Intervention au nom des députés Front de Gauche suite à la déclaration de politique générale du Premier ministre
Intervention suite à la déclaration de politique générale du Premier Ministre
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le début de ce quinquennat l’électorat de gauche, celui qui a porté le Président de la République au pouvoir, se sent trahi. Il a exprimé le rejet de la politique conduite en s’abstenant massivement aux municipales. C’est une grande colère, pour ne pas dire un rejet total de tout un système politique, qui a été exprimée par les électeurs qui avaient nourri des espoirs de changements en 2012.
La réponse de l’exécutif a d’abord consisté à affirmer que ce n’est pas sa politique qui a été sanctionnée, mais son manque de pédagogie. Avec pour première réponse, un changement d’équipe. Certes, monsieur le Premier ministre, vous dressez aujourd’hui un constat implacable des effets de la politique conduite depuis vingt-deux mois.
Faut-il rappeler que nous n’avons cessé de vous alerter ? Pas une fois, le Gouvernement n’a pris en compte les avertissements des députés du Front de gauche. Mais aujourd’hui, que proposez-vous après votre réquisitoire ? Une accélération des réformes, qu’il faut bien qualifier de libérales, avec un renforcement des orientations fixées par les pactes d’austérité et de responsabilité.
Il y a là plus qu’un malentendu : une terrible rupture avec les attentes populaires. Aucune réponse n’est apportée à la souffrance sociale, à la détresse économique, au déclassement des citoyens.
Or il est de la responsabilité des forces de gauche d’ouvrir un autre chemin pour construire une nouvelle alternative à gauche. Les Français, dans leur majorité, veulent un changement de cap net et clair en faveur du progrès social et de la lutte contre le chômage, chômage qui ne cesse de grimper avec un record de 3,34 millions de demandeurs d’emploi sans activité recensés fin février.
Les Français ne veulent plus des stratégies du désespoir et de la renonciation qui ont conduit là où nous en sommes. Ils ne veulent plus des promesses trahies, de l’impuissance publique organisée, des égarements et reculades dictés par la panique et des calculs à court terme.
La situation de notre pays requiert une grande détermination pour répondre aux besoins populaires. Ces besoins, nous les connaissons tous : l’emploi, le pouvoir d’achat, le logement, la santé, les services publics. La dérive politique qui a conduit le précédent gouvernement à mettre ses pas dans ceux de Gerhard Schröder et de Tony Blair doit prendre fin. Sans changement politique, ce nouveau gouvernement sera, lui aussi, condamné à l’impuissance, sans porter de nouvel espoir pour le peuple et pour le pays.
Il y a urgence à agir pour redonner du souffle à notre économie, combattre les inégalités, développer nos services publics, défendre notre modèle social.
Le premier défi à relever est une réorientation de la politique européenne, sans laquelle le changement ne sera pas envisageable.
L’adhésion de François Hollande au pacte Sarkozy-Merkel est l’acte fondateur, le péché originel de ce quinquennat. Candidat, il s’était pourtant engagé à renégocier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG. Ce renoncement a empêché d’emblée la réalisation du « changement » promis pendant la campagne présidentielle. Il n’y a eu ni renégociation, ni changement, mais bien continuité avec un projet européen qui se confond de plus en plus avec un simple programme d’austérité.
Il appartient à votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, et bien sûr au Président de la République, de rebattre les cartes, de changer radicalement de stratégie. Il faut convaincre nos partenaires de la nécessité de rompre, dans l’intérêt de tous, avec la politique de déflation, de stagnation et de chômage poursuivie aveuglément à l’échelle du continent. Pas à la marge, comme vous l’avez proposé, mais avec des mesures fortes rompant avec la stratégie de soumission aux dogmes de l’orthodoxie budgétaire et libérale.
Aujourd’hui, une grande partie des peuples européens refuse les politiques d’austérité inhumaines qui leur sont imposées. Ils jugent légitimement intolérable que l’on trouve toujours des milliards pour financer les banques alors que la population est mise au pain sec et à l’eau. Les 60 milliards d’euros de coupes budgétaires déjà opérées sur ordre de Bruxelles ont eu des conséquences désastreuses sur les services publics, la Sécurité sociale, nos collectivités territoriales. Cette cure d’austérité, la plus drastique de notre histoire récente, appauvrit notre pays, détruit l’emploi et les entreprises, sème la colère et la résignation.
Mais il ne suffit pas aux marchés financiers et aux multinationales de promouvoir l’austérité. Ils ont désormais une nouvelle exigence. Pour tenter de répondre à la crise des débouchés qu’ils ont eux-mêmes créée, ils voudraient imposer un traité de libre-échange transatlantique. L’objectif de ce traité est de créer une vaste zone de libre-échange par le démantèlement des règles tarifaires, réglementaires, environnementales qui protègent nos salariés et les consommateurs. La perspective de conclusion de ces négociations, menées dans la plus grande opacité et hors des règles démocratiques les plus élémentaires, fait peser une lourde menace sur les règles de santé publique, écologiques, sociales et culturelles en France et en Europe.
Ce traité de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, dont vous ne dites mot, monsieur le Premier ministre, nous entraînera encore plus loin dans la folle mise en concurrence généralisée des pays et des peuples et l’obsession de la compétitivité et du libre-échange intégral. Il fait courir un grand péril aux peuples de France et d’Europe. Le groupe de la Gauche unie européenne et son candidat, Alexis Tsipras, sont déterminés à le faire connaître au plus grand nombre.
La France, monsieur le Premier ministre, doit peser de tout son poids pour s’opposer à ce projet qui barre la voie à toute perspective de construction d’une Europe sociale, cette Europe sociale qui implique au contraire de considérer la protection sociale, le salaire minimum, le dialogue social, les négociations collectives et le droit social comme autant de points d’appui pour une avancée de civilisation.
Les chefs d’État et de Gouvernement ont promis une feuille de route sur la dimension sociale de l’union économique et monétaire. Ils ne l’ont toujours pas produite faute de volonté politique – car il s’agit bien de volonté politique.
Le deuxième enjeu majeur est celui du redressement industriel, de la lutte contre le chômage et de la transition énergétique. Le temps est venu d’un tournant économique majeur et de l’abandon du pacte de responsabilité annoncé le 14 janvier dernier. Un pacte d’irresponsabilité en réalité, puisqu’il prévoit la suppression totale et sans contrepartie des cotisations familiales employeurs et n’offre aucune perspective en termes de création d’emploi.
Ce n’est pas par la baisse des dépenses publiques et la recherche de compétitivité que l’Europe et notre pays pourront sortir de la crise mais par la relance de l’investissement public et de la consommation, le relèvement des salaires, l’innovation et la promotion de l’emploi qualifié. Pour cela, il faut desserrer l’étau des contraintes que fait peser la financiarisation de l’économie sur l’activité et la pérennité de nos entreprises.
Comment la gauche pourrait-elle souscrire à l’antienne de la réduction des dépenses publiques qui réduit le périmètre des services publics et fait la part belle à la marchandisation de la société ? Une marchandisation qui sera amenée à s’accroître avec le basculement de bon nombre de collectivités dans l’escarcelle de la droite, dont les programmes proposent la suppression de bon nombre de services publics locaux. L’intérêt privé primera alors définitivement sur l’intérêt général et les logiques de rentabilité primeront sur les logiques de solidarité. Et ce primat sera renforcé par la feuille de route que vous venez de dévoiler s’agissant de l’évolution institutionnelle. Sous couvert de modernisation, l’objectif recherché est de créer des territoires d’excellence, de compétitivité, au détriment d’une France équilibrée et solidaire.
Il faut que la gauche retrouve l’audace d’affirmer, contre l’artillerie lourde des idéologues libéraux déguisés en éditorialistes, qu’il existe une alternative à la fuite en avant libérale vers toujours plus d’inégalités, toujours plus de précarité, toujours plus de misère pour le seul bénéfice d’une poignée de nantis.
Vous avez confirmé votre volonté de vous attaquer au coût du travail en multipliant les exonérations de charges pour les entreprises. Mais, vous n’avez pas dit un mot, monsieur le Premier ministre, sur le coût du capital. Pas un mot ! N’est-ce pas le meilleur révélateur du choix libéral qui est le vôtre ? Pourtant, les arguments qui font de la baisse des cotisations sociales un moyen de lever les freins à l’embauche, de créer ou de sauvegarder des emplois ne reposent sur aucun constat empirique. Vingt ans d’exonérations de cotisations sociales sur les bas et moyens salaires n’ont pas permis de sortir de l’ornière. Bien au contraire, elles ont eu pour résultat de paralyser notre économie en favorisant les bas salaires, de dissuader le développement de l’emploi qualifié, de fragiliser notre système de protection sociale.
Des solutions alternatives existent. Nous les défendrons avec tous ceux qui souhaitent se rassembler à gauche.
Pour baisser les charges financières des entreprises, nous proposons un nouveau crédit bancaire pour les investissements matériels et de recherche à des taux d’intérêt d’autant plus faibles que ces investissements programmeraient plus d’emplois et de formations correctement rémunérés. Un pôle financier public incluant la Banque publique d’investissement aurait pour mission de déployer ce nouveau crédit. Les députés du Front de gauche proposent également une modulation du taux de cotisation sociale patronale qui soit favorable à l’emploi, à la formation, aux salaires, et pénalisante pour la croissance financière des capitaux.
Si François Hollande avait écouté les Français – si vous les aviez, monsieur le Premier ministre, vraiment écoutés –, vous auriez annoncé un grand plan de justice fiscale et sociale, des investissements pour les services publics, une hausse du SMIC, un soutien aux collectivités locales et l’interdiction des licenciements boursiers.
La réduction de 50 milliards d’euros de dépenses publiques et la baisse des impôts et des cotisations sont incompatibles avec les efforts annoncés en faveur de la santé, de l’éducation et de la jeunesse.
Quant à la transition énergétique, il appartient, en effet, à la gauche d’en relever le défi. Mais n’oublions pas l’essentiel : une réelle transition énergétique, très économe en carbone, suppose de réorienter profondément les critères de financement des investissements et de gestion des entreprises, en substituant aux critères de rentabilité des critères sociaux et environnementaux et en donnant de nouveaux droits et pouvoirs aux salariés et aux citoyens. Cela suppose aussi la maîtrise démocratique des circuits de financement de l’économie.
Nous voyons ici combien il importe de redonner sens à un projet collectif capable d’offrir à notre jeunesse d’autres perspectives que l’austérité et le déclin.
Proposer un pacte républicain est le troisième enjeu. Notre société est, aujourd’hui, sous tension, en quête de sens, vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, et incertaine de ses valeurs communes.
Cette crise identitaire est d’abord une crise de l’égalité. Les inégalités sociales et territoriales continuent de structurer une société incapable de conjuguer le respect du singulier et la définition du commun. L’atomisation et le cloisonnement de la communauté nationale ont engendré une citoyenneté à plusieurs vitesses dont l’inégalité sociale, davantage que l’hétérogénéité culturelle des populations, demeure la matrice. La pauvreté, la relégation, le sentiment d’injustice conduisent à cultiver les divisions et les antagonismes qui sapent toujours un peu plus le sentiment d’appartenance à une « communauté commune ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Au dévoiement des valeurs républicaines, nous devons donc, plus que jamais, opposer les valeurs de solidarité, de démocratie et de cohésion sociale. Dans ce combat, notre pays ne peut ni ne doit craindre ou mépriser l’immense apport humain et matériel que constitue la présence des immigrés en France. Il faut réaffirmer que l’immigration n’est pas un problème et refuser la ghettoïsation de la société, les processus de relégation sociale et territoriale, combattre l’obsession du refoulement des étrangers, rejeter la stigmatisation des personnes à raison de leur appartenance à des communautés particulières.
Il faut sortir des calculs à courte vue dictant les postures politiciennes. L’enjeu n’est pas le score aux prochaines élections de telle ou telle formation politique ou de telle ou telle personnalité. L’enjeu, c’est la France. L’enjeu, c’est l’Europe. L’enjeu, c’est leurs peuples. C’est pourquoi nous avons été, depuis le début de cette législature, porteurs de propositions ambitieuses. Et nous continuerons à travailler, avec tous ceux qui le souhaitent, à la construction d’une vraie politique de gauche.
Monsieur le Premier ministre, nous regrettons que votre feuille de route s’inscrive dans la continuité des erreurs commises jusqu’alors. Augmentation de la fiscalité indirecte, flexibilisation du marché du travail, réduction à marche forcée des déficits publics, baisse massive des cotisations : ce ne sont pas là des solutions à la crise. Nous pensons au contraire que ces mesures ne feront qu’entretenir la crise et en aggraver les conséquences désastreuses pour nos concitoyens.
En conséquence, et en toute logique, nous ne voterons pas la confiance à votre gouvernement. (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.) Ce que nous proposons à la majorité et à nos concitoyens qui voient s’accumuler les difficultés, c’est la construction d’une alternative pour porter une véritable politique de transformation sociale, une véritable politique de gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
[...]
Vote en application de l’article 49, alinéa 1er, de la Constitution
M. le président. Le Premier ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement, je vais mettre aux voix l’approbation de sa déclaration de politique générale.
Le vote se déroulera dans les salles voisines de la salle des séances.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Il est ouvert pour une durée de 30 minutes. Il sera donc clos à dix-huit heures cinquante.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin sur la déclaration de politique générale du Gouvernement :
Nombre de votants : 571
Nombre de suffrages exprimés : 545
Majorité absolue des suffrages exprimés : 273
Pour l’approbation : 306
Contre : 239
L’Assemblée nationale a approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SRC et RRDP, dont les membres se lèvent, et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
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Voir ici, l'analyse du scrutin (vote de chacun des députés).