Motion référendaire : comment la majorité a fait la courte échelle au RN
Tribune publié dans Marianne le 21/02/2023.
Le député communiste, président du groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) à l'Assemblée nationale, dénonce la méthode, cynique selon lui, grâce à laquelle la majorité a permis l’examen de la motion référendaire déposée par le Rassemblement national, alors que deux autres motions avaient été déposées, notamment par la Nupes.
Le 6 février dernier, le groupe du Rassemblement National a défendu à l’Assemblée nationale une motion tendant à soumettre au référendum la réforme des retraites. C’est celle-ci que la majorité a choisie bien que deux autres motions aient été présentées. Derrière ce qui a pu donc apparaître comme un simple désaccord d’interprétation des dispositions du règlement de l’Assemblée nationale, c’est en réalité un choix politique aux conséquences majeures qui a été clairement exprimé.
RÈGLEMENT ET POLITIQUE
En faisant, délibérément et arbitrairement, le choix de la motion du RN, la majorité choisissait ainsi son opposition sur la réforme des retraites. Entre les groupes de gauche et le RN, elle a préféré l’adversaire le moins susceptible de mettre en péril la réforme des retraites voulue par le président de la République. En effet, la majorité savait pertinemment que la motion portée par le RN n’aurait que très peu de chance d’aboutir, tandis que celle portée par les quatre groupes de gauche était susceptible de recevoir un large suffrage. Loin de se livrer à une simple appréciation sur la procédure, c’est bel et bien à une instrumentalisation de la procédure que s’est livrée, pour son plus grand avantage, la majorité présidentielle.
Un simple retour sur la chronologie des événements illustre cette manipulation du règlement. Le lundi 23 janvier, 98 députés des 4 groupes de gauche déposent une motion référendaire, conformément à l’article 122 du Règlement. Son dépôt a été acté le lendemain en Conférence des Présidents. Le soir même, ce sont 60 députés du groupe RN qui déposent une motion. Nous aurions pu penser que la première déposée serait celle choisie. C’était sans compter sur le scénario écrit par la présidence de l’Assemblée nationale qui a mis en avant une vision très discutable de la procédure parlementaire. Certes, l’article 122 est silencieux sur la possibilité de déposer plusieurs motions, et en l’absence de « précédents », il revenait à l’Assemblée de définir une règle applicable.
COMMENT BAZARDER LE TIRAGE AU SORT
Nous avions plaidé pour définir la règle la plus objective possible : elle figurait dans la table analytique du Règlement où il est spécifié qu’une seule motion peut être déposée. La présidence aurait simplement pu s’appuyer sur cet indice pour refuser le dépôt d’une seconde motion. Elle ne l’a pas fait au motif que l’on ne pouvait restreindre « sans fondement textuel l’exercice d’une prérogative constitutionnelle ». Les groupes de la majorité et du RN ont donc acté en Conférence des Présidents le principe du dépôt de plusieurs motions. Ces mêmes groupes ont retenu, sur cette base, qu’il convenait dès lors de procéder à un tirage au sort. Alors qu’ils auraient pu établir un parallèle avec les motions de censure – qui procèdent, comme la motion référendaire, d’une prérogative constitutionnelle – afin de retenir la première motion déposée, ils ont préféré établir un parallèle plus que douteux avec les motions de rejet afin de légitimer un tirage au sort.
Un tirage au sort qui n’a pas été réalisé, dans les règles, sur la base d’un vote pondéré (lequel aurait donné plus de chance à la motion déposée par les 98 députés) comme le veut la coutume parlementaire pour les motions de rejet préalable. Le refus d’appliquer le parallélisme des formes dans son ensemble nous a conduites légitimement à dénoncer une interprétation juridique qui visait à laisser plus de chance à la motion du RN. Comme le disait Eugène Pierre, auteur d’un célèbre Traité de droit politique, électoral et parlementaire, notre Règlement « est un instrument redoutable aux mains des partis ». De manière redoutable, la majorité a ainsi préféré les interprétations qui favorisaient très nettement le groupe du RN. Cela ne dispensait pas pour autant la présidence, à qui le devoir de neutralité s’impose, de veiller à ce que cette nouvelle règle établie par une décision non consensuelle, s’applique à toutes les motions référendaires déposées.
CYNISME POLITIQUE
Or, confirmant les choix politiques opérés tout au long de cette phase du débat parlementaire, la présidence a décidé, seule, de refuser de donner sa chance à une nouvelle motion déposée le premier jour de l’examen du texte, comme l’autorise le règlement. Cette motion, déposée par 58 nouveaux députés de cinq groupes différents, aurait dû, tout naturellement, conduire à un nouveau tirage au sort pour déterminer laquelle de ces trois motions référendaires devait être soumise au vote de l’Assemblée. C’est, en effet, la règle qui avait été déterminée la semaine précédente pour écarter la motion de gauche au profit de la motion de l’extrême droite. La présidence a refusé ce tirage au sort sombrant dans le cynisme politique, et a ainsi laissé une tache indélébile sur notre institution.
Les justifications alambiquées autour des délais de dépôt, qui étaient pourtant respectés, ont mis à jour la détermination de la majorité à écarter toute autre motion que celle du RN. Il s’agit d’un véritable déni de démocratie, un coup de force politique indigne du devoir d’impartialité qui incombe à la présidence de l’Assemblée Nationale. Ce choix opportuniste de faire la courte échelle au Rassemblement National, au détriment de toutes les autres forces progressistes de notre hémicycle combattant la réforme des retraites, est venu abîmer encore un peu plus notre Parlement.