Les députés du Front de gauche ne renoncent pas !
L’interpellation de militants ou sympathisants du Front de gauche sur le rôle que doit jouer un député Front de gauche à l’Assemblée nationale est légitime. Elle l’est d’autant plus lorsque les orientations prises par une majorité élue sous une étiquette de gauche ne répondent pas aux attentes populaires. Elle prend cependant une dimension particulière quand elle se transforme en mise en cause publique par celui qui a été notre candidat aux élections présidentielles. Sans esprit de polémique, une nouvelle fois, je souhaite apporter des éléments essentiels au débat concernant les orientations des députés du Front de Gauche, mais aussi leur liberté de vote et leur relation avec leur organisation politique.
Sur notre positionnement politique, je tiens d’abord à rappeler que les 10 députés du Front de Gauche n’ont pas voté la confiance au Gouvernement suite au discours de politique générale de 2012. Pour autant, nous n’avons pas fait le choix de l'opposition systématique, considérant que cette posture ne permettait pas de peser sur le contenu des textes en discussion et sclérosait toute possibilité de rassemblement. Tout en combattant sans concession les textes inacceptables qui nous sont soumis, nous soutenons ce qui va dans le bon sens et répond aux attentes populaires, défendons des amendements pour améliorer les projets de loi, jusqu’à la décision du vote final à l'issue des débats et des avancées obtenues. Nos interventions portent bien évidemment devant la représentation nationale les éléments de notre programme « l’humain d’abord », que nous déclinons aussi en propositions de loi. Des évolutions législatives nous paraissent en effet essentielles pour concrétiser véritablement une politique de progrès social. C’est notamment le cas dans le cadre des « niches parlementaires » réservées aux groupes parlementaires. Le 16 mai dernier, la première séance de cette législature réservée au groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine, comprenant les 10 députés du Front de Gauche, nous a notamment permis de mettre en débat à l’Assemblée nationale notre proposition de loi déposée dès le 26 septembre 2012, reprise et adoptée au Sénat, demandant l’amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, ainsi que celle visant à interdire les licenciements boursiers et les suppressions d'emplois abusives. Toutes les deux ont été rejetées. Seule notre proposition de loi visant à supprimer le mot « race » de notre législation a trouvé une majorité et a été adoptée afin de mettre fin à un concept qui n'a aucun fondement scientifique et qui légitime juridiquement les idéologies racistes. L’ensemble de ce travail parlementaire n’a d’autre objectif que de convaincre largement à gauche sur la nécessité de mesures législatives réellement transformatrices.
Une seconde question régulièrement soulevée est celle de la liberté de vote des députés de notre groupe. Elle touche directement à notre conception de la démocratie et de l’activité parlementaire. Les parlementaires communistes ont fait leur choix depuis longtemps sur cette question. Notre liberté de vote n’est pas une innovation datant de juin 2012 ! Cette décision a été formalisée par le groupe communiste en 1993. Elle n'a jamais été remise en cause depuis, alors même que le groupe a compté parmi ses membres des secrétaires nationaux du PCF (Robert Hue et Marie-George Buffet). Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à gauche à défendre cette position, et elle n’est pas limitée à l’Assemblée nationale, puisqu’elle se pratique aussi au sein de nos groupes politiques, dans les différentes collectivités territoriales et jusqu’à la composante française de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) au Parlement européen. Cette exigence est en particulier portée par les élus membres du Parti de gauche qui en font même une condition de leur participation aux groupes Front de gauche. La décision de vote des députés Front de gauche est toutefois systématiquement prise collectivement, après débat au sein de notre composante du groupe GDR. C’est bien sûr aussi le cas sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Ceux de 2014 ne font pas exception, même si nous avons déjà déclaré, qu’en l’état, notre opposition à ce projet de budget est sans ambigüité : la réduction des dépenses publiques est notamment d'une gravité extrême. Pour autant, nous prendrons, comme chaque fois, notre décision collectivement, en lien avec les sénateurs du groupe CRC (Communistes, républicains et citoyens) avec lesquels nous avons un échange hebdomadaire pour accorder les votes des deux groupes.
Dans les faits, il est cependant extrêmement rare qu’un député du Front de gauche ne vote pas comme l'ensemble du groupe. Cela s'est produit deux fois depuis le début de cette législature : sur le mariage pour tous, et sur le cumul des mandats.
Quant à l'autonomie des décisions de nos députés à l’égard de leur organisation politique, elle est encore plus ancienne. Ce qui, bien évidemment, n'empêche pas, dans la période actuelle, les échanges et la prise en compte des orientations portées par le Front de gauche ! Nous avons toujours été ouverts au dialogue et disponibles pour un travail commun, comme avec la proposition de loi sur les licenciements boursiers.
Je considère par ailleurs que nous sommes, comme députés, les représentants de la nation et des citoyens, et non d'un parti ou d’une organisation politique. Notre indépendance a, en ce sens, toujours été précieuse. Tous les républicains de cœur sont attachés au principe constitutionnel de nullité des mandats impératifs. L’ambition du programme partagé du Front de Gauche, présentant les fondements d’une VIème République, renforçant le régime parlementaire, et rétablissant « la primauté de l’Assemblée nationale sur l’exécutif », appuie d’ailleurs ce principe. La concrétisation d’un véritable « statut de l’élu dans toutes les collectivités » y fait aussi implicitement référence. Sur le fond politique, ce principe est d’autant plus important lorsque l’on prend aujourd’hui la réalité de la représentation nationale, qui compte, sur 577 députés, 292 députés membres du Groupe Socialiste, républicain et citoyen, 17 députés membres du Groupe écologiste, 16 députés membres du Groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, 15 députés membres du Groupe de la Gauche démocrate et républicaine, dont font partie les 10 députés du Front de Gauche. Nous ne pouvons pas affirmer d’un côté qu’une majorité de gauche portant un changement de cap est possible, en rassemblant des députés de toute la gauche parlementaire actuelle, donc sur la base de leur propre réflexion, conscience, indépendance et liberté de vote, et de l’autre, agiter le chiffon rouge en mettant en cause les députés Front de gauche qui ne seraient pas assez respectueux de leur organisation ou de consignes politiques prédéterminées. Une caporalisation par un mandat impératif, en imposant un lien indéfectible avec une organisation politique, serait une régression démocratique contradictoire avec notre volonté d’amener d’autres députés de gauche sur nos positions, parfois en rupture avec les orientations de leur propre organisation. Prenons quelques exemples concrets. Un tel mandat subordonné aux exigences d’une organisation aurait-il permis à 20 députés du groupe socialiste et 12 députés du groupe écologiste de voter contre le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG) ? Un tel mandat aurait-il permis à 20 députés du groupe socialiste de voter contre ou de s’abstenir sur la transcription de l’ANI ? Dans ces deux exemples, la réponse est évidente.
Pour autant, et je l’ai souvent exprimé, l’irruption citoyenne est décisive pour changer les rapports de force et pour que nous ne nous enfermions pas dans une citadelle parlementaire. Le travail de conviction et de rassemblement autour de nos idées et propositions, dans un processus continu de conquête, est aussi nécessaire pour parvenir à gagner des majorités, même ponctuelles, lors des votes sur les textes ou amendements présentés. Convaincre et rassembler, c’est le fond de la pratique quotidienne des 10 députés du Front de Gauche. Chercher en permanence à ouvrir des brèches dans les politiques d’austérité, nuisibles à la vie quotidienne des Français comme des Européens est pour nous une exigence. Elle ne peut être considérée comme une forme de renoncement, même si j’ai conscience que ce travail est sans doute bien moins visible, et moins facilement compréhensible, que des oppositions catégoriques dont le prêt à penser médiatique est si friand. La critique, régulièrement entretenue, selon laquelle les membres du groupe des députés du Front de Gauche seraient totalement déconnectés des réflexions et propositions de leurs organisations politiques respectives paraît d’ailleurs bien malvenue, tant je peux témoigner que les actes et les prises de position dans les débats et lors des votes sont murement réfléchis en prenant toujours bien en compte les besoins et attentes de la population, comme la nécessité impérieuse d’ouvrir les portes du changement et du progrès social. Cette critique est parfois pesante, et je le dis, alimente des procès d’intention, voire des mises en cause personnelles, qui accréditent l’idée d’élus soumis à des influences fictives, ou dont le « crétinisme » empêcherait toute réflexion objective. C’est là-aussi une négation difficilement acceptable des capacités d’analyse des députés eux-mêmes sur leur propre place et rôle dans le champ politique actuel.
Plus fondamentalement, cette appréciation s’appuie sur des postures politiques, au détriment du travail idéologique construit, avec patience et obstination, dans les luttes et dans les assemblées, donc au cœur des réalités telles qu’elles sont et non telles que nous voudrions qu’elles soient. Elle néglige l’état de conscience des gens et, de ce fait, prépare de graves désillusions populaires. Elle contribue aussi à entretenir des conflits artificiels au sein du Front de gauche, centrés sur des rapports de force internes à notre rassemblement, plutôt que construire les fondements de la transformation sociale qui est notre objectif commun.
Convaincre point par point, et chercher à rassembler, c’est surtout ne jamais sous-estimer la capacité de mobilisation des citoyens. Pensons au Front populaire, et aux avancées sociales obtenues à cette période ! L’histoire de notre pays montre que les conquêtes sociales se sont toujours concrétisées durant les périodes de rassemblement des forces de gauche. Ce rapport de force essentiel aux orientations politiques de la représentation nationale trouve d’ailleurs sa parfaite traduction dans les choix opérés aujourd’hui, dans un sens totalement différent, avec la prééminence des forces du capital dans les moyens de pression et d’élaboration de la décision politique.
Au regard de la situation sociale et économique du pays, nous continuerons à combattre sans relâche les choix libéraux assumés par le Président de la République et son Gouvernement. Ce sera bien évidemment le cas durant la discussion du Projet de loi de finances pour 2014. Ce sera aussi le cas lors du débat sur la réforme des retraites. A cette occasion, comme ils l’ont fait sur l’Accord National Interprofessionnel, les députés du Front de Gauche seront en première ligne pour construire le rapport de force favorable à des avancées réelles.