Pour des régions démocratiques et solidaires
Article publié dans la revue Economie et Politique.
Démocratie, citoyenneté et proximité sont les éléments fondamentaux pour que les politiques publiques répondent réellement aux besoins et aux aspirations des populations. Aussi, l’amélioration des conditions d’exercice des droits démocratiques et d’implication des classes populaires doit guider toute réforme de nos institutions républicaines, à l’opposé des politiques mises en œuvre depuis 2012, qui s’inscrivent à contre sens de ces principes essentiels pour une République moderne et renouvelée.
Sur le plan social tout d’abord, l’essentiel des évolutions législatives se sont appliquées à limiter, voire démanteler, les droits et les pouvoirs d’intervention des salariés dans le domaine économique, et à corseter le tissu démocratique de proximité.
Sur le plan budgétaire, les coupes drastiques dans la dépense publique et singulièrement dans les dotations aux collectivités - 28 milliards d’euros cumulés d’ici 2017 - démontrent l’ampleur de l’attaque portée aux solidarités locales et au dynamisme de nos territoires.
Une volonté de dissoudre les échelons qui répondent aux besoins sociaux fondamentaux
La réforme territoriale de l’actuel gouvernement s’est ainsi conclue (provisoirement [1]) par l’adoption de la loi portant une Nouvelle Organisation Territoriale de la République (dite loi NOTRe). Sans débat public dans le pays, seuls les échanges parlementaires et la mobilisation des élus auront permis d’éclairer quelque peu sur l’ampleur de la restructuration territoriale mise en œuvre. Après la loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (loi MAPTAM) et la loi sur la délimitation des régions, la loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (loi NOTRe) a finalisé le dernier pilier d’une véritable « contre-réforme libérale » de nos institutions républicaines. Il ne s’agit plus de parler de décentralisation, axée sur des transferts de responsabilités de l’État vers les collectivités, mais plutôt de dilution des collectivités, accompagnée d’un cortège de regroupement et de recentralisation des compétences.
Derrière les volontés affichées de simplifier un prétendu millefeuille, se cachait en fait une détermination : saper les fondations des deux cellules de base de notre construction républicaine que sont la commune et le département. Pourquoi ? D’abord parce qu’elles constituent, toujours aujourd’hui, des échelons de solidarité et de proximité avec les habitantes et les habitants et sont ainsi des obstacles aux politiques d’austérité. Même si ces deux niveaux de collectivités ne disparaissent pas dans l’immédiat, elles sont touchées au cœur dans leur capacité à répondre aux aspirations et aux besoins les plus fondamentaux des Françaises et des Français.
Nous pourrions illustrer parfaitement ce propos en revenant sur la création des « métropoles » comme celle de Lyon, qui bénéficie aujourd’hui de prérogatives faisant d’elle une collectivité pleine et entière, ayant totalement siphonné les compétences départementales : un véritable laboratoire libéral pour pousser plus loin le remodelage de la République.
Un plan d’ajustement territorial aux exigences de la finance
Force est donc de constater que les trois lois de la « réforme territoriale » ont été conçues pour jeter les collectivités dans l’arène de la concurrence européenne et de la compétition mondialisée et financiarisée. La loi MAPTAM, avec sa création des quatorze métropoles, avait ouvert le chantier du remodelage territorial en s’inscrivant dans le modèle d’une Europe des grandes régions et des métropoles. En fusionnant ensuite les régions pour les réduire à 13, non seulement on éloigne encore davantage les citoyens des lieux de décisions, mais on crée aussi les conditions pour concentrer les entreprises, les centres de recherches, les universités, et par là même l’ensemble des richesses produites autour de quelques grands pôles territoriaux, donnant ainsi satisfaction à la Commission européenne pour toujours mieux répondre aux logiques de rentabilité et d’extension des marchés.
Une concentration de la création des richesses et l’accentuation des inégalités territoriales
Dans ce nouveau cadre institutionnel, les dangers de relégation et de ségrégation guettent une majorité de territoires en l’absence de réflexion de fond sur la prise en compte et la lutte contre les inégalités. Pour prendre un exemple, le regroupement des régions Auvergne et Rhône-Alpes se caractérise surtout par l’absorption d’une région dite « pauvre » par une région dont le PIB se situe au deuxième rang national. Les écarts de revenus et les inégalités économiques, sociales et démographiques sont tels que cette future région sera inéluctablement un territoire à plusieurs vitesses autour d’une métropole lyonnaise concentrant l’essentiel de la création de richesses.
D’autant plus que la loi NOTRe a accordé un « pouvoir » économique accru aux métropoles : « Les orientations du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation applicables sur le territoire d’une métropole sont élaborées et adoptées conjointement par le conseil de la métropole concerné et le conseil régional. À défaut d’accord, la métropole élabore un document d’orientations stratégiques qui prend en compte le schéma régional. Ce document tient lieu, pour la métropole, d’orientations ». Avec cette disposition, les métropoles pourront largement concurrencer le Conseil régional dans ses propres politiques, amplifiant la guerre économique entre collectivités d’une même région, qui s’affronteront pour attirer sur leur propre territoire les investissements et les projets de développement économique.
Ajoutons à cela que dans le cadre d’un renforcement des pouvoirs régionaux, la loi NOTRe prévoit que les Régions élaborent et votent un Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité du Territoire (SRADDET). Opposable et prescriptif, il s’imposera aux autres collectivités. C’est un pas supplémentaire dans la remise en cause du principe constitutionnel de non tutelle d’une collectivité sur une autre.
La suppression de la clause de compétence générale, véritable symbole de la régression démocratique
La loi NOTRe a finalement acté la suppression de la clause générale de compétence au nom d’une clarification « indispensable » des prérogatives de chaque échelon territorial. Cette nouvelle donne aura des conséquences à ne pas sous-estimer. La clause de compétence générale permettait en effet à une collectivité d’intervenir au-delà de ses compétences obligatoires afin de développer des politiques utiles aux territoires et aux populations. Les régions et les départements avaient donc la possibilité de mettre en place des actions concrétisant ses choix de développement économique et sociaux.
La suppression pour les régions et les départements de cette capacité d’action politique revient en fait à les cantonner sur les seules compétences prévues par la loi. Le rôle des élus dans la mise en œuvre de leurs orientations politiques en sortira nettement affaibli, laissant toujours plus de place à des fonctions de gestion, à ressources contraintes, au détriment du financement de projets utiles aux populations, au monde du travail et au tissu social et associatif.
Ne pas tomber dans le piège d’une Région-substitut à l’État
De nombreuses autres dispositions de cette réforme pourraient nous démontrer sa nocivité pour les territoires, les populations et la démocratie. Malheureusement, à gauche, certaines organisations politiques, dont certains de nos partenaires du Front de gauche, sont prêtes à tomber dans le piège libéral d’une région venant progressivement se substituer aux cadres de solidarité et d’égalité nationales. Certaines mesures contenues dans les programmes témoignent tout particulièrement de ce dangereux virage. Il en va ainsi par exemple de la constitution d’opérateurs ferroviaires de transports de voyageurs régionaux (2). Cette proposition, imaginée sans doute dans l’entre soi de quelque marchandage politique, au mépris des organisations syndicales de cheminots ou d’associations d’usagers, vise en fait à démanteler le caractère national de la SNCF et à mieux ouvrir à la concurrence le secteur des transports publics. C’est la même démarche quand il s’agit d’accélérer la privatisation de concessions hydro-électriques par la création de Sociétés d’Economie Mixte (SEM) avec l’apport de capitaux des collectivités en recherche de recettes nouvelles. Cette relocalisation de la production et gestion de l’énergie portera inéluctablement un coup d’arrêt à l’indispensable planification nationale et européenne de la transition énergétique. Ces deux exemples démontrent combien il est facile de succomber aux sirènes de la mode libérale, pour faire semblant de mieux coller aux réalités territoriales, mais sans en mesurer les effets pour les populations.
Certains rêvent d’aller encore plus loin avec notamment une territorialisation du droit, donnant la possibilité aux Régions d’adapter les normes et les lois. L’Association des Régions de France a formulé « 10 propositions pour la réforme territoriale » (3), pour partie intégrées à la loi NOTRe. Nous y retrouvons évidement de nouvelles demandes de compétences concernant l’emploi, la formation, les transports ou la transition énergétique. Mais nous pouvons surtout lire que l’ARF souhaite, au nom « de la diversité des territoires et des acteurs », le transfert « d’un pouvoir de nature réglementaire permettant aux régions d’appliquer de manière diversifiée, sous réserve du contrôle de légalité, les lois régissant la définition et la réalisation des politiques publiques de leur responsabilité ». L’État devrait ainsi se recentrer sur ses missions régaliennes et donner aux régions « plus de moyens et de pouvoirs permettant de débloquer la crise actuelle et de libérer les énergies ».
Pour retrouver les chemins de la croissance, il faudrait donc s’en prendre aux principes fondateurs de la République en rayant d’un trait de plume les notions « d’unité » et « d’indivisibilité » inscrites dans la Constitution. Territorialiser le droit reviendrait à transformer progressivement notre république en une Fédération de régions ouvrant la voie à l’Europe des régions. Ce sont les principes d’égalité et de solidarité (par exemple la péréquation tarifaire de l’énergie) qui disparaitraient au profit des valeurs de concurrence.
Construire collectivement des réponses porteuses d’émancipation et de progrès dans les régions
C’est bien loin de cette vision libérale des territoires que se situent les communistes et leurs élus. Pour que les institutions de la République s’inscrivent réellement dans des logiques d’égalité, de justice sociale et de solidarité, nous pensons que la décentralisation a besoin d’un nouveau souffle démocratique. Les politiques publiques, à tous les niveaux, ne peuvent plus s’imaginer et s’appliquer sans prendre en compte les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. La conception que nous avons de la décentralisation se situe à l’opposé de celle avancée par les pouvoirs en place depuis une vingtaine d’années. Aussi, notre intervention politique doit-elle se construire en co-élaborant des projets locaux avec les populations. Des expériences concrètes existent déjà à travers le pays, dans les municipalités communistes et progressistes, dans des régions où les élu-e-s consultent et se tournent vers les citoyens et le monde du travail pour trouver collectivement des solutions aux problèmes posés par le libéralisme ambiant.
En Auvergne, pour prendre cet exemple, nous avons fait le choix, en 2010, avec la liste que je conduisais, d’un véritable travail d’échange et de co-écriture du projet régional, débouchant sur ce que nous avons nommé « Le Pacte citoyen » (4). Véritable fondation du projet régional du Front de gauche en Auvergne, ce Pacte Citoyen nous aura permis d’être offensifs et d’innover sur des propositions de résistance face aux mauvais coups de la droite. Mais nous avons surtout voulu construire, sur la forme comme sur le fond, un projet émancipateur portant les valeurs de solidarité, d’égalité et de justice sociale.
Les propositions que nous avons défendues pendant la campagne électorale ou durant le mandat étaient le fruit d’un travail collectif réalisé en co-élaboration avec la population auvergnate. La démocratie active a été le fil rouge de notre campagne puis de l’intervention de nos élu-e-s au sein de l’institution régionale. À plusieurs reprises, nous sommes allés rencontrer les Auvergnates et les Auvergnats pour mettre sur la table les sujets que nous devions traiter. Du budget régional aux dispositifs d’aides économiques de la région, en passant par les mesures en faveur de la jeunesse, nous avons eu le souci permanent de nous tourner vers nos concitoyens pour faire de la politique autrement.
Dans ma circonscription du Puy-de-Dôme, je me bats également, avec de nombreux progressistes et militants communistes, pour construire mes interventions à l’Assemblée Nationale en partant directement des besoins et des demandes de nos concitoyens. C’est cette pratique politique qui nous a conduit à co-construire une proposition de loi pour l’entretien du réseau les lignes téléphonique, qui rétablit « la servitude d’élagage » qui avait été supprimée avec la privatisation des télécommunications. Cette initiative est partie des dégâts récurrents constatés sur le réseau fixe de téléphonie lors d’épisodes climatiques et de l’insuffisance d’entretien préventif et curatif. Nous sommes donc partis d’un problème concret, rencontré par des milliers d’habitants, relayé par de nombreux maires ruraux, entraînant par pétition une large mobilisation populaire, pour déboucher sur un travail parlementaire de co-écriture d’une proposition de loi, finalement adoptée par l’Assemblée nationale. Ce n’était ni la première, ni la dernière fois que nous entreprenions une telle construction législative. Ainsi, en cette fin d’été 2015, les acteurs agricoles ont été associés à l’écriture d’une nouvelle proposition de loi portant des outils d’intervention pour une juste rémunération du travail agricole.
Tout en déclamant l’exigence de donner « le pouvoir au peuple », certains élus ou candidats politiques ne s’embarrassent pas avec l’implication citoyenne, considérant inutile le principe d’un échange au regard de leurs propositions politiques, considérées comme des vérités intangibles. N’est-ce pas pourtant à partir de l’expérience et du vécu de terrain que nous devons formuler des propositions pour sortir des logiques austéritaires dans lesquelles sont enfermées nos institutions ?
Rien ne peut aujourd’hui se concevoir sans une réelle mobilisation collective. La réforme territoriale doit nous conduire, davantage encore, à développer une nouvelle pratique politique pour répondre aux besoins des populations et non pas servir les intérêts de la grande finance mondialisée.
Des élections régionales qui doivent servir à concrétiser cette nouvelle pratique politique
Pour les élections régionales de décembre 2015, les communistes et les progressistes devront permettre l’émergence de larges rassemblements citoyens débouchant sur des programmes, des projets régionaux et des listes de rupture avec l’austérité et avec les logiques concurrentielles contenues dans la réforme territoriale. Il s’agit de construire dans ces grandes régions des alternatives crédibles dans les domaines de l’éducation, de l’économie, des transports ou de l’environnement.
Mais cela ne doit pas être fait par les seuls candidats et responsables politiques, dans la bulle des listes et des états-majors, comme c’est malheureusement le cas avec des programmes déjà tout ficelés. C’est au contraire par une démarche citoyenne de co-élaboration que nous pourrons engager des dynamiques capables de battre en brèche les politiques austéritaires. Dans le contexte actuel et le dimensionnement des mégas régions, ce sont des logiques démocratiques d’égalité et de justice territoriale encore plus offensives qu’il nous faudra insuffler.
Cette pratique implique de mettre aussi en débat nos propres propositions. Nous pouvons notamment proposer l’application des meilleurs dispositifs sur l’ensemble des régions fusionnées. Par exemple, pour Auvergne et Rhône-Alpes, généraliser la gratuité des livres scolaires aux lycéens auvergnats et rhônalpins, étendre et améliorer les comités de lignes SNCF pour construire directement avec les usagers les interventions de la Région dans le domaine ferroviaire des TER, généraliser les contrats territoriaux auvergnats actuels qui ont fait la preuve de leur efficacité, créer des actions pour aider les territoires ruraux en associant les populations et les usagers des services publics ruraux.
Dans le domaine économique, la campagne électorale devra être l’occasion de poursuivre et d’amplifier les batailles nationales en faveur d’un pôle public bancaire en lien avec la mise en place de Fonds régionaux pour la création d’emploi, la formation et le développement solidaire des territoires. Il s’agira en particulier de mettre en avant une gestion démocratique et citoyenne des fonds régionaux. Il est vrai que ces dernières années, grâce notamment à l’action des élus communistes, nous sommes souvent passés, dans les régions, de logiques de guichets et de subventions à des logiques de prise en compte de critères d’emploi et environnementaux, privilégiant les avances remboursables ou les prêts à taux 0. Les interventions répétées des conseillers régionaux communistes et Front de gauche pour dénoncer les gabegies financières réalisées avec des aides aux grandes entreprises auront permis de recentrer l’action économique des régions sur les PME et sur les coopérations entre entreprises. Mais tout cela n’est pas suffisant pour construire des politiques efficaces. Il faudra imaginer des interventions régionales en lien direct avec les salariés, les syndicats, les chambres consulaires et les élus locaux. Nous pourrions également évoquer la généralisation des commissions de contrôle des fonds public, réunissant élus, salariés, syndicalistes, chefs d’entreprise, pour contrôler l’attribution des aides économiques, suivre leurs utilisations et procéder à des évaluations pour conclure ou non de l’efficacité des aides et des dispositifs régionaux.
Au travers de ces quelques propositions, et par une nouvelle pratique politique, nous voyons qu’il est possible de sortir des sentiers battus et des choix libéraux qui stérilisent toute perspective de transformation sociale. Qu’il s’agisse de l’élaboration d’une loi, d’un dispositif communal ou régional ou de l’évolution de politiques publiques, c’est à une implication collective et citoyenne que nous devons en permanence avoir recours.
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André Chassaigne
Député du Puy-de-Dôme et Président du groupe Front de gauche à l’Assemblée nationale
(1) Conseiller régional d’Auvergne - Groupe Front de gauche.
(2) À lire un article de la Gazette des Communes qui a réussi à se procurer un rapport de la fondation Jean Jaurès, proche du PS et proposant la poursuite de la réforme territoriale en allant beaucoup plus loin. http://www.lagazettedescommunes.com/380447/exclusif-la-fondation-jean-jaures-veut-donner-une-seconde-vie-a-la-reforme-territoriale/
(3) Socle commun EELV-PG : http://auraencommun.fr/notre-projet/ « Afin de contrer les logiques d’ouverture à la concurrence décidées au niveau national et européen (en particulier de la SNCF prévue d’ici 4 ans), nous organiserons le développement d’opérateurs publics régionaux conservant le statut des agents publics et intégrant le contrôle citoyen dans leur mode de gestion. »
(5) Pacte Citoyen : http://puy-de-dome.pcf.fr/IMG/pdf/LE_PACTE_CITOYEN-2.p