Financer la transition écologique, c'est investir dans l'avenir

Publié le par André Chassaigne

 Pourquoi les députés communistes et du groupe GDR ont-ils inscrit à l’ordre du jour de leur « niche » du 2 décembre une proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique ? Notre initiative découle de deux constats très largement partagés : d’une part, la réussite de la transition écologique nécessite des investissements publics massifs, d’autre part, les règles budgétaires européennes actuelles sont incompatibles avec cet effort, a fortiori avec les niveaux de dette publique atteints par certains États membres à la suite de la pandémie.
 Les médiocres résultats des négociations de la COP 26 de Glasgow ont une nouvelle fois démontré combien la question financière et celle des moyens des Etats sont déterminantes pour concrétiser les engagements de lutte contre le changement climatique. Au niveau européen, la loi européenne sur le climat, le paquet « paré pour 55 » (fit for 55) et l’accent mis sur le contenu « vert »  du plan de relance européen placent cette même question du financement au cœur du défi écologique.

 Parallèlement, pour permettre aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires à la lutte contre la pandémie et au soutien de l’économie, l’Union européenne a activé la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité, ce qui a, de fait, conduit à suspendre l’exigence de respecter les critères de 3 % du PIB de déficit et de 60 % du PIB de dette. Il est prévu que cette parenthèse soit refermée au 1er janvier 2023, ce qui oblige à se poser la question du contenu des règles qui seront rétablies à cette date. La Commission européenne a engagé une consultation pour réformer le pacte de stabilité et semble se montrer disposée à  des modifications substantielles de sa ligne politique financière et monétaire. Nous pensons que nous avons là une opportunité à saisir pour réussir le défi de la transformation  écologique de nos sociétés. Nous devons profiter de ces bougés pour changer les règles européennes  qui ont causé tant de dégâts depuis leur entrée en vigueur.

 Enfin, dans quelques semaines, notre pays prendra la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Cette présidence doit être utile pour faire avancer certains dossiers prioritaires parmi lesquels doit figurer l’impératif écologique et climatique. Cette fenêtre d’opportunité doit inciter notre Assemblée à se prononcer clairement sur l’enjeu fondamental des leviers financiers dont doivent pouvoir disposer les Etats membres pour répondre aux grands défis écologiques de notre siècle.  


 Commençons donc par l’estimation des besoins. Beaucoup de chiffres circulent sur les niveaux d’investissements nécessaires pour réussir notre transformation écologique. « La prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » disait Pierre Dac. J’ajouterai qu’elle l’est d’autant plus  lorsque l’on parle d’échéances de plusieurs décennies et lorsque les montants avancés ne portent pas toujours sur le même périmètre. En matière climatique, certaines estimations ne se concentrent ainsi que sur les mesures d’atténuation du réchauffement, tandis que d’autres incluent également les mesures d’adaptation aux conséquences déjà irréversibles (montée des eaux, baisse des rendements agricoles, impacts sanitaires ou sur l’aménagement du territoire). Mais les experts sont toutefois unanimes pour constater que les investissements nécessaires sont gigantesques. 

 La Cour des comptes européenne a évoqué un montant de 1 000 milliards d’euros d’investissements par an, publics et privés, sur la période 2021-2050 pour atteindre la neutralité carbone dans l’Union européenne. La Commission a évalué récemment à 520 milliards d’euros par an les besoins d’investissements annuels supplémentaires, sans tenir compte des besoins futurs en matière d’adaptation au changement climatique. Une partie de ces investissements devra être réalisée par le secteur privé, surtout s’il est efficacement incité à les faire par la tarification du carbone, par une fiscalité spécifique et des contraintes réglementaires strictes.
 Mais cela ne vous étonnera pas si je vous dis que l’on ne peut pas s’en remettre uniquement à la main invisible du marché. A ma grande satisfaction, c’est d’ailleurs une analyse de plus en plus largement partagée par les économistes voire les institutions européennes. Les limites des marchés, l’absence de prise en compte réelle des impacts environnementaux par la sphère financière, la pression permanente des actionnaires pour la rentabilité à court terme, l’absence de rentabilité de certains investissements indispensables, ne permettent pas de se reposer sur le seul investissement privé. L’investissement public jouera un rôle essentiel. D’ailleurs, dans une note transmise aux ministres des finances pour le conseil ECOFIN de septembre, l’Institut Bruegel, que l’on ne peut taxer de dangereux communiste, a estimé que les investissements publics devraient être accrus de 100 milliards d’euros par an dans l’Union européenne dans le meilleur des cas, c’est-à-dire si la rentabilité des investissements privés augmente.

 A très court terme, la clause dérogatoire générale du pacte et le plan de relance européen permettent d’augmenter substantiellement les investissements publics, mais il faut préparer l’avenir, c’est-à-dire la fin de la clause dérogatoire générale en 2023 et celle du plan de relance en 2026. Il est impératif que les Etats européens puissent continuer à investir après 2026. Nous n’avons pas le choix : ces investissements, il faudra les faire. Quel que soit leur coût, il sera beaucoup moins élevé que celui de l’inaction. Cela personne ne le conteste.
 

 J’en viens aux problèmes posés par le pacte de stabilité. Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, en 2023, date envisagée pour la levée de la clause dérogatoire générale, une dizaine de pays devrait encore avoir un déficit supérieur à 3 % du PIB et la moitié dépasser le plafond de 60 % de dette, dont six avec une dette supérieure à 100 % du PIB. L’application stricte des règles du pacte de stabilité imposerait que les États dont la dette dépasse 60 % réduisent l’écart d’au moins un vingtième par an entre leur ratio de dette et 60 %. Ce serait évidemment impensable pour les pays les plus endettés et  j’ose espérer que les leçons des cures d’austérité mortifères qui ont suivi la crise de 2008 ont été tirées.

 Le niveau de la dette publique ne doit pas se transformer en fétichisme politique, alors même que la soutenabilité de la dette ne dépend pas de son niveau, mais de la capacité de l’Etat à assumer  sa  charge  Le  poids de la dette dans le PIB n’a cessé de diminuer depuis le début du siècle, alors même que le niveau de la dette a considérablement augmenté. Nous voyons bien aujourd’hui combien la problématique de la dette publique et de son niveau dépendent directement des politiques monétaires et de crédit conduites au plan européen. Le rapport d’information provisoire sur « L’avenir des dettes publiques » présenté tout récemment les sénateurs Éric BOCQUET et Sylvie VERMEILLET, réaffirme combien nous devons faire de la dette une question politique et sortir d’une vision technique et règlementaire. En outre, l’expérience des précédentes périodes d’austérité budgétaire montre que dès que l’on réduit les dépenses d’investissements à court terme, on réduit à plus long terme directement la création de richesses, et par conséquent la soutenabilité de la dette.

 Nous le savons, une réforme d’ensemble du pacte de stabilité est indispensable. C’est une bataille difficile, nous le savons. Huit ministres des finances européens ont déjà publié une lettre commune pour réclamer le rétablissement des règles budgétaires en 2023. Je pense que Caroline Janvier nous fera un panorama complet des pistes sur la table lorsqu’elle nous présentera son rapport sur la révision des règles budgétaires.

 Je reviens donc au cœur de notre proposition de résolution européenne. Elle consiste    à exclure du calcul du déficit public, pour l’application des règles budgétaires européennes, les dépenses d’investissement dans la transition écologique. C’est parce que nous sommes bien conscients de la difficulté d’aboutir à un accord, au niveau européen, mais aussi au sein de notre Assemblée, que nous nous sommes limités à la proposition qui nous paraît la plus susceptible de faire consensus. D’abord parce qu’il s’agit d’une adaptation limitée des règles budgétaires, mais également parce que la nécessité d’investissements lourds dans la transition écologique est reconnue par tous et parce que certains Etats membres particulièrement attachés à la discipline budgétaire sont également très sensibles aux questions environnementales.

 Il s’agit d’investir dans l’avenir. Je ne prétends pas que la mise en œuvre de cette exception serait très simple, mais la difficulté n’est pas insurmontable. Nous venons de voir,   avec le plan de relance, qu’il était  possible de se mettre d’accord relativement rapidement sur un dispositif de financement des investissements verts et numériques. Nous croyons que les européens sont capables, de définir collectivement ce qu’est un investissement en faveur de la transition écologique. Je soutiens pour ma part qu’il faut impérativement intégrer dans cette définition les investissements qui concourent les plus efficacement à faire baisser nos consommations énergétiques et nos émissions de CO2. Je pense en particulier au levier déterminant de la rénovation thermique des logements et bâtiments publics pour atteindre dans les faits, et plus seulement dans les paroles, le rythme de rénovation compatible avec nos propres engagements climatiques. Je pense aussi à l’ensemble des investissements dans les infrastructures de transport ferroviaire, de transports publics urbains ou en faveur des mobilités douces, secteurs qui souffrent si cruellement de l’insuffisance de moyens publics disponibles alors même que les besoins, les attentes des citoyens et des acteurs de la mobilité dans les territoires sont immenses.  

 Je terminerai cette présentation du texte en disant que nous ne sortons pas cette proposition pour protéger les investissements « écologiques  » de notre chapeau. Elle a été émise par de nombreux économistes et acteurs de la société civile, en France comme en Europe, et a même été discutée par les ministres des finances. De nombreux intellectuels, experts et scientifiques engagés pour la transition énergétique et climatique, en France comme en Europe, portent cette exigence au cœur de leurs propositions dans le débat public. C’est bien pour que notre Assemblée insiste  sur la nécessité de prendre à bras le corps  ce sujet que je vous invite à voter la proposition de résolution de notre groupe.

 

Intervention prononcée lors de la présentation de la proposition de résolution relative au financement de la transition écologique devant la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale le 24 novembre 2021

 

Voir aussi : 

Agir pour le climat, c’est assumer la nécessité d’une profonde transformation de la société

- Couvrez cette empreinte carbone que l'on ne saurait voir

La politique énergétique de la France ne se fait pas à la corbeille !

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P
il y a un point qu'il faudra savoir aborder, même s'il est délicat : c'est celui du nucléaire..... bien sûr il ne peut être question de supprimer cette source d'énergie du jour au lendemain, d'autant plus qu'elle ,'obère pas le bilan carbone.<br /> par contre, on ne peut se contenter de regarder sur l'autre trottoir quand on parle des déchets il s'agit d'un problème qu'on ne sait résoudre et décemment, laisser à nos descendants le soin de le régler me paraît inacceptable
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