Contribution à l'Humanité des débats sur le thème : "L'écosocialisme est-il une démarche d'avenir ?"
Une véritable transformation de la société est indissociable des enjeux écologiques planétaires
J’éprouve, pour ma part, une certaine méfiance à l’émergence d’appellations qui tiennent plus de l’habillage médiatique que de réflexions politiques nouvelles. Bien sûr, il est indispensable de rendre plus visible notre positionnement politique sur l’exigence de nouveaux rapports entre les sociétés humaines et leur environnement. Je crois même que la pleine prise en compte de l’écosystème humain, et des enjeux écologiques planétaires comme locaux, sont indissociables d’une véritable transformation de la société.
L’appellation « écosocialisme » peut cependant permettre de structurer un corpus d’idées et de concepts qui participent au renouvellement de tous les courants politiques. D’ailleurs, dans le même ordre, il y a peu, on parlait beaucoup d’un nouveau courant politique, qui se serait autonomisé spontanément, celui de « la décroissance ». Or, on voit aujourd’hui que toutes les idées nouvelles qui ont émergé autour des concepts liés à la décroissance ont en fait permis de nourrir les débats de la gauche dans son ensemble, avec tous ses courants de pensée.
Je préfère donc l’idée de démarche, de mouvement, de construction. La prise en compte de la préoccupation environnementale et de l’affirmation de l’incompatibilité du capitalisme avec le maintien d’écosystèmes viables n’est pas nouvelle. Dans mon ouvrage, Pour une Terre commune, je citais le livre premier du Capital, où Marx précisait déjà que « chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité ». Cette prise en compte a cependant pris plus de force avec le constat que les effets des activités des sociétés humaines sur l’environnement menaçaient directement la capacité de l’humanité à améliorer ses conditions de vie et même à perdurer. Je pense notamment aux effets majeurs du changement climatique ou à l’érosion accélérée de la biodiversité.
Les traditions de la gauche et ses différents courants de pensée sont traversés par ces problématiques nouvelles, qui acquièrent progressivement une place déterminante. Je me méfie donc du caractère « imperméable » que l’on souhaite donner à certains corpus idéologiques nouveaux, qui deviendraient les seuls gardiens d’une certaine pureté révolutionnaire. On pourrait tout autant parler « d’écocommunisme », « d’éco-anarchisme », ou « d’écoréformisme »… voire « d’écolibéralisme » !
Aussi, je pense que nous ne devons pas segmenter arbitrairement la pensée politique autour de « l’écologie sociale », c’est-à-dire d’une écologie qui se limiterait à affronter les fondamentaux du capitalisme mondialisé. J’émets plutôt le souhait que les concepts de « commun », de « biens communs » et de « coopération mutuelle » soient plus développés dans nos propositions. Ils me paraissent tout à fait liés à ceux de la « socialisation » ou de « l’écologisation » de l’économie et des moyens de production. Il en est de même avec l’idée de « progrès », du progrès des connaissances comme du progrès technique, inséparables de notre vision des capacités humaines à s’adapter, à modifier en profondeur notre environnement dans un sens vertueux, intégrant les capacités de renouvellement des écosystèmes.
À l’opposé, il faut bien constater que la prise en compte de la préoccupation environnementale a donné naissance à un mythe, celui de l’écologie apolitique, où tout le monde partagerait la même préoccupation et où les réponses feraient consensus. C’est autour de cette idée que la classe dominante a bâti toute une idéologie de l’intégration de l’écologie politique, en reprenant à son compte la promotion d’un capitalisme vert. Le système dominant a ainsi préempté pendant des années la parole écologique « sur le seul terrain de la morale, qui n’implique pas de s’attaquer aux racines du problème, à savoir le système économique, les modes de production, les habitudes de consommation, pour au contraire faire peser toute la responsabilité environnementale sur l’individu ». Soulignons au passage que la télévision a largement servi « d’appareil d’assentiment » à l’écologie néolibérale, comme « machine à transformer une nouvelle imposition idéologique en accomplissement libre », comme l’a écrit Bernard Vasseur. Nous voyons aujourd’hui toute l’ampleur de la supercherie des tenants des privilèges à vouloir traiter, à partir de sa propre matrice, des problématiques qui nécessitent de sortir du cadre capitaliste de la concurrence du tous contre tous.
Article publié dans L'Humanité des débats du 25 janvier 2013.