Collectivités sur l’échafaud, République en danger
La fin de session à débattre du projet de loi « relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral » aura confirmé toutes nos craintes sur le fond politique de la réforme territoriale. Après la loi sur les métropoles, qui faisait disparaître tout objectif d’aménagement équilibré du territoire au profit des grandes aires urbaines, ce nouveau séisme institutionnel est appelé à être particulièrement destructeur pour l’organisation territoriale de notre République.
Ce premier texte de la réforme territoriale, ou, devrais-je dire, ce charcutage territorial, examiné au pas de course en juillet, poursuit sur les territoires de la République la mise en œuvre du plan d’ajustement structurel commandé par la Commission européenne dans le cadre du Pacte de stabilité, adopté en 2012 sans modification par le Président de la République. Alors que le désaveu politique des dernières élections locales aurait dû conduire l’ensemble de la gauche à réorienter sa politique au service des besoins des citoyens, cette énième contre-réforme n’en tire aucune leçon. Pire, elle conduira à éloigner toujours plus les citoyens de l’action politique ; elle éloignera les élus locaux de la réalité quotidienne des habitantes et des habitants.
Ce projet est une intrusion, brutale et agressive, dans la gestion de proximité, à la française, la qualité de vie et la solidarité de nos habitants. Quel paradoxe, quand nos concitoyens reprochent d’abord aux élus d’être déconnectés des réalités, que de vouloir les en éloigner physiquement et culturellement toujours plus !
Le moment actuel est grave. Cette réforme dont l’architecture aura été finalisée en quelques heures dans le bureau du Chef de l’État, est marquée par un autoritarisme préoccupant. Elle méprise les élus locaux. Elle fait des parlementaires de simples bricoleurs des limites régionales. Elle trompe les citoyens sur les véritables enjeux et leur assène des remèdes sans même entendre le fond de ce qu’ils demandent. Fondamentalement, cette réforme décrédibilise toutes les valeurs de la gauche.
Faut-il rappeler en contrepoint, l’immense bouillonnement démocratique suscité par la Constituante, de la fin de l’été 1789 jusqu’au mois de janvier 1790, quand elle a créé les départements ? A ce propos, certains ont d’ailleurs fait preuve durant les débats d’une « ignorance encyclopédique » - je reprends un mot de Jean Jaurès. Comme tous les historiens le savent, des mètres linéaires d’archives en témoignent, avec les interventions des 1 200 députés et les auditions des multiples délégations de citoyens venus à Versailles : une parole alors démocratique, une mobilisation citoyenne, un vrai débat parlementaire, une construction réfléchie, progressive ont permis de passer d’un quadrillage mathématique en quatre-vingt-trois rectangles à une carte intégrant l’identité territoriale, l’économie locale, l’héritage historique. Tout le contraire de la méthode mise en œuvre aujourd’hui !
En rejetant ce texte, tout en mettant en avant d’autres propositions fondatrices d’une nouvelle vitalité démocratique indispensable à notre pays, les députés du Front de Gauche souhaitent lancer un appel à l’ensemble des forces républicaines, aux élus locaux, aux citoyens, pour construire une résistance d’envergure à ce véritable coup de force, aux multiples dangers pour l’avenir de la France.