Les ouvriers agricoles, ces invisibles de l’agriculture
La Fédération Nationale de l’Agroalimentaire et de la Forêt (FNAF-CGT) organisait le 1er décembre dernier, à votre invitation, un colloque à l’Assemblée nationale, quel était son objet ?
J’ai été sollicité il y a quelques mois par la FNAF-CGT pour organiser au sein même de l’Assemblée nationale un colloque sur la situation et les conditions de travail des ouvriers agricoles. C’était pour moi très important de les accueillir.
Car, comme ils le disent eux-mêmes, ce sont les « invisibles de l’agriculture ». Ils représentent pourtant près d’un million de travailleurs dans notre pays : ouvriers agricoles et des travaux agricoles, ouvriers vignerons, ouvriers forestiers, saisonniers des filières du maraîchage et des grandes cultures, cueilleurs, gardiens de troupeaux, ouvriers assurant l’entretien des machines agricoles, salariés du vétérinaire et de l’insémination... Notre pays compte bien plus d’ouvriers et de salariés agricoles que d’agriculteurs exploitants ! C’est grâce à leur travail que l’appareil productif agricole et agroalimentaire de notre pays continue de tenir.
Justement, pourquoi avoir parlé de « travailleurs invisibles » ?
Je l’ai dit lors du colloque, on ne parle qu’exceptionnellement de la situation des ouvriers agricoles dans les débats parlementaires consacrés à l’agriculture. Cette « invisibilité » procède d’une volonté politique de dissimuler une partie des travailleurs de la terre et de l’agroalimentaire. Sans doute parce que leur situation est le symbole des dérives de notre système agricole, avec une concentration et une spécialisation des exploitations, et des structures toujours plus capitalistiques. Ces dynamiques - que nous contestons en défendant le maintien de fermes à taille humaine et familiales - conduisent inexorablement à l’externalisation croissante de travail agricole sous forme salariale.
D’autre part, l’agrandissement des exploitations pousse à la baisse des prix d’achat des productions, à la recherche de rentabilité et aux transferts de la valeur ajoutée vers les géants de l’agroalimentaire et de la distribution. Ainsi, la pression est extrêmement forte pour ne pas parler de ces travailleurs de l’ombre. Certains ont même redécouvert subitement leur rôle de « première ligne » au moment de la première vague du COVID 19. Mais il n’a jamais été question de renforcer leurs droits !
Que retenir de ce moment fort ?
Il faut mettre le projecteur sur ce que sont les ouvriers agricoles aujourd’hui, pour rendre visibles leurs combats et leurs revendications. Je tiens à saluer la force exceptionnelle de leurs témoignages. Leur engagement syndical au service du collectif force le respect, voire l’admiration. Il se fait dans des conditions souvent très difficiles au regard de leur isolement et, trop souvent, du mépris patronal auquel ils doivent faire face.
Notre intention avec ce colloque était à la fois symbolique, en rassemblant plus de 200 ouvriers agricoles venus de toute la France. Mais surtout constructive, pour porter un état des lieux très concret de leur vécu, qui fasse progresser leurs droits et leurs conditions de travail.
C’est grâce à l’intense bataille menée par la FNAF-CGT, dans une démarche unitaire aux côtés des autres organisations syndicales, qu’une convention collective nationale de la production agricole et des CUMA a pu être adoptée et garantir des droits acquis sur l’ensemble des territoires.
Mais beaucoup reste à faire, que ce soit pour faire respecter ces conquis en contrôlant l’application des textes conventionnels, ou faire reculer la précarité dans tous les métiers de l’agriculture : hausse des salaires, refonte des contrats saisonniers ou occasionnels (TESA-TODE), reconnaissance des qualifications, droit à la formation et au logement, lutte contre la multiplication des sociétés éphémères et du travail dissimulé, responsabilisation des donneurs d’ordre… Nous travaillerons avec mon groupe à ce que ce colloque inédit trouve des prolongements législatifs dans les mois à venir. ♦