Attentats de Paris - Intervention devant le Congrès réuni à Versailles
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
La vie, la liberté ont été frappées, ensanglantées, à nouveau à Paris.
Le terrorisme aveugle a tué des anonymes, dont nous découvrons progressivement les noms inscrits sur la liste interminable des vies volées lors de cette sinistre soirée de vendredi.
Sans faire de distinction d’origine ou de religion, les criminels ont frappé aveuglément. Ils ont frappé dans des « lieux de vie où l’on fête la vie », un stade de foot, des restaurants, une salle de concert…
À travers le visage des victimes, c’est le visage de la France et de l’humanité dans toute sa richesse, sa jeunesse et sa diversité qui a été visée par ces actes de barbarie.
C’est la République, ses valeurs, son histoire, ses lumières, qui viennent, une fois encore, d’être frappées au cœur.
Mais la République est débout. Elle est débout et elle le restera !
Elle est debout car elle est forte de ses valeurs de Solidarité et de Fraternité.
Nos infirmières et médecins, nos forces de l’ordre, nos concitoyens ont su se mobiliser et incarner ces valeurs par leur dévouement. Leur implication de tous les instants depuis les attaques terroristes.
Ces gestes de solidarité ont pris des formes multiples, y compris par les réseaux sociaux. Les Parisiens ont ouvert leurs portes aux personnes qui cherchaient un abri pour fuir le chaos. Ils donnent aujourd’hui leur sang.
Quel formidable élan de solidarité des citoyens anonymes, associé au courage et au dévouement du service public de la police, de la gendarmerie, des pompiers, du Samu et des soignants. Il prouve combien notre pays est grand, combien il est beau quand les citoyens s’unissent, quelles que soient leur situation sociale, leur couleur de peau, leur origine, leur religion, pour résister à la barbarie et à la violence aveugle.
C’est à cet élan de résistance et de générosité qu’il faut donner force et durée contre le poison de la division que des voix irresponsables ont malheureusement répandu, dès les premiers instants. La division de notre communauté nationale est l’objectif recherché, théorisé, des terroristes qui agissent au nom de Daech. Tous ceux qui alimentent cette division, sont, de fait, des relais de Daech.
C’est pourquoi il nous faut refuser tout amalgame, tout discours islamophobe qui tente de récupérer le drame national. Ce serait à la fois profondément injuste et dangereux. Les musulmans ne forment qu’une communauté, celle qu’ils forment avec nous, la communauté nationale. Eux aussi sont assassinés par les terroristes, eux aussi font vivre notre pays, sa police, son armée, ses écoles, ses hôpitaux comme ses usines. Eux aussi aspirent à la paix. En les stigmatisant, c’est la communauté française toute entière qui est fragilisée. Ce serait la première des victoires des terroristes.
Notre pays a besoin, plus que jamais, d’un Etat fort. Il a aussi besoin de refonder son avenir sur des choix politiques transformateurs et partagés, affrontant courageusement toutes les dominations, toutes les discriminations, toutes les inégalités pour offrir un rempart solide face aux divisions.
Face à la terreur, le pire peut se produire. Le pire certes, mais aussi le meilleur. Nous l’avons vu au cours de ces trois derniers jours.
Ensemble, luttons jusqu’au bout pour que le meilleur l’emporte face à l’épreuve qui frappe notre peuple, ou plutôt les peuples du monde, afin qu’ils ne sombrent pas dans les pires turpitudes, comme le souhaite l’ennemi que nous devons affronter et combattre sans pitié.
Je dis les « peuples du monde » parce que les terribles images de ce vendredi soir sanglant dans notre capitale et la frayeur qui s’est abattue sur notre pays nous ont donné un aperçu de ce que vivent tant de peuples et les milliers de réfugiés qui fuient les théâtres de guerre, notamment en Syrie et en Irak, où prospère Daech.
Daech, cette créature monstrueuse qui a frappé en moins d’un mois Ankara, Beyrouth et Paris n’est pas un phénomène spontané. Daech a une histoire, une histoire dont les racines sont ancrées dans la situation de chaos provoquée par les interventions de 2003. Depuis la guerre en Afghanistan, les foyers du terrorisme international se sont multipliés. Al Quaeda – « création américaine », selon les propres mots d’Hilary Clinton – est aujourd’hui supplantée par Daech que la politique occidentale menée dans la région a en grande partie enfanté. Aujourd’hui nous prenons acte et nous soutenons la volonté présidentielle d’une grande coalition internationale, unique et sous l’égide de l’ONU. Dans le même temps, il conviendra de s’interroger, avec le Parlement dans son ensemble, sur les effets de notre politique internationale et diplomatique dans la guerre contre Daech. Nous devrons mesurer les conséquences des « guerres globales contre le terrorisme » sur le recrutement de ses terroristes, autrement dit sur le terreau qui alimente cette armée. Nous devrons aussi réfléchir sur les moyens, au-delà des bombes, de terrasser notre ennemi en asséchant ses mannes financières colossales. Nous devrons enfin nous interroger sur les compromis passés avec les puissances fondamentalistes de la région au prétexte qu’elles sont libérales économiquement et que nous commerçons avec elles. Je le dis avec gravité : nous ne serons pas en mesure d’offrir la sécurité légitime auquel notre peuple aspire sans résoudre toutes ces questions.
L’état d’urgence a été déclaré sur notre territoire national et devrait être prolongé pour plusieurs mois. Le parlement devra donner son autorisation dans les jours qui viennent et modifier la loi de 1955. Nous examinerons ce projet de loi avec une double volonté ; celle chevillée au corps d’offrir la meilleure des sécurités à nos concitoyens. Celle aussi de ne pas mettre en péril les libertés auxquelles ils sont, et nous sommes, tant attachés. Protéger les Français, notre République, c’est aussi protéger nos libertés fondamentales. Cette approche doit être au cœur de nos décisions. Elle sera aussi celle que nous aurons dans le cadre de la révision de la Constitution qui nous est annoncée.
Dans le cadre de l’Etat de droit, nous apporterons notre soutien à toutes les mesures que le gouvernement mettra en place pour vaincre les criminels qui sont à l’origine de ce cauchemar dont nous avons peine à sortir, pour déjouer tous les crimes que Daech souhaiterait perpétrer sur notre territoire ou dans d’autres pays pour former son califat bâti sur les ruines de l'Irak et de la Syrie. Parce qu’il s’agit aussi, pour reprendre les mots d’Albert CAMUS, d’ « empêcher que le monde ne se défasse ».
Nous sommes aussi déterminés à ne pas laisser notre pays sombrer dans la peur et les divisions qui nous conduiraient aux pires erreurs que notre ennemi souhaite nous voir commettre. Pour cela, nous ne laisserons pas bâillonner la pensée. Parce que c’est dans le vide de la pensée que s’installe le mal.
Nous œuvrerons donc, encore et toujours, pour donner à notre Etat les moyens de sa propre force pour défendre les valeurs républicaines, les moyens de remplir ses missions régaliennes sans lesquelles nous sommes condamnés à l’échec. Comment vaincre sans une armée et une police forte ? Comment résister aussi sans un service public de secours et de santé performant ? Comment prévenir aussi sans une école à la hauteur de sa lourde tâche d’éduquer et de former les citoyens de demain ?
Ces questions nous semblent essentielles.
Le deuil national dure trois jours, le deuil personnel de chacune des familles touchées durera infiniment plus longtemps. Chacun, je le crois ici, aura aussi un long travail de deuil à faire et pleurera encore longtemps toutes ces victimes qui sont une perte immense pour notre pays.
Je pense aussi à tous nos enfants qui doivent continuer à s’épanouir malgré un environnement violent. C’est pourquoi, nous responsables politiques, représentants de la nation, nous devons faire face au défi terroriste avec responsabilité, avec courage et avec dignité.
Nos concitoyens comptent sur nous pour être à la hauteur, dans l’unité et la cohésion nationale pour leur offrir un monde meilleur, un monde plus juste.
Et alors, et alors seulement nous pourrons dire avec le poète : « Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange, Un jour de palme, un jour de feuillages au front, Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront. Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche ».