Le choix n'est pas entre le coeur et la raison
Depuis sa création, à la veille des élections européennes de 2009, le Front de Gauche a réalisé des résultats électoraux encourageants, matérialisant ainsi un réel besoin de propositions transformatrices pour la société et d’horizon nouveau pour la gauche.
A l’initiative de ce rassemblement, les communistes partagent majoritairement l’idée que le Front de Gauche est un outil qui doit chercher à rassembler largement à gauche.
Je pense, pour ma part, qu’il ne doit pas se limiter à une stratégie d’alliance électorale de forces et structures politiques constituées. Il doit prioritairement viser un enjeu essentiel : être le moyen d’implication populaire dans le débat politique et le lieu d’élaboration collective des contenus de la transformation sociale et écologique que nous entendons porter. Il faut donc nous tourner davantage vers celles et ceux qui luttent, qui espèrent, qui s’engagent, mais aussi vers celles et ceux qui doutent, qui ne nous entendent pas, qui ont perdu confiance dans toute perspective d’un changement de société.
Nous concrétiserons ainsi une autre pratique politique et redonnerons en quelque sorte « ses lettres de noblesse à la politique ». J’en suis en effet convaincu : le choix de l’implication populaire, associé aux luttes, est déterminant pour matérialiser pas à pas le changement de société que nous envisageons.
A la veille des échéances de 2012, les conditions du débat démocratique s’inscrivent toujours plus profondément dans une dérive présidentialiste de la Vème République, que les communistes ont toujours combattue. La personnalisation à l’extrême rend quasiment inaudible la construction d’autres démarches politiques misant sur l’intelligence collective, le travail commun, la reprise en main de leur avenir par les citoyens, alors même que cette aspiration à faire autrement trouve aujourd’hui un écho retentissant en Europe, que ce soit en Espagne, au Portugal, en Grèce ou même au Royaume-Uni.
Dans ce contexte, même si nous constatons la difficulté de construire une alternative politique novatrice avec le plus grand nombre, elle est cependant prometteuse en terme de contenus transformateurs, alors que la social-démocratie européenne n’en finit pas de payer à la fois son incapacité à répondre aux attentes populaires et son absence de volonté de s’attaquer au système capitaliste. Aussi, dans le même temps, la classe dominante cherche-t’elle, par tous les moyens, avec les forces conservatrices, à maintenir l’ordre ancien, à rétablir la bonne marche du système capitaliste, comme en Tunisie ou en Egypte.
C’est sur cette appréciation du Front de Gauche comme instrument d’une dynamique populaire nouvelle, permettant aux communistes d’apporter leurs propositions politiques et leurs valeurs à la réflexion et à l’action communes, que je me suis proposé pour accompagner une campagne collective de notre rassemblement à l’élection présidentielle. Je me suis investi dans cette démarche avec mes idées propres sur l’objectif d’une « démocratie active », ou encore sur la nécessaire implication des classes populaires dans la résolution des enjeux environnementaux de notre siècle. Je continue aussi de penser que nous devons porter une grande ambition collective pour notre peuple, une ambition collective qui se construira dans le temps, et qui est aussi importante que le fut le programme du Conseil National de la Résistance. Nous avons besoin d'un changement de civilisation, d'un changement fondamental qui s’attaque à la fois aux problématiques de la production et de la répartition des richesses, à la place des marchés et du travail dans la société, à la conception même de la société avec l’exigence de pousser le plus loin possible l’émancipation des individus. La présidentielle, bien au-delà de la personnalisation et du seul objectif électoral, sera l'occasion de porter un projet de société qui redonne de l'espoir à nos compatriotes. C'est aussi cela qui doit guider le Front de gauche.
Portant cette conception du Front de Gauche, je n’ai jamais cherché à dissimuler mes convictions communistes, ni à les considérer comme un quelconque atout ou inconvénient dans les rencontres auxquelles on m’a invité ces derniers mois. Les multiples initiatives auxquelles j’ai été associé m’ont permis de confirmer un sentiment : il n’y pas de bons ou de mauvais communistes. Les convictions des uns et des autres n’ont rien à voir avec les raccourcis et interprétations qui peuvent être faites régulièrement par la presse, voire au sein même de notre maison commune. Il y a partout des communistes qui cherchent la voie la plus féconde pour porter la transformation sociale. Ils doivent toutes et tous avoir leur place, et la possibilité de s’inscrire pleinement dans le débat d’idées au sein de notre organisation, comme dans le rassemblement du Front de Gauche. Nous ne pouvons pas prétendre rassembler au-delà de nos rangs et ne pas être capable de nous rassembler nous-mêmes.
Le débat qui se poursuivra à la Conférence nationale du Parti Communiste Français ouvre de réelles interrogations, non pas seulement sur la question rétrécie de la candidature, mais plus salutairement sur la conception et la vocation du Front de Gauche à plus long terme. Je m’en félicite. Je pense que nous devons profiter de ce débat pour pousser plus loin notre réflexion sur l’essence même du Front de Gauche, sur ce qu’il doit être, sur la place et le rôle de notre parti dans sa dynamique. De mon point de vue, c'est un rassemblement qui doit s'élargir massivement aux syndicalistes, aux associatifs, aux citoyens engagés, aux jeunes qui aspirent à d’autres perspectives. Il faut donc s'adresser à eux, non pas en cherchant à les transformer en supporter d’un homme providentiel ou d’une personnalité, quelles que soient ses qualités, mais bien pour les inviter à prendre leur place à nos côtés et à devenir acteurs de leur avenir.
Pour cela, le Front de Gauche doit se situer au cœur de la gauche. Il doit parler à tout le peuple de gauche pour faire monter dans les luttes et au sein des consciences l’exigence incontournable de contenus transformateurs et la possibilité de les mettre en oeuvre.
Enfin, il doit veiller à ce que la diversité de notre rassemblement existe et soit visible, que la parole soit collective et que chacun soit respecté.
Ce sont ces idées qui doivent être au coeur de la campagne du Front de gauche. L'important est qu'elles soient portées dans cette campagne. L’essentiel n’est donc pas la candidature en elle-même, mais, dans le cadre de cette candidature, l’orientation que nous pourrons donner au Front de Gauche.
Le choix du candidat n’est donc pas une affaire de cœur ou d’opportunité politicienne. Il est bien au contraire un acte de raison et d’orientation politique.