Travailleurs détachés, travailleurs surexploités
Depuis 1996, la directive concernant le détachement de travailleurs a permis le détachement de travailleurs dans un pays tiers, dans le cadre d’une prestation de services, prévoyant en théorie l’application du droit du pays d’accueil, sauf quand le droit du pays d’envoi est plus favorable. Or, ce principe est bien loin de correspondre à la réalité ! Bien au contraire, nous constatons l’émergence sur le marché du travail d’un salarié low cost, à bas coût, figure moderne et européenne de l’exploitation de l’homme. Soyons clairs : non seulement la directive « détachement » n’a pas évité le dumping social, mais elle l’a au contraire favorisé avec un alignement par le bas du coût du travail et de la protection sociale.
Le statut de travailleur détaché est devenu un instrument de la concurrence sociale en Europe, notamment dans les secteurs de la construction, du BTP et de l’agroalimentaire. Ces pratiques systématiques d’optimisation sociale se sont accrues avec l’adhésion de pays d’Europe de l’Est, aux fortes disparités de conditions salariales et de couverture sociale. La crise économique, qui frappe durement les pays d’Europe du Sud, est venue encore alimenter cette dérive. Le nombre de ces travailleurs détachés en France a fortement augmenté : ils attendraient aujourd’hui les 300 000.
Le secteur du bâtiment en concentre un nombre considérable. À Clermont-Ferrand, par exemple, on a eu recours pour le méga-projet d’aménagement urbain, le Carré de Jaude, à des travailleurs guinéens, polonais et portugais, au taux horaire de 2,86 euros. Logés au prix fort dans des bungalows, ils travaillaient jusqu’à cinquante-cinq heures par semaine, et la convention collective n’était pas respectée, notamment sur les primes de précarité et d’intempérie. Qu’il s’agisse du vaste réseau de sociétés d’intérim qui envoient des salariés roumains, polonais ou autres travailler dans les abattoirs allemands ou français, ou du détournement des règles en vigueur concernant le détachement interentreprises, la logique à l’œuvre est dévastatrice : conditions de travail dégradées, salaires minables amputés de retenues pour frais divers, logement le plus souvent indigne, non-paiement des cotisations sociales, fraude généralisée...
Pour les entreprises, c’est le jackpot assuré. Et ce n’est pas un hasard si les organisations syndicales n’arrivent pas à informer les salariés détachés de leurs droits, pas un hasard si l’accès aux chantiers publics est interdit aux militants syndicaux par les responsables des entreprises. En plus du gain sur le coût du travail, le patronat avance sur un autre terrain : la mise en concurrence des travailleurs entre eux au sein d’une même entreprise. Comment s’étonner ensuite, comme on vient de le voir pour l’entreprise Gad, que des salariés qui n’ont presque rien se battent contre ceux qui ont encore moins ? Terrible dérive…
Il est grand temps de repenser le projet européen avec l’adoption d’un « traité social », porteur de valeurs et de normes protectrices de nos travailleurs, socle d’une Europe sociale et démocratique libérée du tout-fric. Nous, députés du Front de gauche, c’est à cette Europe-là que nous continuons à croire. C’est pour cette Europe-là que nous nous battons.
Chronique publiée dans le journal La Terre.