Racisme ordinaire, combat du quotidien
Les injures racistes proférées à l’encontre de Christiane Taubira, Ministre de la Justice, ne sont pas une simple banalisation des attaques verbales à l’encontre de celles et ceux qui n’auraient pas la « bonne » couleur de peau. Ces injures symbolisent un terrible glissement de la société française vers les idées nauséabondes de l’extrême-droite. Je partage pleinement l’analyse de Christiane Taubira qui parle de « dérive de la société française ».
Comme chaque fois dans l’histoire, l’abandon en matière économique et social des classes populaires sert de terreau fertile aux idées populistes et au rejet de l’autre. Cette situation entraîne la perte des repères politiques et historiques. Elle permet aussi aux dominants et aux forces de l’argent, tenants du statu quo dans la répartition des richesses, d’opérer une véritable diversion, conduisant les plus modestes à épargner les vrais responsables de la situation.
Certes, les brèches ouvertes par 10 années de « sarkozysme appliqué » ne pouvaient pas se refermer comme par enchantement. Mesurons l’ampleur des effets sur les consciences de la construction méticuleuse par une droite extrême d’une culture profondément réactionnaire et discriminante. Il s’agit par exemple de cet « ennemi intérieur », ressassé à longueur d’antenne de journal télévisé et de reportages, baptisé un jour « racaille », le lendemain « délinquant », le jour suivant « fraudeur aux aides sociales », aujourd’hui « Rom »… L’imprégnation culturelle qui en résulte produit indéniablement ses effets : une vision faussée et arbitraire de la société, et des peurs irrationnelles, masquant les réalités les plus violentes du système capitaliste, qui renforce l’insécurité sociale et une pauvreté grandissante.
Combattre ce racisme ordinaire est rendu encore plus difficile avec un Président de la République socialiste, qui poursuit les grands traits de la politique économique, sociale et d’immigration de son prédécesseur. Lutter au quotidien contre la banalisation de la parole raciste exige en effet une lutte effective contre les difficultés sociales et économiques qui minent les citoyens de notre pays. Cela passe par des réponses politiques fortes, comme l’interdiction des licenciements boursiers, ou la hausse des salaires. C’est ainsi que la gauche peut marquer une rupture dans ce glissement dangereux des consciences. Elle doit avoir le courage de remettre au centre des débats politiques la question du vivre-ensemble, de la diversité ethnique et culturelle, du dialogue entre les peuples, qui sont les vraies richesses de notre monde.
Disons-le aussi, nous avons un effort individuel à fournir pour ne pas laisser passer sans réaction certains propos qui jalonnent désormais notre quotidien. Combien de fois suis-je ainsi interpellé ouvertement par des paroles qui stigmatisent l’étranger ou le voisin, soudainement doté de privilèges exorbitants, alors qu’il se trouve lui-même dans la plus grande précarité ? Chacun sait combien il est difficile, dans ces échanges brefs, souvent sur fond de colère, de replacer les responsabilités réelles des uns et des autres, de démontrer que d’autres choix sont possibles plutôt que de céder à de simples réactions haineuses. Mais cet effort est indispensable. Plus que jamais nous devons nous astreindre à répondre, de façon claire et argumentée, pour renverser la dérive des consciences. Au racisme ordinaire, opposons le combat du quotidien.
Chronique publiée dans le journal La Terre.