Le Président et la queue du renard
En lisant la tribune de François Hollande, « L’Europe que je veux », dans Le Monde du 8 mai dernier, m’est revenue une expression populaire du bon sens auvergnat : « Il a la queue du renard qui lui sort de la gueule, et il dit qu’il ne l’a pas croquée ». Cette réminiscence du « Roman de Renart » et du loup Ysengrin illustre bien la fable présidentielle.
Quand notre Président de la République écrit que « l’Union déçoit », que « l’incompréhension alimente le rejet », il a évidemment raison. Mais quand il affirme que « les Français peuvent décider et imposer souverainement leur préférence », il oublie curieusement le « non » de 2005 au traité constitutionnel, réintroduit scandaleusement ensuite dans les traités européens. En imposant une voie économique rejetée par le peuple, un tel déni de démocratie ne pouvait qu’alimenter le rejet des institutions européennes. Et n’est-ce pas aussi étouffer aujourd’hui toute perspective d’une construction européenne pérenne que de passer sous silence, comme le fait le Président de la République, la possibilité de mettre en œuvre des politiques européennes différentes ? Il est pourtant possible de privilégier la coopération et des échanges commerciaux équilibrés au lieu s’arc-bouter, comme il le fait, sur les principes économiques édictés par la Banque Centrale Européenne, la Commission de Bruxelles et le FMI, troïka enfermée dans le dogme libéral de la concurrence systématique, « libre et non faussée ».
Après avoir allégrement avalé le fameux traité « Sarkozy-Merkel » qui soumet aujourd’hui les peuples de la zone euro à l’austérité au nom de la sacro-sainte « compétitivité », il ose rêver une Europe qui ne soit pas celle de « la guerre commerciale », qui « redonne de la force à l’économie » et « met fin à l’austérité aveugle ». Sans doute devrait-il relire Bossuet : « Le Ciel se rit des prières qu’on lui fait pour éloigner de soi des maux dont on persiste à accepter les causes ».
Mais le comble est bien son silence sur le « Grand marché transatlantique » en cours de négociation entre l’Union Européenne et les Etats-Unis. C’est que l’opacité est de mise quand il s’agit de défendre les seuls intérêts des firmes internationales et des grands opérateurs économiques. La « loi du silence » devient la règle quand la « loi de la jungle » est érigée en paradigme répondant aux seules motivations de la conquête des marchés et de la mise en concurrence des salariés.
Derrière cette fable présidentielle d’une Europe de progrès, se cache en fait le consensus libéral qui s’est construit toutes ces dernières années entre les forces conservatrices européennes et les forces sociale-démocrates. Au Parlement européen, leurs groupes respectifs, PPE et PSE, ont soutenu les mêmes traités dans lesquels les forces sociales, citoyennes, populaires se reconnaissent de moins en moins.
C’est ce consensus qui nourrit la montée des populismes et des extrémismes de droite. Il est grand temps de faire monter une nouvelle force de gauche européenne, représentée en France par le Front de gauche. Elle seule est à même d’ouvrir un nouveau chemin à gauche en impulsant une Europe sociale incarnée par un véritable « Traité social européen » porteur de valeurs et de normes protectrices de nos travailleurs, socle d’une Europe solidaire libérée de la tutelle des marchés financiers, des dogmes du libéralisme et de l’austérité budgétaire.