Je suis triste
Le 3 décembre 2014, je rencontrais Charb pour échanger avec lui sur le devenir de Charlie Hebdo. Il m’avait alors chargé d’être le porteur d’un amendement sur la presse à la loi de finances, qui est devenu ensuite « l’amendement Charb », et que Pierre Laurent a pu faire adopter au Sénat au lendemain de la tragédie de ce début d’année.
C’est ce soir-là qu’il m’avait si gentiment offert l’illustration de ma carte de vœux pour 2015. J’avais alors fait le choix d’accompagner son dessin et mes vœux du texte suivant :
« En remerciant l’ami Charb, dessinateur et directeur de Charlie Hebdo, pour l’illustration de cette carte de vœux, je voudrais attirer l’attention sur la crise que rencontre aujourd’hui, pour reprendre ses mots, « les titres imprimés sur du bon vieux papier ». Charlie Hebdo n’y échappe pas, l’Humanité et l’Humanité Dimanche non plus, et bien d’autres titres de la presse écrite.
A la fin de l’éditorial fondateur de l’Humanité, le 18 avril 1904, Jean Jaurès déclarait que « Faire vivre un grand journal sans qu’il soit à la merci d’anciens groupes d’affaires est un problème difficile, mais non pas insoluble ».
Alors que la guerre économique s’accompagne de ce qu’il faut bien appeler une puissante guerre idéologique, mobilisons-nous pour sauver les titres qui nous sont chers et aujourd’hui gravement menacés ».
J’ai ensuite eu le sentiment douloureux d’« avoir été Charlie » avant l’heure. Mais j’ai eu aussi le regret de n’avoir pas cité d’autres titres, comme le Monde Diplomatique, lui aussi très menacé, et bien évidemment La Terre.
Alors que je viens d’envoyer, en urgence comme chaque fin de matinée de lundi, ma chronique pour La Terre, je suis triste. C’est la dernière de l’hebdomadaire que j’aimais tant. Ce journal qui a tant marqué la conscience de générations de ruraux et qui disparaît sous sa forme actuelle.
Je pense à un paysan de mon village aujourd’hui disparu. Je n’étais pas encore élu. Alors que je lui proposais de s’abonner à « notre » journal, il avait eu cette réponse : « La terre, je la lis pas, je la travaille ! ». Puis, La Terre, il s’était mis à la lire, avait levé la tête… puis il avait adhéré au Parti Communiste Français. Il n’avait pas été le seul.
40 ans après, je mesure le chemin parcouru dans notre petit coin d’Auvergne. Comment ne pas être triste aujourd’hui ?
Dernière chronique pour le journal La Terre (non publiée)
Au terme de semaines de débats au sein et en dehors de notre hémicycle sur le désormais célèbre « projet de loi Macron », le gouvernement s’est retrouvé dans une impasse politique. C’est le constat d’absence de majorité disponible pour voter ce texte qui a amené le Premier Ministre à engager la responsabilité de son gouvernement sur la loi « Macron » issue des débats. Ce choix de passage en force est d’abord un déni de démocratie. Le recours à l’article 49-3 a ainsi eu pour seul but d’empêcher la représentation nationale de se prononcer sur un texte qui a été discuté durant près de 200 heures en commission et en séance publique.
C’est surtout l’aveu d’un échec. Car le sens des responsabilités et la voix de la raison d’un gouvernement de gauche aurait dû conduire à retirer un texte qui ne pouvait pas obtenir l’adhésion d’une majorité de députés de gauche et ne pouvait être adopté qu’avec les voix de la droite. Plutôt que de le reconnaître, et d’exprimer ainsi sa responsabilité, l’exécutif a décidé de jouer envers et contre tous, y compris contre une partie des élus de sa propre majorité.
En voulant faire une démonstration de force, l’action du Premier ministre et de son Gouvernement est au contraire la manifestation d’une profonde faiblesse. Car au-delà de ce texte, c’est la politique gouvernementale dans son ensemble et sa dérive libérale qui sont contestées, alors que l’alternative à Sarkozy était censée mener la guerre à la finance. Le projet de loi Macron est la consécration de ce glissement après une série de réformes régressives qui ont été autant de coups de butoir contre notre modèle social : qu’il s’agisse de la ratification du « Traité budgétaire » - véritable pêché originel – de l’ « Accord national interprofessionnel » (ANI), du « Crédit d’impôt compétitivité emploi » (CICE), ou du si mal nommé « Pacte de responsabilité ».
Avec ce nouveau projet de loi, l’exécutif démontre son incapacité à entendre la voix du peuple et de sa représentation pour succomber aux sirènes du MEDEF et aux injonctions de Bruxelles. Car la réalité est bien là. Contrairement à son intitulé, le « projet de loi Macron », dit « pour la croissance et l’activité », ne créera ni activité ni emploi. Il est simplement calibré pour répondre aux exigences de Bruxelles. Son objectif est d’envoyer à nos partenaires européens le signal que notre pays se réforme, c’est-à-dire, selon la définition libérale : ouvre un peu plus ses portes aux marchés financiers et aux investisseurs avides de profits et de rentes confortables.
Faute de pouvoir disposer de la signature de 58 député-e-s de gauche pour déposer notre propre motion de censure, nous avons été contraints de voter sur une motion qui n’était pas la nôtre. Mais c’était le seul moyen qui nous restait pour s’opposer à l’adoption de la loi « Macron ». Après 3 années d’attaques contre les droits sociaux et collectifs, après le charcutage de la démocratie locale à travers la réforme territoriale en cours, il n’en demeure pas moins que cet épisode va amplifier l’immense fossé qui se creuse entre les forces sociales et le pouvoir, entre les citoyens et la politique. Cette situation renforce d’autant plus la nécessité de faire converger sur des bases communes une alternative politique bien concrète et crédible à gauche pour ne laisser se défaire l’ensemble du modèle politique et social français.