Réautorisation des néonicotinoïdes : pourquoi nous nous y opposons ?

Publié le par André Chassaigne

Je suis intervenu à deux reprises dans le débat sur le projet de loi visant à ré-autoriser l’usage des néonicotinoïdes pour les betteraves sucrières (Projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières).

Vous retrouverez ici mes deux interventions générales, qui reviennent sur les raisons qui m'ont conduit à rejeter ce texte. 

 

Intervention générale du lundi 5 octobre 2020 :

Je livrerai d’abord un sentiment, celui d’une double régression, l’une environnementale et l’autre démocratique.

Quinze années nous séparent de l’adoption du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement : ce texte contrevient à ses articles 2 à 5. Quatre années nous séparent de l’adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité : ce texte contrevient à son article 2, affirmant le principe de non-régression du droit de l’environnement.

Monsieur le ministre, vous faites aujourd’hui fi de ces textes fondateurs. Beaucoup ici considèrent qu’il ne s’agit que d’une concession minime, voire marginale, et qu’il faut bien en passer par là face à une urgence économique. Pour ma part, j’en appelle à la responsabilité et à la mesure.

La dangerosité des néonicotinoïdes a-t-elle reculé depuis 2016 ? Non.

Des preuves scientifiques sont-elles venues remettre en cause les études prouvant leur effet sur les pollinisateurs et l’environnement ? Non, au contraire.

En vous entendant, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, justifier le retour de l’autorisation des néonicotinoïdes, j’ai été pris d’une interrogation légitime : votre majorité sera-t-elle prête à voter pour ce retour, quoi qu’il en coûte, jusqu’à s’affranchir des règles constitutionnelles de la loi commune et de notre droit de l’environnement ?

J’ai conscience, monsieur le ministre, de la charge qui pèse sur vos épaules. Commencer dans vos fonctions, en l’absence remarquable de la ministre de la transition écologique, en essayant de faire voter un tel concentré du renoncement environnemental de ce gouvernement, vous oblige à vous livrer à de terribles contorsions.

Contorsions pour faire passer les conséquences de la libéralisation d’un marché agricole pour une simple impasse agronomique.

Contorsions pour invoquer sans cesse la souveraineté alimentaire tout en continuant à appuyer sur l’accélérateur des mises en concurrence et des dumpings par le biais d’accords de libre-échange.

Contorsions pour prétendre défendre des producteurs et leurs revenus agricoles, alors que l’on renonce, au niveau national comme au niveau européen, à les protéger grâce à des outils et à des interventions publiques.

Contorsions pour défendre l’emploi de la filière de transformation sucrière, alors que rien n’a été fait pour éviter la disparition cette année de quatre des vingt-cinq sucreries implantées sur le territoire national.

Contorsions pour affirmer être impuissants à accompagner la transition et à assurer l’indemnisation des pertes de récoltes, tout en refusant de mettre en place un véritable régime public d’assurances contre les risques climatiques, sanitaires et environnementaux, ainsi que le groupe GDR l’a proposé dans une proposition de loi que je vous ferai passer.

Contorsions enfin quand, sur le plan strictement agronomique, vous soutenez qu’il n’y a pas de solution de rechange à l’utilisation des néonicotinoïdes alors qu’en même temps, vous affirmez que les solutions passent par le biocontrôle, les changements de pratiques culturales, l’implantation de haies, les auxiliaires de culture.

Ce faisant, vous ne démontrez qu’une chose : votre projet de loi ne vise pas à répondre à un problème agronomique, il tend à essayer de sortir par l’abaissement de nos normes environnementales de l’impasse dans laquelle la politique libérale a placé les producteurs en ouvrant le marché du sucre à tous les vents.

Je sais que vous vous en défendez en refusant d’endosser la responsabilité de la suppression des quotas en 2017.

Mais quelle politique défendez-vous actuellement comme ministre ? Défendez-vous, comme nous, l’arrêt des accords de libre-échange ?

Soutenez-vous, comme nous, le retour de la régulation des marchés et des volumes pour toutes les grandes productions au niveau communautaire ?

Agissez-vous pour garantir des prix d’achat suffisants aux planteurs, ce qui est une condition impérative de la pérennité de la production ?

Monsieur le ministre, plutôt que de vous déplacer des vertèbres par ces multiples contorsions, il serait plus simple et plus efficace de retirer ce texte de régression, afin que nous trouvions collectivement les moyens d’accompagner durablement nos betteraviers, tout en faisant une analyse précise et objective de la situation des marchés du sucre, de nos outils industriels et de transformation.

Je vous le dis avec solennité : si vous faites ces choix-là, nous sommes prêts à vous accompagner, mais nous n’accepterons en aucun cas les abandons que représente ce projet de loi. 

 

Intervention du vendredi 30 octobre 2020 (sur le texte de la Commission Mixte Paritaire) :

La CMP n’a rien changé sur le fond ; seul l’article 4 vient timidement pointer du doigt l’absolue nécessité de mettre fin aux concurrences déloyales et aux déséquilibres dans les conditions environnementales et sanitaires de production, et rappeler au bon souvenir de certains le contenu de l’article 44 de la loi ÉGALIM.

Notre opposition à ce texte s’appuie certes sur l’impact environnemental et sanitaire des néonicotinoïdes, mais aussi sur la véritable omerta qui règne sur la situation économique de la filière sucrière. Sur le plan environnemental, la nocivité des néonicotinoïdes pour l’environnement, les pollinisateurs, les insectes auxiliaires et la vie du sol est prouvée. Des centaines d’études scientifiques convergent et rien ne permet de les remettre sérieusement en cause – d’ailleurs, vous ne le faites pas vous-même, monsieur le ministre. 

Mais en matière d’écotoxicité de ces produits, les nouvelles connaissances sont encore plus alarmantes qu’hier : je vous invite à lire l’excellent article de Stéphane Foucart paru hier dans le journal Le Monde : il révèle les inquiétants résultats d’une étude à paraître en janvier dans la revue scientifique Agriculture, Ecosystems & Environment – Agriculture, écosystèmes et environnement – conduite sur la base de prélèvements de 180 échantillons de sol en France.

L’imidaclopride, principal néonicotinoïde utilisé dont nous parlons aujourd’hui, se retrouve dans l’immense majorité des sols, et pas seulement sur des parcelles cultivées conventionnelles, mais aussi sur des prairies, des haies, et même des parcelles proches cultivées en agriculture biologique. Ces chercheurs précisent : « les taux d’imidaclopride que l’on retrouve dans les vers de terre sont faramineux », et ajoutent : « les concentrations retrouvées sont spectaculaires ». Cela remet en cause la position de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, qui considérait l’imidaclopride comme à faible risque de bio-accumulation. Ces chercheurs ajoutent que le niveau d’exposition des vers de terre, mais aussi des autres organismes essentiels à la bonne santé du sol, entraîne fréquemment « un risque de toxicité chronique élevé ». Ils jugent la situation « très inquiétante, non seulement pour les lombrics eux-mêmes, mais pour l’intégrité des chaînes alimentaires et la santé environnementale en général ». Ils ajoutent que « pour certains oiseaux qui se nourrissent presque exclusivement de vers de terre à certaines périodes de l’année, les concentrations d’imidaclopride que nous retrouvons laissent suspecter des effets quasi létaux ».

Dispersion, bio-accumulation, toxicité chronique, contamination croisée par plusieurs molécules : voilà des connaissances toujours plus alarmantes. Et nous devrions les occulter ?

Dans ces conditions, pensez-vous raisonnable, monsieur le ministre, de justifier votre empressement à réautoriser ces produits par l’unique argument de l’économie générale de la filière sucrière ?

J’ajoute que les missions du conseil de surveillance se limiteraient à la recherche sur les alternatives agronomiques. C’est d’un conseil de surveillance de la politique stratégique et financière des trois grands groupes sucriers – Tereos, Cristal Union et l’allemand Südzucker – que nous avons besoin, car nous aurions aimé disposer, comme législateur, d’une évaluation objective de la situation économique de ces acteurs – de leur endettement, de leur stratégie, de leur volonté de maintenir l’emploi et soutenir la rémunération des producteurs.

Nous aurions aimé la transparence sur les choix qui ont conduit ces deux dernières années à la suppression de quatre des vingt-cinq sucreries implantées sur le territoire national.

Nous aurions aimé pouvoir discuter ici de l’impact économique précis, territoire par territoire et en fonction des pratiques, des pertes de rendement observées.

Nous aurions aimé discuter des outils et des moyens de compensation économique par les prix payés aux producteurs pour maintenir les surfaces cultivées.

Nous aurions aimé connaître le montant des profits réalisés par l’industrie agroalimentaire en profitant de la baisse du prix du sucre.

Nous aurions aimé débattre d’un régime public de gestion des risques et des aléas pour les producteurs, comme nous le proposons.

Nous aurions aimé débattre de l’opportunité de restaurer une régulation européenne des volumes de production.

Nous aurions aimé tout cela, mais de ces problématiques structurelles qui sont pourtant le cœur du sujet, vous ne parlez pas.

Je vous le redis en toute franchise, monsieur le ministre : il n’y a pas pire signal écologique et sanitaire que celui que vous allez donner aujourd’hui. Il n’y a pas de pire politique économique que celle qui ne veut pas affronter les vrais problèmes rencontrés par la filière sucrière.

 

 

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