L'avenir de notre agriculture est conditionné à trois grands défis, totalement interdépendants

Publié le par André Chassaigne

 L’avenir de l’agriculture française est conditionné aux réponses politiques qui seront apportées dans la décennie à venir à 3 grands défis, totalement interdépendants.
 

 Le premier défi, le plus urgent, est social. C’est notre capacité à maintenir un nombre d’actifs suffisant en agriculture. Le rythme de disparition des fermes et des actifs agricoles des trois dernières décennies est en effet vertigineux !  25 % des actifs et des exploitations disparaissent tous les dix ans. Notre pays ne compte plus aujourd’hui qu’un peu plus 400 000 agriculteurs. Si nous ne stoppons pas immédiatement la décroissance du nombre de bras agricoles, rien ne sera possible. Non seulement nous ne répondrons pas aux besoins alimentaires des Français, mais nous assisterons à de tels bouleversements que seront renforcées toutes les dynamiques qu’il nous faut enrayer : spécialisation et concentration des productions, perte de valeur ajoutée sur les structures, croissance des importations et des dépendances… Ce défi est d’autant plus colossal qu’un agriculteur français sur deux pourra prétendre à partir en retraite d’ici 2030. 200 000 actifs sont donc dans la balance en moins de 10 ans. 

 Le deuxième défi est économique : c’est la capacité que nous aurons à restaurer des garanties de prix d’achat et de revenus à nos producteurs agricoles. Sans cela, il n’y aura pas de renouvellement des actifs en agriculture à la hauteur. Sur ce point, l’action politique doit être déterminée. Je défends un hyper-interventionnisme agricole. La puissance publique doit réguler et définir les objectifs à tous les niveaux : intervention de l’Etat dans la construction et le respect de prix d’achat intégrant l’évolution des coûts de production ; réorientation par le biais de la PAC des soutiens à l’actif, plafonnés, et couplés à des volumes de production maximum ; construction d’un régime public d’assurance, de gestion et de prévention des risques et des aléas climatiques bénéficiant à tous. 

 Enfin, le troisième défi est systémique. C’est celui de la transformation agroécologique de tous nos systèmes de production. Sans prix, sans revenus, sans suffisamment d’actifs, cette transformation systémique n’aura pas lieu. Je sais aussi qu’une telle transformation n’est possible qu’en achevant le mythe libéral, encore tenace, d’un niveau de production mécaniquement maintenu par les gains de productivité et une meilleure compétitivité-prix sur les marchés mondiaux. Il faut être lucide : productivité et rendements agricoles plafonnent dans notre pays. Des raisons objectives font penser qu’ils vont lentement décroître : avec la croissance des coûts de production liée aux renchérissements des intrants et de l’approvisionnement énergétique, avec l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques, et avec la dégradation de la qualité agronomique de certains sols agricoles. Il va falloir être en capacité de produire « mieux », à des prix plus élevés, avec un maintien de la valeur ajoutée sur des exploitations de taille humaine… plutôt que de transférer les richesses produites vers les portefeuilles des transnationales de l’agroalimentaire, de la distribution et des banques. L’accompagnement d’une telle transformation globale passe aussi par des mesures très fortes : des protections strictes contre les importations qui ne respectent pas nos normes sanitaires, environnementales et sociales, un renforcement majeur de notre formation initiale et continue en agriculture, un transfert très efficace de la recherche agronomique dans les pratiques.
 

Tribune publiée dans le journal L'Humanité du 14 octobre 2021. 

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M
A propos du premier défi : il faudrait peut-être nuancer le diagnostic car, s'il est vrai que le nombre d'actifs diminue selon les statistiques, jamais les terres n'ont été autant exploitées et il n'y a plus un pouce de terre en jachère ou à l'abandon. Je parle peut-être de la région du Haut-Forez où je réside et qui est en train de se "bretagniser" sans que personne ne le remarque : tracteurs géants, machines monstrueuses, stabules géantes flambant neuves, nombre de bêtes multiplié par au moins 4 en deux décennies, des milliers de m3 de purin déversées dans les champs à longueur d'année faisant qu'il n'y a plus une seule source d'eau potable dans la région et...lycées agricoles sont pleins.
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