Ne pas bouder son plaisir
Faire voter un texte à l’unanimité des différents groupes de l’Assemblée nationale est suffisamment rare pour que je ne boude pas mon plaisir. C’est ce que nous venons de vivre jeudi 7 mai avec un des trois textes de la « niche » annuelle du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, que portaient les députés du Front de gauche.
Certes, les deux premiers textes ont été rejetés, sans beaucoup de surprise compte tenu des enjeux politiques forts qu’ils portaient. Leur examen en commission avait pourtant pu ouvrir quelques perspectives. L’un portait sur l’exigence d’analyser et expliquer la dette souveraine des Etats de l’Union Européenne. L’autre sur l’établissement d’un droit de préemption des salariés, en cas de cession de leur entreprise, pour une reprise sous forme de coopérative. Ces deux textes posaient des questions politiques d’importance sur la domination de la finance et la nécessité de développer la socialisation de notre économie par la maîtrise de l’outil de travail.
Quant au texte que nous avons fait voter sur l’entretien et le renouvellement du réseau des lignes téléphoniques, il n’est pas à dévaloriser. Certes, j’ai eu quelques difficultés pour en faire comprendre l’intérêt par la rédaction de notre journal l’Humanité, dont les choix éditoriaux sont parfois éloignés des réalités de nos territoires ruraux. Une raison de plus pour regretter la disparition brutale et silencieuse, fin février 2015, de l’hebdomadaire porteur des questions de la ruralité qu’était La Terre.
Notre proposition de loi répond en effet à un problème important touchant au quotidien des populations rurales : celui de l’accès au téléphone fixe. Cela peut surprendre à l’heure de la fibre optique et du haut débit, mais ce service universel « de base » souffre en effet de ruptures nombreuses, parfois longues, dues à une insuffisance d’entretien de son réseau cuivre par l’entreprise Orange, héritière de l’opérateur historique France-Télécom. Une évolution législative s’imposait pour remédier à une situation plus grave que cela peut apparaître au premier abord : sécurité sanitaire des personnes isolées, notamment âgées, équilibre économique d’entreprises dont l’activité implique en particulier l’accès à internet par l’ADSL, accessible par le téléphone fixe (hôtellerie-restauration, artisans, voire agriculteurs pour maintes déclarations administratives, etc…).
Le texte apporte les réponses législatives et réglementaires qui s’imposaient (je vous invite à lire mon rapport sur cette proposition de loi et mon intervention en séance publique en allant sur mon site de député ou celui de l’Assemblée nationale). Il a aussi un coût pour Orange et les opérateurs : 30 à 40 M€ par an (pour 1,6 Milliards d’€ de dividendes versées aux actionnaires par le seul opérateur Orange en 2014).
Mais l’intérêt de l’adoption de ce texte est aussi autre. Il est le fruit d’une démarche participative inédite, avec une élaboration collective dans la continuité d’une pétition citoyenne. Son écriture a en effet associé plus d’une centaine d’usagers et élus locaux. Cette pratique politique est la traduction d’une exigence démocratique qui reste souvent un simple slogan. L’approche théorique pour « rallumer les étoiles » et les appels enflammés à la tenue d’ateliers législatifs séduisent semble-t-il davantage qu’une mise œuvre concrète.
J’ai souhaité écrire ces quelques mots avant mon envol pour un séjour de 48 h à Cuba : privilège agréable pour le président de groupe d’amitié France-Cuba de l’Assemblée nationale, que je suis, alors que le Président de la République effectue un déplacement sur les terres de la révolution cubaine. Sur ce point, chacun comprendra que, là-aussi, je ne souhaite pas bouder mon plaisir ! Au-delà du plaisir, ce sera l’objet de ma prochaine chronique au retour des Caraïbes.