Future PAC : des gestes qui ne suffisent pas
La dure réalité humaine rattrape parfois bien vite les bons sentiments des opérations séduction. Le Président de la République, venu au Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand, accompagné du Ministre de l’Agriculture, pour présenter les arbitrages nationaux découlant du nouveau cadre de la PAC 2014-2020, savait qu’il était attendu par des éleveurs aux revenus toujours aussi faibles. Mais il ne connaissait pas encore la publication de la première étude de l’Institut de veille sanitaire (INVS) sur le suicide dans le milieu agricole. Un agriculteur se suicide tous les deux jours. Au total, sur la seule période 2007 à 2009, « 417 hommes » et « 68 femmes » se sont suicidés. Mais le plus essentiel de cette étude, c’est bien que cette surmortalité est « particulièrement marquée chez les éleveurs (bovins-lait et bovins-viande) âgés de 45 à 64 ans ». La dure réalité est en effet bien là : celle des éleveurs, installés sur des structures familiales de taille modeste ou moyenne, aux revenus parmi les plus faibles du pays, broyés par les difficultés économiques.
Il y avait donc urgence à rétablir de la justice envers les éleveurs dans la politique agricole commune. Mais, de mon point de vue, l’accueil plutôt positif réservé aux annonces du Président de la République contraste avec la réalité des choix opérés. Certes, il y aura bien une augmentation des Indemnités Compensatrices de Handicaps Naturels (ICHN). Mais en matière de convergence interne des aides, élémentaire mesure de justice sociale, nous sommes loin du compte : elle a été réduite à 70 % au lieu des 100 % possibles. Concernant la surdotation des aides sur les 52 premiers hectares, elle se limitera à 20 % de l’enveloppe à distribuer au lieu des 30 % attendus. Quant aux « aides à l’installation », seulement 1 % de l’enveloppe leur sera attribué ! Ce qui n’a pas été dit, c’est que le Président de la République a clairement lâché du lest aux grands exploitants céréaliers. Ce revirement de dernière minute trahit une volonté de ne pas s’attaquer frontalement aux scandaleuses rentes de situation de l’agro-business, en décalage avec la réalité du terrain et la réalité des revenus.
Surtout, ce manque de courage face à la pression des bénéficiaires historiques des aides de la PAC se manifeste alors que la nouvelle politique agricole commune, pour les 6 années à venir, s’inscrit plus encore sous le règne du libéralisme et de l’ouverture des marchés. Ainsi, l’enjeu de la rémunération du travail agricole et des productions, c’est-à-dire des prix payés aux producteurs, a été totalement occulté. Pas d’indices de prix couvrant au moins les coûts de production au niveau français et communautaire. Pas de possibilité d’encadrement des marges des distributeurs. Seule compte la mise en concurrence des paysans européens, et plus largement celle des paysans du monde. Aucun outil nouveau de gestion des marchés et des productions n’a été mis en place. Au contraire, la future PAC entérine la fin des quotas laitiers. Elle marque aussi encore plus clairement son absence de vision commune pour le maintien d’une agriculture diversifiée sur tous les territoires, par un nouveau renoncement au plafonnement et à la dégressivité des aides.
Le prochain projet de loi d’avenir pour l’agriculture sera bien entendu l’occasion de pousser pour une action bien plus courageuse. C’est cette volonté de réorientation de notre modèle agricole que je porterai dans l’hémicycle.
Chronique publiée dans le journal La Terre.