Contre le marché des ventres

Publié le par André Chassaigne

J'ai signé un appel paru avant-hier dans le journal Le Monde  contre le "marché des ventres". Vous trouverez, ci-dessous, l'appel, également signé par de nombreuses personnalités politiques et scientifiques.

 

La gestation pour autrui : une extension du domaine de l'aliénation !

 

Aujourd'hui encore, on considère trop souvent le corps des femmes comme un objet disponible. On attend d'elles qu'elles se dévouent, d'une façon ou d'une autre, qu'elles se donnent ou qu'elles se vendent.

 

Les innovations de la médecine procréative, précieuses pour combattre l'infertilité, comme la fécondation in vitro (FIV) et la transplantation d'embryons, permettent de séparer la fécondation de l'enfantement lui-même (grossesse et accouchement). C'est ainsi qu'est devenue possible l'idée d'utiliser le ventre d'une femme pour porter un embryon destiné à d'autres.

 

L'utilisation de "mères de substitution" (surrogate mother) s'est ainsi répandue dans certains Etats américains, en particulier en Californie, où s'affichent sans fard des annonces de "ventres à louer" (wombs for rent), ce qui n'empêche pas ce marché de se délocaliser dans les pays pauvres, en Europe de l'Est ou en Inde, où les femmes étant beaucoup plus pauvres, les tarifs sont nettement moins élevés.

 

Jusqu'ici, la France, comme la plupart des pays européens ou le Japon, a jugé cette pratique incompatible avec le respect dû à la personne et à son corps. Certains, à gauche comme à droite, proposent pourtant de l'introduire dans notre droit sous le nom aseptisé de "gestation pour autrui", pour assurer à tous "le droit de fonder une famille", en tâchant d'éviter toute "commercialisation". Un débat de fond a eu lieu, en 2010, sur la question, amenant à de premières prises de position d'élus socialistes, communistes, du Parti de gauche ou d'Europe Ecologie-Les Verts, le bureau national du Parti socialiste s'étant prononcé pour l'interdiction des mères porteuses le 14 décembre 2010.

 

Quand certains évoquent une logique généreuse du "don", force est de constater en effet, dans la pratique, que le bénévolat n'existe pas en ce domaine. Là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni, la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire ou de "dédommagement", bien au-delà de la couverture des frais médicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? Qu'une femme mette gratuitement ses organes et neuf mois de sa vie à disposition d'autrui sans contrepartie financière n'est imaginable que dans des cas tout à fait exceptionnels (comme pour les dons d'organes entre parents, et encore, pour sauver une vie). Mais la maternité pour autrui ne peut justement pas se pratiquer dans un cadre intrafamilial en raison des implications indirectement incestueuses qu'elle comporterait (tout le monde s'accorde là-dessus). C'est pourquoi, là où elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la grossesse et fixe un prix à l'enfant ainsi "produit". L'enfantement devient alors un service social et la sphère économique s'empare de la vie la plus privée et la plus intime d'une personne.

 

Loin de pouvoir s'inscrire dans le registre du don gratuit, toute forme de légalisation de cette pratique engage donc une marchandisation du corps féminin et de l'enfant. Ce nouveau marché du corps est ainsi indissociable de toute "gestation" pour autrui et n'en constitue nullement une "dérive" que l'on pourrait éviter.

 

Il faudrait rester aveugle au développement d'un marché procréatif mondial - sur lequel les gamètes et les ventres s'échangent, pour le plus grand profit de cliniques et d'instituts spécialisés - pour oser encore rattacher la mise à disposition du corps des femmes à un échange "altruiste".

 

Le marché des ventres, là où il est autorisé, constitue en fait une incitation à se vendre pour les femmes les plus vulnérables, une forme nouvelle d'exploitation et de servitude.

 

On ne peut assimiler la grossesse, qui concerne la vie la plus intime d'une femme, à un travail social au terme duquel la "gestatrice" remettrait finalement son produit à des commanditaires. Il faut se faire une étrange idée du rapport des femmes à leur vie propre et à leur corps pour croire qu'elles peuvent vivre neuf mois, jour et nuit, au service d'autrui sans aliéner profondément leur personne.

 

De plus, là où la pratique a été légalisée, les contrats d'engagement d'une "mère porteuse" entraînent une véritable mise sous tutelle de sa vie la plus intime : son alimentation, son mode de vie, sa sexualité, l'obligation d'avorter dans certains cas, etc. Pour ne rien dire de l'accouchement, avec ses risques non négligeables (épisiotomie, césarienne, voire hémorragie), qui se trouve alors inclus sans scrupules dans le cadre d'un échange commercial.

 

Dans la pratique, contrairement à ce qu'affirment ses partisans, les contrats de mères porteuses donnent lieu à une multiplication de conflits souvent dramatiques entre les femmes qui s'y prêtent et ceux qui les utilisent. Quant aux nombreux risques physiques et psychologiques (pour la femme et pour l'enfant qu'elle porte), qui pourra les évaluer ? Nous soutenons par conséquent que la maternité pour autrui constitue en réalité une aliénation profonde de la personne tout entière et une marchandisation de son corps et de celui de l'enfant ; qu'elle est par là contraire aux droits fondamentaux de la personne et à la dignité de son corps, et qu'elle ne saurait être légitimée par des désirs ou des intérêts subjectifs. Il ne peut y avoir de "droit à l'enfant".

 

Loin d'être un progrès, toute légalisation de cette pratique représenterait une régression du droit, une extension du domaine de l'aliénation et un mauvais combat pour la gauche et pour les femmes. Nous appelons toutes celles et tous ceux qui sont attachés aux droits de la personne humaine à se prononcer pour le maintien de l'illégalité du marché des ventres en France et à lutter pour son abolition là où il existe, en particulier au sein de l'Union européenne. Tel devrait être, sur cette question importante pour la dignité des femmes, l'engagement de tout candidat de gauche à l'élection présidentielle de 2012.

 

Ce collectif, "Le Corps n'est pas à vendre", "rassemble des personnalités qui se mobilisent pour l'abolition de toute forme de marchandisation du corps féminin, et pour l'abolition de la pratique des mères porteuses, nouvelle extension du domaine de l'aliénation".

 

La liste des premiers signataires de l'appel contre le marché des ventres, à l'initiative du collectif "No Body For Sale", est disponible sur ce blog.

 

Les député(e)s du Parti socialiste (PS), du Parti communiste français (PCF), du Parti de gauche (PG) et de Europe Ecologie-Les Verts : Patricia Adam, Huguette Bello, Martine Billard, Marie-Odile Bouillé, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, Marie-Georges Buffet, André Chassaigne, Alain Claeys, Marie-Françoise Clergeau, Yves Cochet, Michèle Delaunay, Bernard Derosier, Laurence Dumont, Philippe Duron, Martine Faure, Geneviève Fioraso, Jean Gaubert, Maxime Gremetz, Elisabeth Guigou, François Hollande, Armand Jung, Jean-Yves Le Déaut, Annick Le Loch, Marylise Lebranchu, Patrick Lemasle, Michel Liebgott, Sandrine Mazetier, Anny Poursinoff, Catherine Quéré, Daniel Vaillant, Michel Vaxès, Jean-Michel Villaumé ;

 

Les sénateurs/trices Nicole Borvo Cohen-Seat, Nicole Bricq, Robert Hue, Catherine Tasca ;

 

Le député européen Kader Arif ;

 

Les associations Choisir la cause des femmes, Libres mariannes et le Planning Familial ;

 

Ainsi que, parmi les 200 premiers signataires de l'appel : Sylviane Agacinski, philosophe, Laurence Azoux Bacrie, avocate, co-responsable de la commission santé et bioéthique de l'Ordre des avocats, le docteur Joëlle Brunerie-Kauffmann, gynécologue, Francine Caumel-Dauphin, présidente de l'organisation nationale des syndicats des sages-femmes, le professeur Bernard Debré, Catherine Dolto, psychothérapeute, Caroline Eliacheff, psychanalyste, Claude Evin, ancien ministre de la solidarité et de la santé, Viviane Forrester, écrivain, le professeur René Frydman, Gisèle Halimi, avocate, Caroline de Haas, porte-parole de Osez le féminisme, Emmanuel Hirsch, philosophe, directeur de l'Espace éthique Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), Lionel Jospin, ancien premier ministre, Danièle Jourdain-Menninger, professeure associée, Axel Kahn, président de l'université Paris-Descartes, Marin Karmitz, producteur, Bruno Laforestrie, président de la radio Génération, Alain Lhostis, ancien président délégué de l'APHP, le professeur Olivier Lyon-Caen, Christiane Marty, membre d'Attac et auteure de Mondialisation de la prostitution, Laurence Rossignol, vice-présidente du Conseil régional de Picardie, Yvette Roudy, ancienne ministre des droits de la femme, Marcel Rufo, pédopsychiatre, Michèle Sabban, vice-présidente de la région Ile de France, présidente de l'Assemblée des régions d'Europe, Sabine Salmon, présidente nationale de Femmes solidaires, Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, Maya Surduts, secrétaire générale de la CADAC (Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception), Myriam Szejer, pédopsychiatre, fondatrice de l'association La Cause des bébés, Henriette Zoughebi, vice-présidente du Conseil régional Ile de France et présidente de l'association "L'égalité, c'est pas sorcier !", etc.

 

Collectif "No Body for Sale

Article paru dans l'édition du 09.02.11

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S
<br /> Bonjour André,<br /> une prise de position à laquelle je souscris entièrement. Le vivant, objet de "consommation" ? Le manque de résistance à la frustation conduit à ces dérives, qui, sous couvert de progrès médical et<br /> humain, ne font qu'abaisser notre niveau de conscience.<br /> Amitiés.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Le capitalisme investit toutes les {niches} le mot me semble pertinent, en raison de la misère, du sous développement, du chomage, les requins de la finance investissent dans le corps humain et en<br /> particulier celui des femmes, au travers de la prostitution, ou comme dans ce cas les mères porteuses procédé qui me semble le comble de l'asservissement<br /> <br /> <br />
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D
<br /> bonjour,<br /> <br /> En inscrivant à cette lettre, je pensai pouvoir débattre de sujets qui pouvaient être au coeur d'une campagne d'un prétendant à la candidature "suprème".<br /> A Savoir comment répondre aux préoccupations de la majorité des français:<br /> - chomage;<br /> - logement;<br /> - sécurité en tous genres;<br /> - la politique verte ...<br /> " Le corps n'est pas à vendre" est un sujet noble mais à l' heure actuelle, est-ce un sujet qui intéresse les couches populaires lorsque ces mêmes couches galèrent pour un emploi, un logement et<br /> tout court pour leur survie!!!!<br /> <br /> <br />
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