Amalgamer tous les conflits dans un même souvenir : pour quelle histoire ?
En cette année 2012, le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie aurait dû contribuer à engager une réflexion de fond sur l’histoire des conflits où notre pays et nos combattants ont été engagés, et sur les moyens de reconnaître les souffrances endurées et les sacrifices consentis par tous les combattants et populations civiles.
Une fois de plus, en cette semaine de cérémonie commémoratives du 19 mars 1962, la grande majorité des élus de notre pays ont souligné l’importance de la reconnaissance de cette date comme Journée nationale du souvenir et du recueillement. C’est, en effet, le lundi 19 mars 1962, à midi, que le cessez-le-feu décidé à la suite des accords d’Évian fut appliqué sur tout le territoire algérien. La date du 5 décembre, retenue pour la commémoration, ne correspond à aucun événement particulier du conflit algérien.
Mais c’est malheureusement sur un autre chemin, et avec une autre méthode, que le Président de la République et son Gouvernement ont choisi d’éluder ces questions, en faisant passer en vitesse, à la fin des travaux du Parlement, un projet de loi conduisant, de fait, à fixer au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
Seuls les parlementaires et sénateurs communistes, républicains et du parti de gauche ne l’ont pas voté. Notre refus était fondé sur un désaccord de fond.
Dès l’après-midi du 11 novembre dernier, j’avais écrit au Président de la République, après avoir écouté son message : « En mêlant ainsi, indistinctement, tous les champs de bataille, vous accréditez l’idée que le combat des poilus sacrifiés à Verdun en 1916 aurait le même sens que la mort de nos malheureux engagés militaires français tombés à Diên Biên Phu en 1954, en Indochine. Pensez-vous aussi que mourir sous les balles et les obus nazis, dans le verrou de Sedan ou au Mont Mouchet, a la même signification que d’être, hélas, tué sur les rives du canal de Suez en 1956, ainsi que lors des guerres coloniales passées et actuelles ? »
Dans mon esprit, il ne s’agit aucunement de faire un tri entre les victimes des « bonnes » et des « mauvaises » guerres, ou de hiérarchiser les conflits. A la tribune de l’Assemblée nationale, j’ai d’ailleurs repris à mon compte les mots de l’ANACR (Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance) dans une déclaration du 12 novembre dernier : « Tous les conflits eurent leur spécificité, tous s’accompagnèrent de lourds sacrifices arrachant des femmes et des hommes à l’affection des leurs, meurtrissant les corps et les âmes de nombre de ceux qui y survécurent, laissant dans la conscience des familles et de la nation une empreinte indélébile. »
Mais en confondant des événements et engagements qui n’ont pas la même portée historique et humaine, le risque est que tout soit fondu dans une même condamnation abstraite de la guerre, qui empêche de réfléchir sur ses causes. En ne distinguant plus les situations, en unifiant les conflits, on aboutit à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permet plus de comprendre le passé et de construire lucidement l’avenir. Mais peut-être est-ce là l’objectif recherché, si l’on en juge par la place désormais accordée aux programmes d’histoire dans l’enseignement secondaire, une place qui se réduit comme peau de chagrin.
Chronique parue dans le journal La Terre.