Ces biens de section… qu’on liquide !
L’Assemblée nationale examinait la semaine dernière une proposition de loi présentée par le sénateur cantalien PRG Jacques Mézard, adoptée par le Sénat, et soutenue par le Gouvernement, « visant à moderniser le régime des sections de commune ». Ce texte ne visait en réalité qu’à remettre en cause l’existence de ces biens privés collectifs qui ont pourtant permis de maintenir une population sur de nombreux territoires ruraux et participé à la mise en valeur de terres agricoles et espaces forestiers.
Ces sections de commune ont généralement été cédées en des temps anciens à des communautés villageoises, tout simplement parce qu’on ne voulait pas que les serfs partent en ville pour « s’affranchir »… et devenir ainsi des hommes libres. Les seigneurs avaient besoin de cette main-d’œuvre et c’est pour la maintenir sur place qu’ont été octroyés en jouissance des biens collectifs. Dès 1789, le législateur révolutionnaire a ensuite conforté et étendu, par plusieurs décrets, la notion de biens appartenant à des fractions d’habitants. Aux XIXe et XXe siècles, sans ces biens collectifs, dans des départements comme la Lozère, l’Aveyron, le Cantal, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme, la désertification aurait été beaucoup plus forte, voire rédhibitoire pour le maintien de la vie rurale. Il n’était pas possible de vivre sur de petites exploitations sans ces revenus complémentaires.
En fait, le texte de loi qui nous était soumis a été construit et amendé avec la ferme volonté de pousser rapidement au transfert des biens de sections vers les communes. J’ai mené bataille en démontrant que cette forme de spoliation de la propriété privée était clairement orientée… parce qu’il s’agit d’une propriété collective. Une propriété privée, cela ne choque personne, mais qu’elle soit collective, mutualisée, gérée de façon participative, cela devient absolument insupportable à la pensée dominante. C’est cet enjeu de maintenir et développer des biens communs que défend l’Américaine Elinos Ostrom, prix Nobel de l’Economie 2009, et que j’ai abordé dans mon ouvrage « Pour une Terre commune ».
C’est ainsi que la présentation des sections de commune par le Gouvernement et le rapporteur s’est acharnée à les présenter comme un obstacle, source de problèmes et frein au développement des communes. Certes, les difficultés sont réelles dans certains territoires. Mais la plupart des biens de section sont pourtant gérés en bonne intelligence depuis des décennies, on pourrait même dire depuis des siècles. J’ai pu ainsi m’appuyer sur de nombreux exemples dans le secteur du Livradois-Forez, notamment dans le canton et la commune dont j’ai été l’élu pendant plus de 25 ans.
Mais cette forme de propriété gêne. Elle gêne parce qu’elle est collective. Elle gêne parce qu’on ne peut pas admettre que des gens qui habitent en milieu rural, et qui connaissent des difficultés, puissent percevoir un revenu provenant de pâturages ou coupes d’arbres que leurs ancêtres ont plantés et entretenus. On admet que des actionnaires touchent des millions et des millions et suppriment des sites industriels rentables. Mais on est scandalisé quand une famille habitant en milieu rural touche 1 000 ou 1 500 euros tous les 5 ou 10 ans ! Derrière cette attaque contre des biens communs, c’est aussi le refus idéologique qu’il puisse y avoir des citoyens faisant vivre une démocratie directe.
Une autre raison est passée sous silence : l’asphyxie financière de nos communes et plus particulièrement de nos petites communes. Leurs dotations ont été gelées par la droite, elles le sont encore pour trois ans avec le gouvernement actuel. D’un côté, les maires sont pris à la gorge et s’échinent à chercher de l’argent, de l’autre survivent ces biens collectifs qui peuvent constituer des revenus supplémentaires. Bien évidemment, on n’ira pas chercher l’argent chez le gros propriétaire qui possède 150 hectares de forêts. Le respect de l’article XVII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, sur le droit de propriété, est décidément à géométrie variable !
Chronique publiée dans le journal La Terre.
L'intervention générale sur le texte à l'Assemblée nationale
L'explication de vote :