Retraites : une bataille décisive
La grande question du moment est celle des retraites. Le besoin de financement supplémentaire pour les prochaines années, par anticipation des déficits, est systématiquement mis en avant pour justifier la nécessité de réformer notre système de retraite par répartition. Ainsi, chaque livraison de rapport est l’occasion de se saisir des scénarios les plus pessimistes, pour effrayer les Français, en ressortant des chiffres toujours plus alarmistes. Ainsi, on parle de « 20 à 25 milliards de besoin de financement global en 2020 », ou de « 100 milliards en 2050 » !
Autant de chiffres, repris sans précisions sur leur origine, qui permettent ensuite de pousser toujours la même rengaine, celle des sacrifices pour les travailleurs : allongement de la durée de cotisation ou recul de l’âge légal de départ ! Le chef de l’Etat a enfoncé le clou en ouverture de la conférence sociale : l'allongement de la durée de cotisation serait « la mesure la plus juste à condition qu'elle soit appliquée à tous ». Au contraire, si l’on considère comme moi que la retraite est une dette de la société envers le travailleur, qui a cotisé et contribué à la richesse nationale, l’allongement de la durée de cotisation est une nouvelle injustice. N’existe-t-il donc pas d’autres solutions qui permettraient de garantir dans la durée un départ pour tous à 60 ans et à taux plein ? Je pense que oui.
Tout d’abord, le financement des retraites étant assis sur les cotisations des actifs, plus d’emploi, c’est mécaniquement plus de cotisations pour payer les retraites : 100 000 emplois supplémentaires représentent un bonus de 2 milliards de cotisations sociales ! De plus, depuis 30 ans, les salariés français ont augmenté considérablement leur productivité et la richesse produite, mais elle a été essentiellement captée par la finance au profit des actionnaires et des fonds spéculatifs. Ainsi, en fonction de la croissance, du niveau de l’emploi et des gains de productivité, beaucoup de scénarios sont envisageables… mais curieusement laissés de côté par les pouvoirs publics.
On peut aussi trouver de nouvelles ressources. Les députés et sénateurs du Front de gauche ont déposé une proposition de loi garantissant le financement du droit à la retraite à 60 ans. Parmi les 12 mesures présentées, l’instauration d’une contribution d’assurance vieillesse sur les revenus financiers des sociétés, au même taux que celui des employeurs du secteur privé (9,9 %), apporterait à elle seule 30 milliards d’euros par an. Mais aussi, à l’opposé des 30 milliards d’exonération de cotisations sociales patronales, il est possible de moduler les cotisations patronales d’assurance vieillesse en fonction des choix de gestion des entreprises : en faisant cotiser plus celles qui alimentent la spéculation, qui délocalisent, ou qui abusent des temps partiel et des contrats précaires.
En cherchant à imposer ces nouveaux sacrifices au monde du travail, à ouvrir de nouvelles brèches pour la retraite par capitalisation, le patronat, avec l’appui du Gouvernement, ne s’attaque pas seulement à l’arithmétique financière du régime par répartition. Il vise d’abord à briser des principes de solidarité, intergénérationnels, construits par les luttes des travailleurs et transcrits dans notre modèle social par des ministres comme Ambroise Croizat, un des principaux fondateurs de la Sécurité Sociale et du régime vieillesse. Disons-le encore, ce qui est visé, c’est un nouveau recul de civilisation. Ambroise Croizat avait une belle formule : « Ne parlez pas d’acquis. Le patronat ne désarme jamais ». Il avait raison : la bataille des retraites sera décisive.
Chronique publiée dans le journal La Terre.