La marchandisation du sang serait-elle en route ?
Lettre ouverte à Xavier Bertrand, Ministre de la santé
Les militants du don du sang sont en alerte. Ils manifestent leur inquiétude sur le projet de fermeture des laboratoires de QBD (Qualification Biologique des Dons) dans 10 des 14 «régions EFS» (Etablissement Français du Sang) : Marseille, Strasbourg, Bordeaux, St Etienne, Dijon, Rennes, Tours, Rungis, Nancy et Rouen. 260 emplois hautement qualifiés seront ainsi supprimés.
Les quatre labos choisis pour regrouper l’ensemble de l’activité (Montpellier, Angers, Lille et Annecy, Metz–Tessy) passeront de 159 emplois à 190 : perte nette de 229 emplois ! Ce bouleversement a déjà été annoncé au personnel, avec un projet pilote à Montpellier dès le printemps 2011, alors que le Comité Central d’Entreprise ne délibère que le 16 décembre 2010. Ce regroupement est donc contestable au plan juridique. Et il est légitimement contesté par l’intersyndicale.
La décision de la direction de l’EFS s’inscrit dans la RGPP, choix justifié en septembre 2009 par un inspecteur de l’Inspection Générale des Affaires Sociales dans une revue destinée au personnel de l’EFS : « l’objectif est de faire mieux et moins cher ». Cette déclaration, ainsi que les critères purement industriels développés dans le projet, vise en fait à pousser la productivité sous l’appellation d’ « efficience ». Je soutiens pour ma part que la productivité est incompatible avec la raison d’être d’un établissement public de santé dont le « matériau » utilisé est humain : les donneurs de sang bénévoles, solidaires, garants de l’éthique.
La disparition de ces dix laboratoires est d’une extrême gravité : elle bouleverse la cohérence d’un service public dont l’efficacité et la réussite sont reconnues au travers d’un lien étroit avec les associations de donneurs de sang.
La concentration d’une énorme activité sur quatre sites présente de sérieux inconvénients : les tubes/échantillons prélevés lors de chaque don seront regroupés à partir de toutes les collectes de la journée sur un ou deux sites départementaux, puis transportés au labo régional, avant d’être acheminés aux labos maintenus.
Ainsi, pour la région dont je suis l’élu, les tubes/échantillons regroupés à Moulins, Montluçon, Clermont-Fd, Aurillac, Le Puy, seront transportés à St-Etienne. Ils transiteront sans doute à Valence pour Montpellier où seront aussi envoyés les regroupements de six autres sites. La même opération aura lieu dans le reste de la France en direction d’Angers, Lille et Annecy-Metz-Tessy. Une noria de fourgons spécialisés va donc parcourir la France alors que les médias nous prodiguent des conseils pour réduire la production de CO2. Le « bilan carbone » de cette opération a-t-il été anticipé ?
Les 4 labos sélectionnés deviendront ainsi d’énormes usines, avec travail posté de 4h à 21h. Si une panne grave, un incendie survient, ou une chute de neige, il faudra transporter dans un court délai, à plus de 500 Kms, la masse des tubes/échantillons vers un autre labo, voire deux s’il y a partage de la surcharge de travail. Et comment le ou les deux labos absorberont-ils alors un surcroît d’analyses de 50 ou de 100%. ? Or, nous savons qu’il est interdit d’utiliser une poche de sang non validée par l’analyse « QBD ». Et comme il n’existe pas de système informatique unique, quelle garantie aura la validation des poches de sang ?
Enfin, comment traiter à temps les « plaquettes » dont la durée d’utilisation est limitée à 5 jours ? Faudra-il un transport spécifique pour l’analyse « à temps » de ces échantillons pour que les plaquettes conservent au moins trois jours d’utilisation possible ?
Ces différents points posent de sérieux doutes sur l’efficacité sanitaire. En fait, le projet vise une économie de 11 millions d’euros par an sur un budget de 880 millions alors que l’activité de l’EFS bénéficie chaque année à un million de malades graves. Dans le même temps, les niches fiscales sont évaluées à 172 milliards par la Cour des Comptes.
Je vous demande donc solennellement, Monsieur le Ministre, d’exiger que ne soit pas mis en œuvre ce projet. Le risque doit être évalué par un organisme extérieur : les instances représentatives du personnel doivent pouvoir se prononcer en ayant connaissance de tous les éléments. Une concertation s’impose aussi avec les dix Conseils régionaux et les Conseils généraux des sites supprimés. Enfin, il est inacceptable que les donneurs de sang bénévoles soient considérés comme fournisseurs de matière première d’un projet industriel, alors qu’ils n’ont pas leur mot à dire.
En constatant qu’un pareil projet ait pu germer puis passer à la phase actuelle, j’imagine les prochaines étapes : le regroupement des plateaux de préparation des poches de sang, puis la concentration des laboratoires d’« immuno-hématologie » attachés à chaque établissement départemental.
La marchandisation du don du sang serait-elle en route ?