Participation au Forum International Coréen

Publié le par André Chassaigne

Arrivée à 16 h 30 le dimanche 27 novembre. Départ à 14 h le mercredi 30 novembre : 24 h d’avion au total, 8 h de décalage horaire et un programme très chargé. Moins de 3 jours donc à Séoul pour ma première participation, dans mon parcours militant, à un forum international. En fait, le 3ème Forum International coréen organisé par « l’Institut de recherches coréennes du 21e siècle », avec diverses associations coréennes. Modeste, avec une dizaine d’intervenants étrangers (allemand, anglais, chypriote, égyptien, équatorien, français, indiens, sénégalais) et un nom emblématique du mouvement altermondialiste : Bernard Cassen (président d’honneur d’ATTAC, initiateur du Forum social mondial de Porto Alegre en 2001).

Les organisateurs sont des progressistes, pour beaucoup membres du KDLP (Parti Démocratique des Travailleurs). Des militants progressistes déterminés, réactifs, attentifs aux messages transmis comme à leurs invités. Mais aussi ouverts à la société civile, comme en témoignent les partenariats universitaires ayant permis la tenue de cette initiative.

Malgré ma surcharge de travail, j’avais accepté leur invitation inattendue, porté par une volonté de solidarité internationale. Sans doute avais-je, dans leur démarche, senti l’importance pour leur action politique de la participation d’un parlementaire d’Europe, impliqué dans les problématiques auxquelles ils sont confrontés : dimension nouvelle de l’action et de la responsabilité des mouvements progressistes, nouvelles pratiques politiques, conséquences des accords de libre-échange sur les politiques des Etats, mutations de l’agriculture vers plus de proximité, mise en œuvre de la décentralisation … Je me suis efforcé de répondre au mieux à leurs attentes.

 

J’avais une appréhension sur la conférence que je devais assurer le lendemain de mon arrivée, à l’issue de l’ouverture officielle. Je n’avais pu la préparer que durant le trajet aérien. Je griffonnais à la hâte quelques notes et tout en me nourrissant d’une trame reçue le matin même d’un de mes collaborateurs. Je crois cependant avoir assez bien réussi cet exercice du « parler seul », qui n’est pas dans mes habitudes d’expression publique. Pourtant, rien de mieux pour mettre de l’ordre dans sa tête que d’avoir à énoncer ce qui a conduit à une stratégie politique et d’en expliquer les mécanismes.

J’ai notamment développé, expérience et actualité à l’appui, l’intérêt d’un rassemblement comme celui du Front de gauche en France.

La situation sud-coréenne est en effet très proche de la nôtre, avec la décision du KDLP, prise le jour de mon arrivée, de s’unir avec les autres forces progressistes non réformistes pour la construction d’un parti unique. Parallèlement, progresse dans l’opinion l’intérêt d’un candidat commun de toute la gauche aux présidentielles sud-coréennes de décembre 2012, qui seront précédées d’élections législatives en juin. En effet, aux présidentielles comme aux législatives, le scrutin est uninominal à un tour, avec élection du candidat arrivé en tête… ce qui n’est pas sans influencer les stratégies et alliances électorales !

Expliquer, motiver, échanger avec la salle… mais aussi s’impliquer, de fait, dans les débats aux forts enjeux que conduit la gauche coréenne, à l’initiative des organisations progressistes et plus particulièrement du KDLP. J’illustrais notamment mon propos des beaux vers d’Aragon dans « La rose et le réséda » :

 « Quand les blés sont sous la grêle,

Fou qui fait le délicat,

Fou qui songe à ses querelles,

Au cœur du commun combat ».


Mais cela signifie aussi, en Corée du Sud comme en France, terrible responsabilité, qu’il faut une gauche « condamnée » à réussir, sinon ce sera la montée des populistes et de l’extrême droite. Et comment pourraient-elles réussir, « nos » gauches du monde, sans conduire avec détermination de vraies politiques de gauche, c’est-à-dire des politiques de transformation sociale par des mesures radicales, en rupture avec le système capitaliste ?

D’autant plus dans cette péninsule coréenne où les enjeux sont effectivement énormes avec, en perspective, la suppression de la terrible loi de Sécurité nationale, mise en œuvre en Corée du Sud avec son lot de privations de liberté de pensée, d’expression et d’association. Mais aussi, ce qui serait une avancée politique considérable pour le pays et un échec cuisant pour le pouvoir actuel soumis aux Etats-Unis, la réunification de la Corée !

Cette réunification, voulue par les deux peuples (ou plutôt le peuple coréen dans sa globalité), n’est semble-t-il pas rejetée à priori par le pouvoir nord-coréen. C’est en effet par le gouvernement de droite du sud, sous l’influence américaine, que le processus est actuellement bloqué. « L’épouvantail » nord-coréen est tellement utile pour mettre le monde en coupe sombre ! Nos amis progressistes coréens se donnent 5 ans… et j’ai compris que ce n’était pas un simple fantasme. Je les ai encouragés avec cette belle phrase du peintre autrichien Friedrich Hundertwasser : « Lorsqu’un homme rêve, ce n’est qu’un rêve. Mais si beaucoup d’hommes rêvent ensemble, c’est le début d’une réalité ».

J’ai aussi développé ce constat terrible sur lequel revient souvent, avec beaucoup de pertinence, Patrick Le Hyaric dans ses éditos de l’Huma-Dimanche (éditos que je sustente comme une dose d’antipoison hebdomadaire, éditos tenant de l’antidote, aux ingrédients bien pesés, mais aussi d’indispensable boussole en temps de tempête, quand le « bateau » du Front de gauche tangue, voire dérive). Il s’agit du concept de « décivilisation » dont le préfixe est plus communément utilisé avec un nom qui se veut à dimension planétaire (« démondialisation »). Et pourtant ! Mesure-t-on vraiment le recul historique colossal que provoquent la droite au pouvoir et sa funeste politique de financiarisation de l’économie ? L’enjeu premier n’est-il pas justement d’arrêter, partout dans le monde, la déshumanisation qu’entraîne la faillite du système ? Mettre fin à cette « fabrication des hommes jetables », dont parlait Aimé Césaire… Et initier une politique qui réponde à la question centrale : quelle société voulons-nous pour que l’homme soit pris en compte ? Pris en compte avant tout ! Car il s’agit bien là, dans cette ère du non sens universel, d’une forme de sauvetage du genre humain dont il est question.

 

Durant ce trop court séjour, je plaisantais avec mes hôtes en leur disant que le programme qu’ils m’avaient concocté tenait à la fois de la mission d’un envoyé du Komintern, développant son analyse politique auprès des militants révolutionnaires de terrain, et des exploits de Stakhanov dans la feu Union soviétique, en capacité de réaliser seul la production de 3 travailleurs. C’est qu’ils ne m’ont pas fait chômer, les copains de Corée !

- Le soir de l’arrivée, visite nocturne de la ville et découverte de la cuisine coréenne : végétale, épicée, conviviale, copieuse mais à la digestion magiquement rapide, arrosée par les meilleurs crus de thé, et solidifiée par l’incontournable et néanmoins succulent bol de riz. Et en accompagnement, un incessant échange politique, certes restreint par ma méconnaissance de la langue anglaise. Il est difficile d’occulter son handicap linguistique dans ce type de rencontre. J’en ai encore fait le constat durant ces journées. Fort heureusement la jeune interprète était pétillante d’intelligence.

- Lundi, le départ s’impose à moi à 6 h du matin pour plus de 2 h de route en direction de Choongnam. Une heure de dialogue avec M. An Heejeong, Président de Région, pressenti par certains pour être candidat unique de la gauche coréenne aux élections présidentielles de 2012. Il me reçoit, entouré de son équipe, alliant la solennité à l’intelligence du propos. La rencontre porte essentiellement sur les conséquences prévisibles de l’Accord de Libre Echange Etats-Unis - Corée du Sud, objet de manifestations quotidiennes grandissantes, qui sera néanmoins signé le lendemain même. Nous avons eu en particulier un échange sur les politiques publiques pouvant être mise en œuvre localement, notamment dans domaine agricole, pour contenir les importations massives des produits alimentaires à bas coût.

De retour à Séoul, je fais connaissance avec les organisateurs coréens et les intervenants déjà arrivés :

† Nguyen Dac Nha-Mai : franco-vietnamienne, représentante permanente de VAVA (Association pour les victimes de dioxine de l’agent orange).

† Demba Moussa Dembélé : sénégalais, économiste, président du Forum social de Dakar.

† Göran Therborn : suédois, sociologue, professeur à l'Université de Cambridge.

† Mamdouh Habashi : égyptien, secrétaire général du parti socialiste égyptien.

† Pritam Singh : indien, Professeur à Oxford, environnementaliste.

† Erhard Crome : allemand, spécialiste des sciences humaines de la Fondation Rosa Luxembourg.

† Chrysanthie Theraapontos : chypriote, membre du bureau national de l’association d'amitié franco-coréenne.

† Hugues Mathieu : français, responsable syndical CGT en Haute-Vienne.

L’après-midi, avant l’ouverture officielle et ma conférence, j’assiste à un passionnant débat sur la réunification des deux Corées. Je réalise à quel point la propagande occidentale peut formater : ici, la diabolisation de la République Populaire de Corée n’est pas au menu et se tracent les perspectives d’une réunification que je découvre possible, à court terme, malgré l’activisme forcené des Etats-Unis pour bloquer le processus. Une fois de plus, je mesure l’importance du conditionnement médiatique.

- La journée de mardi commence par un dialogue passionnant avec Bernard Cassen, dont je fais alors la connaissance. Nous devisons bien sûr de nos cheminements respectifs, du Front de gauche, de son candidat Jean-Luc Mélenchon, des orientations à donner à la campagne. Mais aussi, et surtout, des expériences sud-américaines, notamment du Venezuela, et de ceux qui les conduisent. Je découvre par le vécu de Bernard Cassen la personnalité d’Hugo Chavez, faite de convictions et d’humanité. Et quelle leçon de volonté et d’intelligence révolutionnaires que sa bataille victorieuse de la nationalisation du pétrole !

J’enchaîne ensuite la participation à deux tables rondes :

† Celle du matin sur la crise et ses alternatives. L’appréciation, certes majoritaire, que le capitalisme est dans sa phase finale, ne fait par l’unanimité… même si chacun fait le constat des dégâts du système pour l’ensemble des peuples de la planète. Quant aux alternatives, personne ne s’aventure à les décréter (fort heureusement !). Mais les propositions fusent, avec une idée forte : la nécessité incontournable d’un nouveau partage des richesses et la maîtrise par les peuples des leviers financiers, des banques centrales nationales à la Banque centrale européenne, jusqu’à la troïka mondiale qui dicte ses exigences (OMC, FMI, Banque mondiale). Pour ma part, je reviens sur mon « dada » de l’exigence d’appropriation collective du débat mais aussi de l’indispensable socialisation des moyens de production.

† Celle de l’après-midi porte sur la grand sujet d’actualité que constitue l’accord de libre-échange, signé le jour même. Je déroule en ce qui me concerne des exemples précis d’échanges déséquilibrés et leurs conséquences sur les territoires de production, mais aussi pour les pays importateurs : filière des protéagineux strictement américaine, importation ciblée de fruits pour écraser les prix payés à nos propres producteurs, importation honteuse des agro carburants et les conséquences pour les régions productives (disparition des cultures vivrières, suppression de forêts primaires, dégradation des sols, écrasement des communautés villageoises)…

En fin d’après-midi, je vis un moment rare. De ces rencontres qui se révèlent exceptionnelles et vous donnent le sentiment qu’elles marqueront votre cheminement personnel. Les organisations ont prévu un débat avec Kang Kikab, député KDLP depuis 2004, Président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, issu de la Ligue paysanne catholique coréenne. Sa photo m’avait été envoyée : elle était déjà impressionnante tant le personnage symbolise la sagesse asiatique que mon imaginaire s’était construit. Son entrée dans la petite salle où nous devons faire connaissance me subjugue : dans un premier temps, je ne vois que les yeux, vifs, pétillants d’intelligence. Il porte sa robe de paysan coréen. Si naturellement qu’on ne peut se l’imaginer habillé autrement.

Avec des mots simples, des phrases courtes, il me parle de son métier, et surtout de la terre nourricière que nous devons respecter. Respecter avant tout ! Il n’a rien d’un tribun et pèse ses mots : le ton de la voix et la longueur du discours ne comptent pas. Sa force est bien plus convaincante pour transmettre, sans le nommer le concept phare de la pensée écologique anticapitaliste : l’idée de la « Terre – Mère », Pachamama, si chère à la culture amérindienne. En l’écoutant, je lui trouve un point commun avec mon ami Jean Lassalle, député des Pyrénées Atlantiques, que j’appelle le Berger des Pyrénées en réponse à son Dédé le Rouge : quand ils s’expriment, l’impression que la sève de leur terre nourricière circule en eux. Je pense aussi à Mario Moralès et au sommet de Cochabamba, en Bolivie, en 2010, symbole de la prise de conscience collective des mesures à prendre par les peuples pour sauver la planète.

Devant une soixantaine de personnes, nous échangeons ensuite dans un amphithéâtre de l’Université. Les problèmes liés à l’accord de libre-échange sont bien évidemment abordés, d’autant plus qu’une nouvelle manifestation a lieu au même moment au cœur de Séoul. Mais le dialogue porte essentiellement sur la situation actuelle des paysans français et coréens et nos propositions de politique agricole. Nous nous retrouvons dans une forme de communion idéologique et d’expériences.

Je réalise à la fin que j’ai beaucoup parlé. Trop sans doute au regard de la sobriété des ses interventions. Mais je reste marqué par le courant qui passait entre nous, nos mains se rejoignant spontanément plusieurs fois durant l’échange sous les applaudissements de la salle. J’espère qu’il répondra à mon invitation de participer l’année prochaine au Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand.

En soirée de cette deuxième journée, Bernard Cassen tient une conférence sur « la crise systémique du capitalisme néolibéral », analyse fouillée des mouvements du « système-monde » jusqu’à cette année 2011, avec l’impuissance du G20 à réguler « la finance en folie » et l’évocation des « soulèvements arabes au nom de la liberté » aux « conséquences gigantesques ». Remarquable exposé (consultable sans doute sur son site) !

 

Mercredi, au matin du départ, ultime « amortissement » de mon passage, j’ouvre une table ronde sur la décentralisation par un historique des phases de la décentralisation en France et les enjeux des bouleversements engendrés par les dernières lois adoptées depuis 2002. Le débat est ouvert… mais déjà m’attend l’avion du retour.

 

 

 


Certaines vidéos des débats sont disponibles :

 

 










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