Affaire Findus : « Le mal vient à cheval et le bonheur à pied »
En apprenant vendredi dernier que de la viande de cheval avait été retrouvée dans de la viande bœuf composant certains produits transformés distribués par la marque Findus, beaucoup de nos concitoyens ont fait un constat édifiant : l’origine des ingrédients alimentaires de la plupart des produits transformés est tout simplement inconnue. Sans doute ont-ils découvert aussi les circuits de commercialisation de la viande, et en particulier du « minerai », ces parties les moins nobles utilisées le plus souvent hachées. L’itinérance entre le producteur et le consommateur est révélatrice du système : abattoirs, deux « traders », le premier chypriote et l’autre néerlandais, une société commerciale française, une usine industrielle alimentaire, des marques généralistes, et la grande distribution. Si la traçabilité peut permettre d’identifier tout ce beau monde, de six nationalités différentes, force est de constater que cela fait beaucoup du pré jusqu’à l’assiette.
Depuis vendredi, l’expertise médiatique fait ainsi mine de découvrir tour à tour une supercherie commerciale, un système d’importation défaillant, une sous-traitance en cascade, sans réellement dénoncer les causes de cette opacité. Le problème est en effet autrement plus profond qu’une simple escroquerie qui consiste à faire passer des morceaux de cheval dans de la viande de bœuf transformée. En réalité, nous touchons aujourd’hui les fruits de trop nombreuses années de renoncements politiques : abandon de la régulation des échanges agricoles, dérèglementation des échanges internationaux et des politiques commerciales de l’agroalimentaire et de la distribution, coupes sombres dans les budgets et les moyens humains affectés à la sécurité sanitaire de l’alimentation et dans la répression des fraudes...
L’image était d’ailleurs saisissante, de voir sur les plateaux de télévision, dès le lendemain de l’annonce de cette affaire, d’anciens ministres de l’Agriculture déplorer l’absence de règles contraignantes et de contrôles stricts sur les importations, ou de normes sur l’étiquetage de l’origine. Autant de sujets qu’ils n’ignoraient pourtant pas lorsqu’ils étaient en fonction ! Me reviennent d’ailleurs en mémoire les échanges avec l’ancienne majorité, notamment en octobre 2011, lors de l’examen du projet de loi « visant à renforcer les droits, la protection et l’information des consommateurs », quand je défendais un amendement visant à rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour les produits agricoles et alimentaires et les produits de la mer, à l’état brut ou transformé. Un amendement rejeté, une fois encore, sous prétexte qu’il était incompatible avec le droit communautaire. Pourtant, l’article 3 de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche prévoyait déjà de pouvoir rendre obligatoire l’indication du pays d’origine des produits alimentaires à l’état brut ou transformé, mais le décret d’application n’est jamais paru.
Et quelle hypocrisie, lorsque l’on oublie sciemment de revenir sur les suppressions d’emploi massives de la Révision Générale Politiques Publiques (RGPP) à la Direction Générale de Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), ou sur les coupes successives dans les moyens consacrés à la sécurité de l’alimentation dans les budgets de l’agriculture ! Dès mars 2008, j’avais dénoncé par une question écrite le non remplacement des départs à la retraite des agents de la santé publique vétérinaire. J’avais renouvelé mes interpellations au ministre à deux reprises, en janvier 2009, puis en août 2009, en pointant les risques que ces choix politiques faisaient peser en matière de sécurité sanitaire des aliments, avec « l’affaiblissement sans précédent du dispositif de contrôle sanitaire français ». Le Syndicat National des Inspecteurs en Santé Publique Vétérinaire (SNISPV) dénonçait d’ailleurs « l’évolution prévisionnelle des effectifs qui fait apparaître une diminution vertigineuse des effectifs consacrés à la protection du consommateur » et le fait que cette « diminution des effectifs se fait de manière aveugle, sans aucune priorité reconnue pour le service public en charge de la maîtrise des risques sanitaires ». Au final, les inspecteurs vétérinaires affectés au contrôle de l’alimentation sont passés de 5200 en 2007 à 4579 aujourd’hui. « S’il y a un ménage à faire », comme l’affirme Stéphane Le Foll, nouveau ministre de l’Agriculture, il y a sans doute aussi des moyens à recouvrer pour le service public dans ce domaine.
Mais nous touchons surtout, avec cette nouvelle « affaire », le cœur de la problématique agricole européenne et mondiale. Continuons-nous sur la voie d’une agriculture laissée aux arbitrages des marchés, totalement libéralisée, où les produits alimentaires deviennent des marchandises comme les autres, sujets à toutes les manipulations commerciales et spéculations financières ? Le marché des matières premières agricoles est le nouveau champ des pratiques prédatrices des spéculateurs : de 15 milliards de dollars en 2003 à 200 milliards de dollars en 2008. De même, allons-nous laisser notre politique de l’alimentation, aux mains du secteur agroalimentaire et de celui de la grande distribution, guidés tous deux par les logiques de rentabilité, où les stratégies de marges conduisent à abandonner les productions locales, nationales, voire européennes, au profit d’importations massives ?
Nous le voyons avec ce « cheval de discorde », il est grand temps d’agir pour un nouveau modèle agricole européen. Ce n’est pourtant pas la voie que semblent choisir les chefs d’Etat et de gouvernement européens lorsqu’ils s’accordent sur un budget européen au rabais, avec des coupes sombres pour la PAC 2014-2020. Au contraire, il faut faire preuve de volonté pour porter une réorientation de notre modèle agricole et alimentaire vers des productions relocalisées, pour une présence agricole forte sur tous nos territoires, avec des exploitations à taille humaine, fournissant l’essentiel des besoins alimentaires des Européens en quantité et en qualité. L’obligation de la mention de l’origine de l’ensemble des produits agricoles dans les produits alimentaires transformés est un premier pas que nous continuerons de pousser avec le dépôt d’une nouvelle proposition de loi des députés du Front de Gauche dans les jours qui viennent. Il faut aussi faire preuve de courage politique pour bannir les intermédiaires inutiles et les financiers des circuits agricoles. C’est l’objet de l’amendement n°112 que nous venons de déposer sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.
« Le mal vient à cheval et le bonheur à pied. » Ce proverbe n’aura jamais aussi bien matérialisé le sens du nouveau défi agricole et alimentaire qui s’impose à l’Europe aujourd’hui. Mais, là-aussi, les petits pas gouvernementaux ne suffiront pas.