Quand les blés sont sous la grêle…
S’il est un sujet récurrent dans mes échanges avec le monde agricole, c’est bien celui de la flambée des cours des céréales. Avec un terrible constat : désormais l’envolée est essentiellement fondée sur les anticipations spéculatives des banques et des agents de la finance internationale, qui utilisent les produits agricoles comme de vulgaires outils de placement pour se remplir les poches. Une fois encore, la finance se moque des ventres de ceux qui ont faim. Elle ne se préoccupe pas plus de l’avenir des éleveurs. Pourvu que l’ivresse du profit immédiat soit au rendez-vous !
L’hypocrisie est aussi au rendez-vous : face à ce coup de force financier permanent sur l’alimentation, certains font mine de découvrir aujourd’hui les conséquences de 20 années d’abandon des outils de régulation et des règlementations financières, ou du dynamitage imposé des outils de stockage publics. C’est pourtant bien cette politique que soutient encore et toujours la Commission européenne avec le projet de futur PAC, ou que tentent de justifier, de sommet en sommet, les experts de l’OMC ou du FMI.
Il me revient à l’esprit ces beaux vers d’Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat ». Aussi, quelle amertume à entendre sur BFM TV le nouveau ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, annoncer qu’il est urgent d’attendre les conclusions du rapport du G20 agricole, commandé pour la mi-septembre, avant d’esquisser quelques mesurettes anti-spéculation ! Et que dire de cette déclaration, dans le Monde, du directeur général de l’organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), José Graziano da Silva, qui anticipe que les prix agricoles vont continuer de « connaître une grande volatilité dans les dix années à venir », tout en demandant la mise en place « de stocks » pour s’en prémunir ? Il se félicite même des avancées du G20 agricole de 2011 sur « la transparence du fonctionnement des marchés »… tout en faisant le constat de sa totale inefficacité sur la situation actuelle.
Il nous faut réaffirmer combien les engagements de la France dans les semaines et les mois qui viennent doivent servir de levier politique, pour amorcer une véritable sortie des échanges agricoles du grand Monopoly d’une agriculture mondialisée. C’est en effet toute la gouvernance alimentaire qu’il faut remettre en cause pour arracher à la finance les produits alimentaires. Nous ne pouvons pas continuer à agiter l’étendard de la moralisation du capitalisme comme remède contre la spéculation sur les matières agricoles, tout en laissant tranquillement les banques boursicoter à l’envie sur le marché de la faim… celles mêmes qui ont été impliquées jusqu’au cou dans la crise des subprimes.
Allez ! Un peu de courage… Commençons par interdire au Crédit Agricole ou à BNP Paribas de proposer, comme d’autres, des produits financiers indexés sur les cours des matières premières agricoles. Intervenons directement sur la règlementation des marchés à terme, en interdisant les prises de position de tous ceux qui n’ont aucun lien avec le secteur agricole. Signifions clairement à ceux qui s’engraissent sur la vie des autres, que l’alimentation ne peut plus être un « grenier à profits ». Chiche !
Chronique publiée dans le Journal La Terre.