à plusieurs niveaux, plusieurs étages. En 2016, j’avais travaillé avec l’Association nationale des retraités agricoles de France (l’ANRAF) et aussi avec une commission au sein de la FNSEA (commission qui regroupe ce que l’on nomme les « aînés »), puis encore une autre commission au sein de la Confédération paysanne, tout cela avec un seul objectif : que les retraités de l’agriculture puissent atteindre un revenu équivalent à 85 % du SMIC. En 2017, ils étaient à 75 % du SMIC et encore, il fallait pour cela qu’ils remplissent deux conditions : la première, avoir une carrière complète d’exploitant agricole, la seconde, avoir été 17 ans 1/2 chef d’exploitation. Voilà ce qui avait été voté à la fin de la mandature précédente, mais bloqué au Sénat par la nouvelle majorité (la majorité actuelle), si bien que la première lecture que nous avions eue en 2017 ne s’était pas concrétisée. En 2020 donc, j’ai inscrit cette proposition de loi (par conséquent en deuxième lecture puisqu’elle n’avait pas pu être votée par le Sénat tellement le gouvernement l’avait modifiée), et, dans un délai très court, elle est passée au Sénat, on a réussi à la faire voter et elle a été actée début juillet 2021.
VR. Est-ce le premier étage de la fusée qui porte à 85 % du SMIC les pensions des retraités agricoles qui bénéficient d’une carrière complète d’agriculteurs dont 17 ans 1/2 en tant que chefs d’exploitations ?
AC. Oui, en effet. Les retraites avoisinent ainsi les 1 000 euros. C’est le minimum vieillesse en fait ! Mais, d’un commun accord avec l’ANRAF, étaient laissés sur le bord du chemin, si j’ose dire, les conjoints-collaborateurs (essentiellement des conjointes d’ailleurs) et ce qu’on appelle les aides-familiaux. Donc, cette année, nous sommes retournés à la charge.
VR. Pour le second étage de la fusée ?
AC. Voilà. Ce que nous voulions, c’est étendre le bénéfice de ces 85 % aux conjoints-collaborateurs et aux aides-familiaux.
VR. À quel montant se hissaient, hier, les pensions des conjoints-collaborateurs ?
AC. C’était de l’ordre de 400 euros. Il y a bien un statut de conjoint-collaborateur mais avec de faibles cotisations d’où ce montant. Il faut le dire, ces retraites étaient « minables », scandaleuses. Principalement, elles sont adressées à des femmes qui, toute leur vie, ont travaillé à la ferme. Elles ont travaillé autant que leur mari. Autant si ce n’est davantage car, en plus du travail de la ferme, elles se sont occupées des enfants, elles ont assuré les tâches ménagères. Quant aux aides-familiaux sur les exploitations, ce sont des frères, des sœurs, des cousins : eux aussi bénéficient de retraites « minables ». Donc l’objectif de la seconde loi présentée cette année consistait à mettre à niveau les chefs d’exploitations, les conjoints-collaborateurs et les aides-familiaux.
VR. Avez-vous obtenu tout ce que vous souhaitiez ?
AC. Hélas non, car il y a eu un blocage sur la proposition loi qui, il est vrai, coûtait cher (il faut le reconnaître). Le gouvernement a considéré qu’il s’agissait là d’une dépense trop importante (350 millions d’euros par an). Mais j’ai quand même réussi à faire bouger les choses par le biais de leviers techniques. Le gouvernement n’a pas voulu accorder des points gratuits de retraite aux conjoints-collaborateurs comme aux aides-familiaux mais j’ai tout de même réussi à obtenir une augmentation. Au final, la proposition de loi qui a été votée à l’Assemblée en première lecture permet une augmentation moyenne des pensions de 100 euros mensuels pour les conjoints et les aides. 210 000 personnes sont concernées. Il faut signaler encore, pour être complet, que je me suis heurté à un blocage du ministre du Commerce et de l’Artisanat quant à l’attribution de points de retraite gratuits : il considérait, non à tort d’ailleurs, que ce que l’on accordait aux conjointes des agriculteurs, il fallait l’accorder à celles des artisans ou commerçants (ce qui n’est pas le cas). Si bien que je vais déposer à la fin de l’été une proposition de loi qui, cette fois, va s’intéresser aux conjoints des artisans et commerçants. Leur situation n’est peut-être pas aussi précaire que celle des conjoints des agriculteurs mais ils ont aussi de toutes petites retraites.
VR. Et le troisième étage de la fusée ?
AC. Eh bien, il est capital que les pensions des conjoints et des aides des agriculteurs n’en restent pas à 100 euros d’augmentation. Ils doivent percevoir une retraite qui soit à la hauteur de celle des chefs d’exploitations. Je vais continuer de me battre. D’autant que j’ai appris, en menant des auditions, que des milliers de femmes d’exploitants agricoles (personne n’en connaît, au vrai, le nombre exact), ne furent jamais déclarées, ne sont pas déclarées et, par conséquent, n’ont jamais cotisé comme conjoint-collaborateur. Et donc n’ont pas de retraite. J’ai demandé à avoir un état des lieux. Il y a des milliers de femmes de paysans qui n’ont aucun statut. C’est incroyable. Je ne veux donc pas en rester là. J’en ai pris l’engagement.