Hommage à André Lajoinie
Madame le Préfet,
Cher Fabien, cher Sébastien,
Mesdames, Messieurs les parlementaires, anciens parlementaires et élus,
Chère Colette,
Chers Viviane, Laurent et toute la famille,
Mesdames, Messieurs,
Après avoir appris avec une grande tristesse, le décès d’André Lajoinie, notre camarade André, il me revient aujourd’hui de retracer son parcours parlementaire. Parcours avec lequel j’ai, chacun le sait ici, quelques points communs, mais avec un bilan beaucoup plus modeste.
Elu député en 1978, André a été, comme je le suis, président de groupe, groupe communiste alors, pendant plus de 12 ans, de 1981 à 1993, avant de passer le flambeau à Alain Bocquet qui a été mon mentor quelques années après. De l’avis de tous ceux qui ont siégé sous sa présidence, et j’en ai interrogé plusieurs, il a toujours été fraternel, avec le sourire amical, malicieux quelquefois, parfois sévère, mais toujours bienveillant. Le sourire du militant à l'écoute de ses camarades, toujours avec les pieds solidement arrimés à la glèbe qui lui donnait son centre de gravité. Il mêlait habilement respect des principes et art du compromis, toujours avec le souci de faire partager par le groupe les sujets en débat, de demander l’avis de chacun. Je me retrouve assez bien, mais sans doute avec moins de finesse que lui, dans cette description qui m’a été faite par ceux qui ont vécu cette période.
En dirigeant national du Parti qu’il était, cela ne devait pas être tous les jours faciles à proximité immédiate de Georges Marchais qui devait l’interroger bien souvent sur l’utilité des communistes dans cette étrange maison qu’est notre Assemblée nationale. Cela n’est pas très éloigné de certains échanges que j’ai avec Fabien Roussel, attaché aussi à l’utilité des parlementaires communistes. Quelles appréciations auraient-ils tous les deux aujourd’hui, Georges et André, au regard de l’ambiance très lourde que l’on vit actuellement au sein de l’hémicycle et de la sourde inquiétude que nous avons pour le futur, confrontés que nous sommes à une crise d’une gravité historique. Crise que nous avons la volonté d’affronter avec responsabilité, bien que la tâche ne soit pas facile au regard de nos alliances et de l’intransigeance de certains de nos partenaires.
Alors qu’il venait de cesser son mandat quand je suis devenu député, en 2002, il n’en a pas moins été pour moi un modèle par son engagement d'homme de terrain, autodidacte certes, mais combien brillant. Et aussi courageux. Rappelons-nous quand il avait tenu la dragée haute à Jean-Marie Le Pen qu’il avait affronté dans un débat sans concessions.
Mais ce que j'appréciais le plus en lui tient à quelques marqueurs : ceux d’un militant communiste fort de ses convictions et droit dans ses bottes. C'est sans doute pourquoi il m'impressionnait autant. Seul député communiste d'Auvergne pendant 2 mandats, ou quand j’étais candidat aux élections régionales, j'ai été conduit à animer des réunions dans le département de l'Allier. Je n'exagère pas en disant que la présence d'André au premier rang me mettait une pression énorme. Comment être à la hauteur d'un tel monument de l'histoire de notre Parti ? Durant mon intervention, je guettais les expressions de son visage, attendant une forme de bénédiction des propos que je tenais. Invariablement, en fin de réunion, je m'approchais de lui pour entendre la sentence. La poignée de main appuyée et le regard approbateur suffisaient à me rassurer. Mais je n'ai jamais su ce qu'il pensait vraiment de mes prestations d'élu dont la culture politique se limitait, contrairement à lui, à quelques lectures et une école fédérale d'une semaine.
Il m’est revenu, en écrivant ces lignes, un autre débat à la création des Restos du cœur. Chacun y allait de propositions diverses : Françoise Hardy prête à ouvrir son carnet de chèques ; Tapie, offrant très généreusement l'accès à ses restaurants (les bâtiments, pas les repas) ; Arlette Laguiller, sur un air de rock en fond sonore, appelant à aider les miséreux… comme bien d'autres invités tous « très généreux ». Et au milieu de tout « ça », notre camarade André Lajoinie affirmant qu'il fallait cependant réfléchir sur les causes de la misère : aider, OUI, mais, indispensable et essentiel, s'attaquer AUSSI aux causes du chômage, de l'exclusion, de la misère. Quel courage il fallait avoir dans ce contexte « artistique » d’un bal des bien-pensants où les hypocrites n’avaient pas froid aux pieds.
Aussi, je crois que s'il pouvait encore militer, il ne se préoccuperait pas d’occuper l'espace médiatique pour se normaliser. Il continuerait plutôt à partager un casse-croûte organisé par quelques « bouhnoumes » du Bourbonnais pour débattre des idées, quels que soient les lieux, les participants, mais surtout avec cette obsession : accorder le dire et le faire, en restant fidèle aux idées communistes et en restant soi-même.
André occupa ensuite la présidence de la Commission de la production et des échanges de l’Assemblée de 1997 à 2002, au temps de ce qu’on appelait alors la « gauche plurielle ». C’était une responsabilité et une charge colossales puisque cette très importante Commission, aujourd’hui scindée en deux entre Affaires économiques et Développement durable, avait alors à traiter de l’ensemble des grands secteurs d’activité du pays : l’industrie, l’agriculture, les transports, l’énergie, le logement, les postes et télécommunications, le commerce et les PME, l’aménagement du territoire, le tourisme… et j’en passe.
A l’occasion, il fallait aussi aborder le volet européen de la question, comme dans le cas de la gestion des Fonds structurels. C’est ainsi, m’a dit un ancien administrateur de sa Commission, que le Président Lajoinie fit, un jour d’hiver, l’aller-retour à Bruxelles pour y défendre les intérêts des collectivités locales françaises auprès du commissaire européen à la politique régionale de l’époque…un certain Michel Barnier. Huit heures de route pour un tête-à-tête courtois, mais guère fructueux, d’une durée d’à peine 30 minutes.
Membre du conseil d’administration de la SNCF, il avait noué des liens de confiance et de convergence avec les administrateurs CGT. Mais sans dénigrer pour autant le PDG, Louis Gallois, dont il appréciait la franchise et les qualités humaines. Je retrouve là la marque de fabrique d’un élu communiste.
En tant que Président de commission, il fut aussi l’un des artisans qui permirent l’adoption, sans trop d’encombres, de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain), une grande loi portée par son camarade et ministre Jean-Claude Gayssot.
Bien que septuagénaire (vous conviendrez avec moi que ce n’est pas synonyme d’usure), André ne ménageait ni son temps, ni son énergie, non seulement pour tenir sa place dans les réunions de Commission et durant les séances qui n’en finissent pas (« litanie, liturgie, léthargie » disait Edgar Faure), mais aussi pour assurer une multitude de rendez-vous de travail (avec des ministres, des élus locaux, des représentants d’organisations syndicales, professionnelles ou associatives, des délégations de travailleurs ou de citoyens…). Parallèlement, il continuait d’assumer ses responsabilités à la direction du PCF et se rendait souvent place du Colonel Fabien. Mais je ne veux pas empiéter sur le discours de notre secrétaire national.
En toute occasion, il tenait à être ponctuel et rigoureux. Il arrivait toujours tôt le matin à son bureau, bien avant 9 heures, pour prendre connaissance de la presse, (et, avant tous les autres journaux, de l’Humanité). Pour lui, un dirigeant communiste avait le devoir de s’informer, de lire et chercher à comprendre les choses, y compris dans leur complexité, pour se forger un avis et intervenir à propos.
Il portait aussi une véritable attention au travail des personnels de l’Assemblée. De l’huissier à l’administrateur, il était apprécié pour son amabilité et sa cordialité, sa simplicité et sa discrétion aussi. Il avait une réputation de gentleman. Et s’il pouvait être exigeant avec ses collaborateurs, il ne se montrait jamais injuste ou méprisant.
André a toujours attaché une importance cruciale aux droits des salariés à défendre leur outil de travail et leur emploi. Inlassablement, par ses interventions, il cherchait à être utile aux luttes menées contre les restructurations et les délocalisations d’entreprise. Faut-il rappeler la lutte des Dunlop à Montluçon avec Pierre Goldberg ?
Il était particulièrement fier d’avoir fait adopter, fin 1992, contre l’avis de la ministre Martine Aubry, un amendement au Code du travail qui prévoyait la nullité des licenciements en cas d’invalidation d’un plan social par la justice. Le patronat a toujours fulminé contre cette disposition qui ouvrait la voie à la réintégration des personnes licenciées abusivement. Sept ans plus tard, en 1999, il est encore le premier signataire de la proposition de loi déposée par le groupe communiste tendant à réformer le régime juridique des licenciements pour motif économique.
Il y quelques jours, hommage involontaire à son prédécesseur à l’Assemblée nationale, votre député Yannick Monnet a suivi son sillon en déposant une proposition de loi pour « Encadrer le recours au licenciement économique et interdire le licenciement dits « boursiers » ».
Par la suite, vers la fin du gouvernement Jospin, André cherchera le moyen de faire fonctionner efficacement la Commission nationale des aides publiques aux entreprises, créée suite à la pression des députés communistes. Des pistes de coopération et de coordination concrètes, associant les représentants syndicaux et les élus locaux, furent envisagées. Mais le dossier, qui n’avait pas la faveur de Bercy et de Laurent Fabius, fut rapidement enterré avec le retour de la droite au pouvoir en 2002.
Les multiples coups portés aujourd’hui aux emplois industriels de notre pays ne devraient-ils pas nous conduire à demander que soit réactivée cette commission pour rendre effectif le contrôle de l’usage des aides publiques, auquel s’était engagé feu le Premier Ministre Michel Barnier en répondant à une de mes questions ? Pardonnez-moi de transformer cet hommage en réunion de groupe.
André Lajoinie avait aussi de fortes convictions écologistes qu’il défendait, là encore, avec le souci du pragmatisme. En juillet 2000, alors que l’urgence climatique restait largement ignorée, il a rédigé un rapport d’information sur les transports en France et en Europe dans lequel il alertait sur « l’hégémonie de la route ».
Celle hégémonie de la route, écrivait-il « risque d'aboutir à une thrombose qui ne peut être acceptée par la société ». Il relevait déjà que « le respect des engagements pris par l'Union européenne à Kyoto de diminuer les émissions de gaz à effet de serre est incompatible avec cette prédominance de la route ». Aussi identifiait-t-il des priorités qui restent toujours d’actualité. Parmi elles : résoudre le sous-investissement patent dans l’infrastructure et le matériel ferroviaires, lutter contre le dumping social dans le transport routier et maîtriser les déplacements urbains tout en valorisant les transports collectifs. Des orientations que portent fortement aujourd’hui les députés communistes, en étant plus particulièrement en pointe pour défendre le fret ferroviaire avec une tribune à l’initiative de notre jeune collègue de Saint-Maritime Edouard Bénard, parue ce mercredi avec 600 signatures de sensibilités diverses.
Vous avez peut-être trouvé que j’ai été bien long. Sans doute. Mais quel plus bel hommage que de donner à voir la réalité de son action parlementaire dont je n’ai extrait que des bribes au regard de ses 20 ans de mandat de député.
En exprimant mon soutien à Colette, Viviane, Laurent et Anne, Rémi, David, Paul, François, Maud et tous les proches d’André, je suis ici la voix de tous les parlementaires communistes, anciens ou en activité.
Les mandats s’égrènent, parfois raccourcis, les années passent, les députés changent mais le souvenir d’un grand député rural, gentleman et communiste, du nom de Lajoinie, est imprimé dans la mémoire du Palais Bourbon, maison commune de la République.