"J'appelle à un front commun anti-austérité"
Interview publiée dans le journal l'Humanité Dimanche du 13 au 19 septembre 2012.
La session extraordinaire du Parlement vient de s’ouvrir. Alors que la droite et le patronat pèsent de tout leur poids pour empêcher tout changement et que le président vient d’annoncer 2 ans de diète sociale, le Front de gauche ne renonce pas à influencer les décisions gouvernementales. André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et chef de file des députés du Front de gauche, en appelle au rassemblement pour sortir de l’austérité et redresser la France.
Humanité Dimanche. Quel bilan tirez-vous des premiers mois du gouvernement de François Hollande et Jean-Marc Ayrault ?
ANDRÉ CHASSAIGNE. Le bilan est fonction du rapport des forces dans l’ensemble du pays. Le constat que je fais, que ce soit à l’Assemblée nationale avec une droite radicalisée, ou dans l’ensemble de la société avec les forces réactionnaires, notamment le MEDEF, c’est une mobilisation de grande ampleur pour bloquer le changement. En début de mandature, on a assisté aux envolées d’anciens ministres, qui tentaient, avec un culot extraordinaire, d’apparaître vierges de toutes responsabilités, avec un seul objectif : faire pression et créer un rapport de forces pour qu’on ne s’attaque pas à l’argent. On l’a vu aussi avec l’université d’été d’un MEDEF ultra mobilisé, qui monte très fortement au créneau pour défendre ses intérêts : dividendes versés aux actionnaires, rémunérations exorbitantes des grands patrons, alibi de la compétitivité pour remettre en cause le droit du travail, avec la faiblesse des investissements productifs qui en découlent. Face à cela, la session parlementaire de juillet a permis de voter des premières mesures qui étaient incontournables et qui vont dans le bon sens pour répondre au désir de changement. Mais ces mesures restent modestes au regard des enjeux. Certes, tout ne peut pas être fait en un mois mais le sens donné à une politique dès les premières semaines est un indicateur de la détermination du gouvernement à agir dans le sens des intérêts de classe. Souvenons-nous comment Nicolas Sarkozy avait immédiatement donné des gages aux forces de l’argent en faisant voter la loi TEPA dès le mois suivant les législatives en 2007. L’enjeu aujourd’hui est de savoir si la politique gouvernementale va se mettre à la hauteur de la situation en s’attaquant au système financier qui a coulé les finances publiques de notre pays. Ne nous laissons pas impressionner par le milliardaire Arnault et ses amis. Ils doivent leurs milliards au travail des ouvriers, des employés, des cadres, des chercheurs, formés dans nos écoles et universités, et donc à l’État, à la communauté nationale qui leur a permis de se développer. Il faut les contraindre à payer dans l’intérêt de notre pays en quête de ressources. Changer la fi scalité est une urgence, nous y travaillons.
HD. Selon vous, François Hollande tient-il ses engagements ?
A. C. Nous avons dit que nous serions attentifs aux engagements de la campagne électorale tout en soulignant leur insuffisance. Pour autant, on a trop vu, avec Nicolas Sarkozy, ce déni de démocratie qui consistait à dire qu’il avait été élu sur un programme, et qu’il n’en bougerait pas, quelle que soit la situation. Ce n’est pas notre conception de la démocratie. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple. Elle ne se réduit pas à la délégation de pouvoir. Hélas, la dernière prestation télévisée du président de la République montre qu’il inscrit ses engagements et son action dans l’accompagnement d’un système financier plutôt que dans la rupture. Ainsi, il a une nouvelle fois insisté sur le caractère exceptionnel de la crise pour notre pays, mais sans revenir sur la responsabilité de la finance et des banques dans cette spirale infernale. Or, il n’est pas tenable de se servir de la gravité de la situation pour beaucoup de nos concitoyens, sans en révéler les causes profondes, tout en demandant encore plus d’austérité. Ce n’est pas en appauvrissant les Français qu’on sortira la France de l’ornière dans laquelle la finance l’a plongée.
HD. Vous espérez donc faire évoluer le gouvernement ?
A. C. Quel doit être notre positionnement ? Faut-il s’en tenir à se replier en une force d’opposition, se posant de facto en recours ? La seule voie n’est-elle pas plutôt de répondre aux difficultés du quotidien ? À la souffrance de ceux qui perdent leur travail sans espoir d’un retour rapide à l’emploi, à l’angoisse permanente de ceux dont les revenus sont chaque mois insuffisants, aux difficultés récurrentes à se loger, aux privations au quotidien sur l’alimentation, sur le chauffage, les transports. Tout cela amplifié par le délitement des services publics sur les territoires. La gravité de la situation nous impose de tout mettre en oeuvre pour s’attaquer au désastre de la mal-vie. C’est sur cette base que notre positionnement politique doit se construire et se justifier : là où les choix du gouvernement et de la majorité constituent des avancées concrètes contre cette mal-vie, il nous faut les soutenir en cherchant à aller le plus loin possible avec nos propositions ; là où les choix nous paraissent contraires à l’amélioration de la vie, il nous faut nous y opposer, expliquer et motiver d’autres choix en lien avec le besoin de changement qui s’exprime dans la société.
HD. Mais la politique du gouvernement s’inscrit pour l’heure dans les objectifs de contraction budgétaire…
A. C. Raison de plus pour le Front de gauche d’être une force de propositions pour influer sur la politique du gouvernement. Nous sommes persuadés que la politique d’austérité ne peut qu’aggraver la situation. Partout où elle est mise en œuvre, c’est un échec dramatique. C’est cette politique austéritaire qui vient de faire basculer quasiment tous les États européens dans la récession, avec des taux de chômage qui explosent. Mais cette politique, vous le démontrez souvent dans « l’Humanité Dimanche », est avant tout un leurre créé pour servir la finance et permettre aux banques de se sortir du piège dans lequel elles se sont mises elles-mêmes et dans lequel elles ont mis le monde. Nous pensons qu’il faut s’attaquer au coeur du système. Taxer le capital, relancer le pouvoir d’achat, protéger la France et l’Europe du dumping social, amorcer une économie respectueuse des hommes et de l’environnement : c’est la seule solution pour redresser la France et l’Europe. Soyons clair : le capital fait la guerre au monde du travail, il faut choisir son camp. Ce n’est pas seulement une formule.
HD. Qu’attendez-vous de la session parlementaire qui s’ouvre ?
A.C. Avant tout, changer de braquet. Le moment est venu pour le Parlement de voter des lois qui s’attaquent aux logiques financières et changent le quotidien des Français. Je pense, par exemple, à la loi pour interdire les licenciements boursiers. La gauche l’a votée au Sénat au mois de février, nous l’avons déposée à l’Assemblée dans les mêmes termes. Il faut donc que la nouvelle majorité soit cohérente et prenne ses responsabilités en votant cette loi. Elle redonnera confiance au monde du travail. S’il n’y a pas des mesures fortes comme celle-ci, non seulement il n’y aura pas de redressement industriel, mais la rupture avec le peuple sera consommée. Si la gauche déçoit, un boulevard sera ouvert à la droite et à l’extrême droite et les conséquences seront terribles pour le peuple et l’avenir de notre jeunesse.
HD. Comment comptez-vous peser ?
A. C. Il faut rassembler, y compris au sein même du Parlement, pour établir un large front commun contre l’austérité. Élus, syndicalistes, citoyens, membres ou pas de partis politiques : c’est sans esprit de chapelle, et dans le seul intérêt du peuple, qui est notre seul gouvernail, que nous devons rassembler. Et montrer que l’austérité qu’on veut imposer, au nom du règlement de la dette et de l’assainissement des finances publiques, est bonne pour les marchés financiers mais mauvaise, voire dramatique, pour la vie et le futur de nos concitoyens. Savez-vous que l’INSEE prévoit 10 millions de pauvres en France pour 2013 !
Il faut donc dégager collectivement de nouvelles voies. Il faut relancer l’économie sur de nouvelles bases. N’oublions pas les idées que nous avons avancées ces derniers mois : la planification écologique et la transition de l’économie en intégrant les enjeux sociaux et environnementaux. La population doit se saisir avec nous de ces sujets. Avec elle, nous pouvons faire valoir les bonnes solutions pour la France et l’Europe.
HD. C’est sur la mobilisation sociale que vous comptez ?
A. C. Les campagnes présidentielle et législatives que nous venons de mener ont fait surgir un mouvement et un enthousiasme inédits. Ces citoyens qui, par centaines de milliers, ont participé aux meetings, ont manifesté, ont retrouvé l’espoir. Il faut s’appuyer dessus pour pousser positivement le gouvernement à faire le choix du peuple. Les 4 millions de voix obtenues à la présidentielle ne doivent pas être réduites à une rente électorale pour l’avenir, mais constituer un appui pour ouvrir dès maintenant un chemin nouveau. Parce que nous avons une obsession, être utiles au peuple, nous ne pouvons pas nous en tenir à laisser, au bout du compte, le monopole du pouvoir concret à une gauche prétendument bonne gestionnaire. Notre objectif est de faire bouger le gouvernement sur des mesures essentielles que j’évoquais précédemment. Comme le dit Pierre Laurent : « Nous avons les mains dans le cambouis. » Et pas seulement nous, le PCF ou le Front de gauche ! Car notre moteur, c’est le mouvement social qui réfléchit et qui agit, ce sont les citoyens qui s’engagent, les élus locaux qui agissent au service de l’intérêt général. Tout ça peut, doit, constituer un front commun et permettre des mobilisations citoyennes importantes. Nous n’avons pas le choix : si l’on ne fait pas grandir l’exigence d’une autre politique, si l’on ne fait pas grandir nos propositions dans la population, s’il n’y a pas un grand mouvement populaire, rien ne bougera.
HD. C’est une mobilisation de ce type que vous espérez pour obtenir un référendum sur le nouveau traité européen ?
A. C. Parmi les batailles que nous avons à mener, et elles sont nombreuses, notamment sur l’emploi où il faut nous opposer aux licenciements chez PSA et ailleurs, il y a effectivement celle pour un référendum sur le traité européen. Elle est prioritaire. On doit faire bouger le gouvernement. Ce traité est celui de Sarkozy et Merkel. Il faut en faire une grande affaire populaire. Plus on mobilisera, plus on pourra expliquer ses répercussions négatives sur la vie et le futur de nos concitoyens. En plus d’être un nouveau coup de force contre la démocratie, l’adoption de ce traité hypothéquerait toutes les politiques de progrès social qu’une majorité de gauche pourrait décider de mettre en œuvre. Prenons l’exemple des textes de loi actuellement au Parlement : emplois d’avenir, logement social, etc. Nous nous battons pour leur donner un autre contenu : concrètement, pour que les emplois d’avenir soient durables et impliquent une formation de qualité, exigences portées par les associations de jeunesse. Mais si on a au-dessus de nos têtes un pacte qui verrouille les dépenses publiques utiles et empêche de donner un autre contenu aux projets de loi qui nous sont soumis, notre marge de manœuvre sera considérablement amoindrie. Voilà pourquoi, la lutte contre le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) est décisive. La Confédération syndicale européenne (CES) ne s’y est pas trompée quand elle appelle ses organisations membres à s’y opposer.
HD. Les délais sont courts…
A. C. Oui. Le gouvernement a fait le choix d’une politique à la hussarde en considérant qu’en faisant très vite il éviterait la mobilisation. Nous, nous pensons que nous pouvons mobiliser très largement et exiger une renégociation du traité. Il y a crise parce que pendant 40 ans la priorité a été donnée à ceux qui possèdent le capital, on ne va pas recommencer le scénario en privilégiant les marchés au détriment de la vie des peuples !
HD. Ferez-vous entendre cette voie au Parlement ?
A. C. Il va y avoir une bataille parlementaire très forte. Il faut qu’elle soit poussée par la mobilisation populaire, dont un des points forts sera le rassemblement du 30 septembre. Si la mobilisation est très forte, le gouvernement sera obligé de renégocier réellement ce traité. C’est une promesse faite par le candidat Hollande et qu’il doit tenir.
HD. Le gouvernement semble décidé à museler les voix dissidentes, y compris dans sa propre majorité.
A. C. Moi, je rencontre des députés socialistes qui disent : « Nous ne sommes pas des députés godillots.» Je veux les croire. Le gouvernement a aujourd’hui une vision délégataire de la démocratie qui s’appuie uniquement sur les 60 propositions du candidat Hollande, quitte à les interpréter. Il ne veut pas que le débat démocratique descende au niveau du peuple. C’est une forme de rejet du pouvoir au peuple. Or, nous sommes pour donner le pouvoir au peuple. Si on obtient un référendum, cela peut tout changer, c’est la question même du système dans lequel on vit qui sera posée à l’occasion du débat qu’ouvrira l’option du référendum. Le peuple doit être souverain. Si on lui refuse ce rôle, les conséquences seront très graves.
HD. « Donner le pouvoir au peuple tout le temps », vous vous y référez en permanence…
A. C. Les députés communistes et du Front de gauche conçoivent leur fonction comme étant dans le prolongement d’une parole construite collectivement. On ne peut plus se permettre de porter des projets de loi élaborés dans un petit bureau parlementaire avec un collaborateur et quelques experts, quel que soit leur talent. Il faut faire bouger la pratique politique, et que l’on soit porteurs de propositions de loi construites collectivement. C’est ce qui a commencé à se mettre en place avec les ateliers législatifs et les fronts thématiques. Ça doit devenir un élément nouveau de la vie politique de notre pays : visible, concret, palpable. Il faut par exemple que les salariés en lutte, qui vivent l’exigence d’une évolution législative, puissent participer à l’élaboration d’une loi sur le pouvoir des comités d’entreprise, sur l’exigence de prendre en compte des propositions alternatives aux plans de licenciements, sur le besoin de développer de nouveaux outils financiers pour le développement de leurs projets. Mon ambition est que des ateliers législatifs se tiennent dans plusieurs endroits du pays sur ces thèmes politiques stratégiques, puis qu’ils puissent se réunir pour mettre leur travail en commun. Et que le jour où les parlementaires déposent la loi, il y ait des milliers de personnes qui manifestent devant le Parlement. La valeur de la loi et de nos propositions sera bien supérieure si nous les élaborons de cette façon. Je suis convaincu que seule cette construction collective, patiente et déterminée, est à même de peser sur les choix du gouvernement. En aiguisant la conscience des salariés et des classes populaires, nous pouvons faire reculer la fatalité et redonner du souffle au mouvement social.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR STÉPHANE SAHUC ET CÉDRIC CLÉRIN
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